Le Vermont à contre-courant de l'Amérique énergivore

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En cinq ans, le Vermont s'est imposé en matière d'efficacité énergétique comme un modèle qu'on vient étudier de partout dans le monde. Dans cette série de quatre articles, nous examinerons l'impressionnante performance d'un des plus petits États américains et, lundi, les ingrédients de son étonnante recette et les pistes qu'elle offre au Québec.

Burlington — Malgré les politiques de l'administration Bush en matière d'énergie et un climat comparable au nôtre, le Vermont s'est hissé en quatre ans en tête de liste des États les plus performants de l'Amérique du Nord en matière d'efficacité énergétique, au point qu'on vient de partout étudier le «modèle vermontois».

La culture et l'image «nature» du Vermont s'accommodaient assez mal à la fin des années 90 des piètres résultats obtenus en matière d'efficacité énergétique par les propriétaires des 22 réseaux indépendants qui desservent cet État de 600 000 habitants, un des moins peuplés des États-Unis. Après un vaste débat devant le Public Service Board (PSB) du Vermont, l'État a créé un organisme, Efficiency Vermont, ou EVT, pour mettre en branle une série de programmes et de moyens d'intervention, sans oublier une aide financière destinée autant aux professionnels, aux promoteurs et aux industriels qu'aux simples consommateurs.

Après seulement quatre ans d'existence, Efficiency Vermont a réussi à réduire de 3 % la demande actuelle en électricité de cet État. Ces résultats ont immédiatement attiré l'attention d'États parmi les plus performants, comme la Californie. Toutes proportions gardées, une réduction de 3 %, c'est comme si le Québec avait économisé depuis l'an 2000 quelque 5 TWh sur une consommation globale de 167 TWh, soit 500 fois plus que la performance réellement atteinte ici durant la même période. En effet, précise Philippe Dunsky, un consultant québécois en énergie, Hydro-Québec a réduit ici la demande de seulement 0,01 % pendant ces quatre années.

Il y a deux semaines, en déposant son plan de travail pour la prochaine année, Efficiency Vermont annonçait publiquement son intention de réduire de 10 % la demande de cet État d'ici 2012. Or l'objectif de réduction de 3 TWh proposé par Hydro-Québec d'ici 2010 équivaut à ralentir nos besoins en électricité de seulement de 1,7 %.

L'impact des politiques de réduction tous azimuts adoptées par Energy Vermont a réussi à ralentir considérablement la hausse de ses besoins en électricité, de 50 % l'an dernier comparativement à 7 % au Québec.

«Si les États-Unis atteignaient un taux d'efficacité énergétique comparable à celui réalisé au Vermont en quatre ans, explique Blair Hamilton, le président d'EVT et de Vermont Energy Investment Corporation (VEIC), nous pourrions éviter la production et les émissions de 200 centrales thermiques.» Avec la politique procombustibles fossiles de l'administration Bush, c'est plutôt 100 nouvelles centrales thermiques qui vont voir le jour d'ici 2012 aux États-Unis.

Efficiency Vermont a été créé en 1999 par la législature de cet État et a démarré ses programmes dès l'année suivante. C'est par un appel d'offres que la société VEIC, un groupe écologiste local, a été choisie pour gérer EVT et ses programmes en vertu d'un contrat de performance. Depuis sa fondation en 2000, EVT a assisté, avec ses 120 employés — une équipe plus importante que celle de New York ou de la Californie —, quelque 28 000 clients, dont 639 entreprises, qui vont éviter d'ici 15 ans des achats d'électricité d'une valeur globale de 28,8 millions de dollars. Ce qui en fait un concurrent non négligeable des petits propriétaires de réseaux dont on réduit les ventes. Les gains de production des clients d'EVT et les investissements qu'ils ont évités représentent une valeur économique de 133,9 millions, ce qui n'est pas négligeable dans un si petit État.

Petits réseaux avantagés

Durant ses quatre premières années d'existence, Efficiency Vermont a permis à ses clients d'économiser 152 801 MWh, dont près de 60 % dans des industries et commerces et le reste dans le secteur résidentiel.

Ces programmes d'efficacité énergétique ont redonné aux petits réseaux de l'électricité à meilleur coût que s'ils avaient dû l'acheter: globalement, chaque kilowatt épargné par les programmes d'EVT a coûté 54 % du prix de gros en Nouvelle-Angleterre, soit 2,9 ¢US comparativement à 6,3.

Au début, raconte David Epstein, du bureau d'architectes Truex Collins & Partners, on percevait EVT dans les milieux d'affaires comme «la police de l'énergie: mais les gens ont vite découvert l'intérêt de ses services, d'autant plus qu'elle ne courait pas après les gens pour les forcer à changer leurs comportements mais était là, prête à répondre à leurs besoins».

