Ottawa ouvre la porte au gaz naturel liquéfié, mais pas à tout prix

Entre les opposants et les partisans des exportations de gaz naturel canadien vers l’Europe, le gouvernement Trudeau a fait son choix : des projets de liquéfaction et de transport pourront se réaliser. Mais avant d’obtenir le feu vert du fédéral, les promoteurs déjà actifs devront prévoir une « transition » — vers la production d’hydrogène, par exemple. Le Canada et l’Allemagne doivent d’ailleurs signer dans les prochains jours un accord sur le développement de cette filière.
Lors de la visite au Canada du chancelier allemand, Olaf Scholz, la semaine prochaine, la question de la « sécurité énergétique » sera à l’ordre du jour de ses rencontres avec Justin Trudeau. Les deux dirigeants doivent du même coup inscrire leurs discussions dans une perspective de « transition mondiale vers l’énergie propre », précise Ressources naturelles Canada dans une réponse transmise par courriel.
Cela ne veut pas dire que le fédéral ferme la porte aux projets d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe et l’Allemagne, comme le réclament les groupes écologistes et certains experts. Les éventuelles usines de liquéfaction et les terminaux d’exportation maritime de GNL de la côte est du pays devront « se conformer aux normes réglementaires fédérales et provinciales tout en affrontant la concurrence sur le marché mondial », rappelle le ministère fédéral.
« Les promoteurs de tout nouveau projet possible de gaz naturel liquéfié devraient intégrer des considérations liées à la transition énergétique dans la conception des projets, comme des plans de transition vers la production et l’exportation d’hydrogène », indique également Ressources naturelles Canada.
Le Canada et l’Allemagne doivent d’ailleurs signer la semaine prochaine, à Terre-Neuve-et-Labrador, un accord sur le développement de cette filière énergétique. Concrètement, il est question d’y construire une centrale énergétique où l’énergie éolienne sera utilisée pour produire de l’hydrogène et de l’ammoniac destinés à l’exportation. Il s’agirait donc d’hydrogène « vert », puisque sa production ne nécessitera pas d’énergies fossiles, contrairement à l’hydrogène « bleu », qui implique le recours au gaz naturel.
L’Allemagne envisageait déjà l’hydrogène comme solution énergétique dans son plan climatique avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine en février dernier. Mais cette guerre a accéléré la volonté de transition de la première puissance économique d’Europe, qui souhaite mettre un terme à l’utilisation du charbon à l’horizon 2030. Les partisans de l’accord sur l’hydrogène affirment donc qu’il arrive à un moment charnière pour lancer le développement de l’industrie canadienne de l’hydrogène vert.
Des projets de GNL
On compte par ailleurs quatre projets potentiels de production de GNL dans l’est du Canada, répartis dans quatre provinces. Selon les réponses obtenues auprès de leurs promoteurs, le contexte serait favorable au développement de nouveaux terminaux d’exportation du gaz naturel canadien vers l’Europe.
Malgré le rejet de GNL Québec par les autorités fédérales et provinciales, les promoteurs estiment que le projet Énergie Saguenay continue à « susciter un profond intérêt et à être idéalement positionné pour aider nos alliés transatlantiques à trouver une solution à leurs enjeux géopolitiques et climatiques, tout en présentant ce que le Canada et le Québec ont de meilleur à offrir ».
Selon ce qu’affirme l’entreprise par courriel, l’Allemagne pourrait bénéficier de ce GNL afin de « diversifier » ses approvisionnements énergétiques.
Preuve de la volonté de GNL Québec de poursuivre ses efforts de promotion, l’entreprise a inscrit un total de quatre « communications » au registre fédéral des lobbyistes depuis un mois. Ces communications ont eu lieu au cours des mois de juin et de juillet. La plus récente communication remonte au 8 juillet dernier. Le président de GNL Québec, Tony Le Verger, a alors échangé avec un conseiller de l’ambassade du Canada en Allemagne. Plus tôt cette année, il avait aussi inscrit une communication avec Stéphane Dion, qui était alors l’ambassadeur du Canada en Allemagne.
Trois autres projets d’exportation de GNL sont en processus de développement dans l’est du pays. En Nouvelle-Écosse, l’entreprise Pieridae Energy envisage ainsi d’implanter une usine flottante de liquéfaction. La réalisation de ce projet pourrait impliquer l’utilisation du réseau « Trans Québec & Maritimes » (TQM), qui traverse le sud du Québec. Pieridae Energy n’a pas répondu aux questions du Devoir.
Un autre projet, situé au Nouveau-Brunswick, pourrait aussi utiliser le gazoduc TQM : Saint John LNG. Il s’agit du projet le plus avancé des trois proposés, puisque la multinationale Repsol y détient déjà un terminal permettant l’importation de gaz naturel liquéfié. Dans une réponse écrite, l’entreprise assure qu’il existe « un fort intérêt pour ce projet » de liquéfaction, mais sans préciser davantage si des discussions ont été entamées avec d’éventuels partenaires européens ou allemands.
Le dernier projet proposé sur la côte Est pourrait voir le jour à Terre-Neuve-et-Labrador. L’entreprise LNG Newfoundland envisage d’y implanter une usine flottante de liquéfaction qui serait reliée à des zones de production gazière situées au large de l’île. Le gaz serait transporté grâce à un gazoduc sous-marin de 600 kilomètres.
Président et chef de la direction de LNG Newfoundland, Leo Power estime que la visite du chancelier Olaf Scholz est « une excellente opportunité » pour présenter les projets de GNL en développement dans l’est du pays. « La mesure la plus efficace que le Canada peut prendre pour s’attaquer à la crise énergétique en Allemagne et en Europe est d’aider à l’exportation massive de GNL à faible empreinte carbone », soutient-il dans une réponse écrite au Devoir. L’entreprise se dit d’ailleurs prête à envisager tout projet de partenariat avec l’Allemagne afin d’y expédier du GNL dès 2030.
Dans le cadre d’une présentation mercredi matin, des experts et des représentants de groupes environnementaux ont plutôt pressé le fédéral de dire non à la construction de nouvelles infrastructures de production et d’exportation de GNL. De tels projets sont incompatibles avec les objectifs climatiques du Canada et de la communauté internationale, ont-ils soutenu.
« Contrairement à ce que prétend l’industrie fossile, le Canada ne sauvera pas l’Allemagne avec du gaz. Plutôt que d’investir temps, ressources et crédibilité à faire la promotion d’une source d’énergie pour laquelle nous n’avons plus de temps, le gouvernement canadien devrait réfléchir à comment il peut contribuer à aider l’Allemagne à accélérer sa transition énergétique », fait aussi valoir Caroline Brouillette, directrice des politiques nationales du Réseau action climat Canada, qui regroupe plusieurs organisations au pays.