Le Nunavik, entre protection du territoire et convoitise minière
Le Nunavik compte de très vastes espaces naturels préservés de l’activité humaine et essentiels au mode de vie des Inuits qui habitent ce territoire depuis des siècles. Mais l’industrie minière convoite de plus en plus les ressources non renouvelables du sous-sol. Une situation qui pourrait compromettre les efforts de protection de la biodiversité.
La majestueuse rivière de Puvirnituq coule au fond d’un canyon aussi rocailleux que sinueux, au coeur d’un paysage de collines situé à la limite nordique du parc national des Pingualuit. Les traces de la présence humaine y sont pour ainsi dire inexistantes, mis à part les trois petits camps qui accueillent depuis quelques années les visiteurs venus admirer les grands espaces de ce territoire protégé, qui est aussi le premier parc national à avoir été créé au Nunavik.
La quiétude des lieux est soudainement perturbée par le vrombissement d’un hélicoptère qui passe au nord de la rivière, avec un dispositif suspendu sous l’appareil. « Ce sont des compagnies minières qui font de l’exploration pas loin d’ici », explique Maali Tukirqi, une guide inuite au parc des Pingualuit. Tout de suite après, un avion qui vient de décoller traverse le ciel. Il est probable qu’il transporte des travailleurs de la mine Raglan, propriété de Glencore, ou de celle de Canadian Royalties, contrôlée par des intérêts chinois. Les deux entreprises exploitent des gisements dans la région.

« Ça nous inquiète de voir des hélicoptères, parce qu’on sait qu’il y a des permis d’exploration aux limites du parc. Il y en a même qui chevauchent la rivière. Qu’est-ce qui va se passer s’ils décident de creuser et d’exploiter une mine ? » se demande le gardien de parc Noah Annahatak.
Il est vrai que toute cette région compte de nombreux permis actifs, selon ce qu’on constate sur les cartes du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Pour tout le Nunavik, le ministère recense pas moins de 27 225 titres miniers, qui couvrent une superficie de 12 239 km2. Qui plus est, trois projets miniers sont en cours de développement. Ce vaste territoire est d’ailleurs convoité par l’industrie depuis plusieurs décennies. Celle-ci a laissé derrière elle plusieurs sites d’exploration abandonnés. Le MERN en recense aujourd’hui 11, mais lors d’une évaluation menée il y a de cela 20 ans, soit avant le programme de restauration des sites financé par le gouvernement du Québec, on en comptait 162.

Jeunes et traditions
Dans ce contexte, des Inuits redoutent la perspective de voir plusieurs projets d’exploitation voir le jour au Nunavik. Certes, l’industrie permet de créer des emplois. Mais avec le développement de projets de parcs nationaux au cours des dernières années, plusieurs voient la possibilité de créer des emplois plus durables en écotourisme, tout en protégeant des territoires essentiels à la pratique des activités traditionnelles de subsistance que sont la chasse et la pêche.
Le Devoir a justement pu constater que le parc national des Pingualuit offre ce type d’expérience exceptionnelle de plein air, tout en permettant aux Autochtones de perpétuer leur mode de vie traditionnel. « Parcs Nunavik accueille plusieurs groupes de jeunes chaque année dans les quatre parcs nationaux du territoire, ainsi que dans les pavillons des parcs situés dans les communautés d’accueil. On favorise donc la pratique d’activités culturelles et traditionnelles. Nous facilitons aussi l’échange intergénérationnel et le partage des savoirs traditionnels grâce à la participation d’aînés lors d’activités avec des groupes », explique la directrice adjointe, opération des parcs pour l’administration régionale Kativik, Catherine Noiseux.
Ce texte est publié via notre Pôle environnement.
Elle ajoute que ces parcs, qui sont gérés par les Inuits, génèrent des retombées économiques importantes dans les communautés. Mais la protection du territoire demeure une priorité, souligne Mme Noiseux, rencontrée à Kuujjuaq. « Les parcs nationaux contribuent à la conservation des milieux naturels et de la biodiversité », résume-t-elle.
Un point de vue que partage le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP Québec), Alain Branchaud. Déjà, rappelle-t-il, 20 % du territoire du Nunavik est protégé des activités industrielles, ce qui représente une superficie de plus de 100 000 km2. Mais dans le cadre de la Loi sur la Société du Plan Nord, le gouvernement du Québec s’est engagé à en faire beaucoup plus. D’ici 2035, 50 % du territoire du Plan Nord (qui représente près de 80 % du Québec, dont tout le Nunavik) doit être consacré « à des fins autres qu’industrielles, à la protection de l’environnement et à la sauvegarde de la biodiversité ».

Pour y parvenir, M. Branchaud estime qu’il est nécessaire de mettre un terme à la préséance des intérêts industriels.
« Si on continue à prioriser l’accès au territoire pour des ressources minières ou énergétiques, nous serons toujours dans cette confrontation et nous allons toujours reporter les décisions structurantes pour la mise en place d’un réseau d’aires protégées. Il faudrait faire l’inverse en faisant des gains importants en matière de protection du territoire pour se rapprocher de ce que la science nous invite à faire pour contrer la crise de biodiversité et celle du climat », fait valoir le biologiste.
Prudence
Dans un contexte d’impacts déjà bien réels de la crise climatique au Nunavik, et notamment sur des espèces comme le caribou migrateur, Alain Branchaud plaide pour une plus grande prudence dans la gestion de ce patrimoine naturel. « Il faut conserver une marge de manoeuvre, par exemple pour les caribous, dont les schémas de migration sont en train de changer. Il faut protéger leurs corridors de migration, les zones de mise bas et tous les autres secteurs importants dans leur cycle de vie. »

La situation de cette espèce est d’ailleurs révélatrice des arbitrages qui seront nécessaires entre le développement industriel et la protection de la biodiversité et du mode de vie des Inuits. Les habitats importants pour le cervidé se trouvent en effet en partie dans la vaste région de la fosse du Labrador, un secteur très convoité en raison de son potentiel minier.
Qu’est-ce que le gouvernement du Québec entend faire pour bonifier la protection du territoire occupé depuis des siècles par les Inuits ? « Il n’y a aucun projet d’aire protégée en cours de développement au Nunavik », répond le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC).
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs précise toutefois que deux projets de parcs nationaux sont toujours en développement. Il s’agit du parc national Iluiliq, d’une superficie de 778 km2, situé à l’extrémité nord du Québec, sur la côte du détroit d’Hudson. Il est déjà comptabilisé au Registre des aires protégées du Québec depuis 2008. « Les prochaines étapes consistent à élaborer une proposition de limite, de plan de zonage et de concept d’aménagement », précise le MELCC.
L’autre projet, nommé parc national de la Baie-aux-Feuilles, couvre 3868 km2et il est inscrit au Registre des aires protégées depuis 2008. Mais dans ce cas, affirme Alain Branchaud, les intérêts de l’industrie minière représentent un obstacle à la concrétisation du projet. Il presse donc le prochain gouvernement d’agir pour réaliser ce projet, qui a peu progressé depuis 2015, au nom du respect des Inuits. « La protection du territoire, ce n’est pas seulement nécessaire pour la préservation de la biodiversité. Ça sert aussi à la protection de la culture des occupants du territoire. »