C'est probablement ce qui explique qu'après seulement trois ans de fonctionnement, en 2002, Efficiency Vermont réussissait à dépasser son objectif annuel de réduction, fixé par le PSB à 42 267 MWh, en obtenant une réduction de la demande en électricité de 48 494 MWh. On mesure le dynamisme d'EVT et l'intérêt du milieu des affaires et des professionnels quand on constate qu'elle a desservi par ses programmes en 2003 quelque 1181 entreprises, travaillé avec 783 professionnels qui les conseillent, oeuvré avec un architecte sur deux, un entrepreneur sur trois et près de 40 % des promoteurs immobiliers de cet État.

Taxe bien reçue

Pour atteindre ces objectifs, Efficiency Vermont a dépensé en trois ans 38 millions $US, qui proviennent d'une taxe de 2 % sur la facture d'électricité de tout le monde. Présentement, cette taxe génère environ 17 millions de dollars par année. Mais on ne se plaint pas trop de cette taxe puisqu'elle permet aux consommateurs d'injecter en quelque sorte dans les petits réseaux de l'électricité à 2,9 ¢ plutôt qu'à 12,5 ¢, soit le tarif des livraisons à domicile qui correspond à plus du double de notre tarif résidentiel. Certains en viennent à souhaiter dans ce contexte une hausse de cette taxe!

En plus d'avoir reçu plusieurs prix prestigieux pour son rendement énergétique, EVT s'enorgueillit de plusieurs records qu'elle a décrochés à l'intérieur du programme fédéral de certification énergétique des États-Unis, le programme Energy Star, le plus exigeant de l'Amérique du Nord mais qui demeure un programme volontaire, boudé à plusieurs endroits.

Le Vermont, dont 61 % des climatiseurs vendus en 2003 étaient certifiés Energy Star, a remporté ainsi le championnat des ventes d'appareils les moins énergivores aux États-Unis. Les rabais instantanés offerts par EVT aux consommateurs, directement chez les détaillants, expliquent que 62 % de toutes les sécheuses électriques étaient certifiés cette année-là selon la plus haute norme américaine. Après avoir été contactés un par un par EVT et suivis à la semaine dans leurs ventes, tous les détaillants d'appareils électriques de cet État participent désormais au programme Energy Star. EVT et son personnel suivent aussi de très près l'évolution de la construction résidentielle par des contacts avec les promoteurs immobiliers et les entrepreneurs. Le résultat est surprenant: une nouvelle maison sur quatre en 2003 satisfaisait aussi à la norme Energy Star, un autre record dans ce pays.

Un consommateur sur trois

Toujours selon le bilan annuel 2003 d'EVT, un consommateur d'électricité sur trois au Vermont a participé depuis l'an 2000 à l'un ou l'autre des programmes lancés par EVT, ce qui indique un niveau de participation étonnant. Chaque somme de 1000 $ investie par Efficiency Vermont a généré un investissement privé additionnel de 630 $, pour une valeur ajoutée économique de 3500 $ dans l'économie et les poches des contribuables. Comme il intervient par ses programmes sur l'électricité chez des clients qui se chauffent au gaz, EVT a même provoqué des économies de chauffage chez un client sur sept du réseau gazier. Ce réseau se concentre d'ailleurs près de la frontière du Québec, qui alimente ainsi le nord-ouest du Vermont par pipeline.

Ces économies «permanentes» d'électricité, affirme Blair Hamilton, président d'EVT, ont permis de réduire la pointe de la demande en été de 18 MW sur les 1000 MW que consomme alors le Vermont en raison des besoins nouveaux en climatisation. En hiver, l'économie atteint 34 MW sur une consommation de pointe de 1000 MW. Évidemment, réduire la demande de pointe de 34 MW en hiver apparaîtrait minuscule ici, alors que la demande atteint en pointe hivernale près de 39 000 MW. Mais la réduction en pointe obtenue ainsi par le Vermont correspond en pourcentage à 3,4 %, ce qui équivaudrait au Québec à une réduction «permanente» en pointe de 1326 MW, ce qui dépasse le résultat des appels aux économies d'urgence lancés par Hydro-Québec.

Impact non négligeable

L'impact environnemental de cette performance énergétique n'est pas négligeable. Les économies d'énergie réalisées par EVT ont évité au Vermont des émissions de gaz à effet de serre (GES) cumulatives de 567 000 tonnes entre 2000 et 2003, soit l'équivalent des émissions de 14 000 résidences ou de la combustion de 685 barils de pétrole par jour. Selon les rapports soumis au Vermont Public Service Board, qui contrôle la performance d'Efficiency Vermont un peu à la façon de notre Régie de l'énergie, EVT a évité, durant ses quatre premières années d'existence, à cet État quelque 1,7 million de tonnes d'émission de GES, 2000 tonnes d'oxydes d'azote, 7000 tonnes de dioxyde de soufre et 600 tonnes de matières particulaires potentiellement cancérigènes.

En somme, l'Amérique de Bush a donc quelque part en Nouvelle-Angleterre son petit village gaulois...

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