Les arbres «de rue» plus heureux que leurs compagnons des parcs?

Ce texte est tiré du Courrier de la planète du 11 octobre. Pour vous abonner, cliquez ici.
Les arbres « de rue », ceux que l’on croise enserrés dans les trottoirs des villes, vivraient de meilleures vies que leurs compagnons plantés dans les parcs. Une équipe de chercheurs québécois creuse aux racines de ce beau problème. Malgré les maladies qui déciment les frênes et les ormes, les arbres des villes vont bien. Très bien. Mieux même que les arbres dans les parcs, a constaté Alain Paquette, titulaire de la Chaire de recherche sur la forêt urbaine de l’UQAM.
« Ça suscite beaucoup de réactions, parce que tout le monde pense exactement l’inverse, s’enthousiasme le passionné. Dans cinq villes, sur plusieurs espèces et avec des centaines d’échantillons, on a découvert que, systématiquement, les arbres de rue ne sont pas différents des arbres de parcs et quand ils sont différents, c’est à la faveur des arbres de rue. »
Ils tirent cette conclusion à partir des petites « carottes » d’arbres, ces cylindres de bois prélevés sur les troncs, pour calculer la grosseur des cernes de ceux-ci. Plus un cerne est gros, plus l’année a été pluvieuse et bonne pour l’arbre. Plus le cerne est mince, plus l’arbre a souffert de la sécheresse.
« Les arbres de rue ont tendance à avoir une croissance plus uniforme d’année en année, ils sont moins connectés avec la variabilité du climat », énonce le professeur.
Comment expliquer la vitalité de ces arbres qui poussent au milieu de surfaces bétonnées ? L’hypothèse avancée par le chercheur est que les arbres s’abreuvent directement aux fuites d’eau du réseau d’aqueducs et d’égouts. « Environ un quart de l’eau entre la pompe et le robinet est perdu dans la tuyauterie, avance-t-il. Donc, notre hypothèse, c’est qu’ils ont accès à de l’eau à laquelle les arbres des parcs n’ont pas accès. »
A contrario, les arbres des parcs poussent sur des sols très compacts, ce qui rend l’accès à l’eau difficile, souligne Alain Paquette. Ce constat pourrait mener à d’autres sujets d’étude : la réparation des conduites d’eau souterraine pour colmater ces fuites pourrait-elle causer un stress aux arbres de rue et nuire à leur croissance ? Il s’agit d’une question sur laquelle il faudra se pencher, indique le biologiste.
Rétablir l’équité
Au cours des dernières années, Montréal a accéléré la plantation d’arbres. Il y a 10 jours, la Ville se targuait d’ailleurs d’avoir atteint un indice de canopée de 25 % pour l’agglomération de Montréal en 2019, trois ans plus tôt que prévu, et ce, malgré les ravages causés par l’agrile du frêne.
La semaine dernière, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui compte 82 municipalités, dont Montréal, a cependant publié ses propres données. Elles démontrent qu’entre 2017 et 2021, l’indice de canopée a plutôt diminué en raison des ravages causés par l’agrile du frêne et le déboisement au profit de l’agriculture et de la construction de domiciles.
On note d’ailleurs une disparité entre les données colligées par la CMM et celles de la Ville de Montréal, qui n’observe pas une telle diminution de l’indice de canopée sur son territoire.
Anthony Daniel, conseiller en planification au Service des grands parcs, du mont Royal et des sports à la Ville de Montréal, croit que ces différences sont attribuables à la méthodologie utilisée. « La résolution utilisée [par la CMM] est beaucoup plus faible que la nôtre. En plus d’avoir validé les données avec une caméra à très bonne résolution, on a croisé ces informations avec les données LiDAR [Light Detection and Ranging] et on avait un technicien en géomatique qui passait les images au peigne fin. »
La Ville de Montréal travaille avec les arrondissements pour développer des plans maîtres de plantations afin de trouver les meilleures stratégies pour augmenter la canopée. La Ville souhaite aussi diversifier la forêt urbaine et éviter la perte massive d’arbres liée aux ravageurs et aux maladies comme ceux qui ont affecté les ormes d’Amérique et, plus récemment, les frênes. « On veut trouver le bon arbre au bon endroit », indique Anthony Daniel.
Alain Paquette croit que le défi pour une grande ville comme Montréal est de diminuer l’iniquité dans la distribution des infrastructures vertes. Des données publiées en 2012 révélaient d’ailleurs des écarts importants entre les différents arrondissements montréalais.
Les arrondissements les moins bien pourvus en arbres étaient d’anciennes villes, soit Saint-Léonard (9,43 %), LaSalle (10,04 %), Anjou (10,19 %), Saint-Laurent (10,80 %) et Lachine (11,34 %).
Arbre de vie
C’est connu, les arbres ont de nombreuses vertus : ils produisent de l’oxygène, absorbent les polluants atmosphériques et offrent de l’ombre, ce qui contribue à rafraîchir les milieux urbains. À cet égard, ils sont un outil efficace de lutte contre les changements climatiques.
Mais ils offrent bien d’autres avantages. Le contact avec les espaces verts réduit l’anxiété et le stress, signale la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME).
« Certaines études parlent d’une diminution de la criminalité et des tensions dans la collectivité », ajoute-t-elle en citant une étude réalisée dans des quartiers défavorisés au Brésil. « La liste des bienfaits est vraiment longue. »
« Quelques publications montrent un rétablissement postopératoire plus rapide chez les gens qui ont simplement des arbres dans leur fenêtre d’hôpital », atteste pour sa part Alain Paquette.
Chez les enfants, une vaste étude canadienne a prouvé que l’abondance des arbres dans la cour d’école et autour de la cour d’école aurait un « effet significatif » sur la performance dans des examens standardisés. Autrement dit, « ceux qui avaient accès à plus de verdure avaient de meilleurs résultats ».