Les recommandations du GIEC en 10 idées concrètes

Quelques pistes de réflexion pour diminuer les GES au Québec.
Photo: Josh Edelson Agence France-Presse Quelques pistes de réflexion pour diminuer les GES au Québec.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) offre une foule de pistes et de principes pour réduire de manière draconienne les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces dix idées concrètes, inspirées de ce rapport, sont des politiques, des règlements ou des lois qu’un gouvernement du Québec pourrait adopter afin de s’atteler sérieusement à freiner la crise climatique.

Interdire l’installation de systèmes de chauffage au gaz naturel

Les bâtiments pourront approcher la carboneutralité en 2050 « grâce à des politiques publiques combinant d’ambitieuses mesures de sobriété, d’efficacité énergétique et de soutien aux énergies renouvelables ainsi qu’en levant les obstacles à la décarbonisation ». — GIEC

Depuis cette année, il est interdit, au Québec, d’installer un système de chauffage au mazout dans les nouveaux bâtiments résidentiels. Dès 2024, il sera également interdit d’installer de tels systèmes de chauffage dans les bâtiments résidentiels déjà existants.

Pourquoi ne pas aller plus loin et appliquer ce règlement à l’ensemble des combustibles fossiles et, donc, au gaz naturel ? C’est la proposition de Jean-Pierre Finet, un analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie.

La gestion de la pointe d’électricité lors des grands froids, en hiver, n’est pas un argument valable pour continuer d’autoriser l’installation de nouvelles chaudières au gaz, croit M. Finet. Il propose de commencer dès maintenant à installer des accumulateurs thermiques, qui représentent une solution économique et écologique pour réduire la demande en électricité lors des pointes de demande.

Au Québec, une maison qui se chauffe au gaz naturel émet en moyenne près de 10 tonnes de CO2 dans l’atmosphère par année.

Augmenter les tarifs d’électricité

« Réduire les GES dans l’ensemble du secteur énergétique exige des transitions majeures, incluant […] un virage vers l’efficacité et la conservation énergétique. » — GIEC

Le Québec, potentielle « batterie verte » de l’Amérique du Nord, gagnerait à alimenter en hydroélectricité ses voisins qui carburent au gaz ou au charbon. Toutefois, avec ses surplus d’électricité qui fondent comme neige au soleil, comment y arriver ?

« Lorsque le coût de quelque chose est maintenu artificiellement bas, les gens ont tendance à le gaspiller », souligne Francisco Toro, le fondateur de l’organisme Vive la ruelle. Ce résident de Montréal, qui se passionne pour la transition écologique, soumet ainsi l’idée de mettre fin à la « subvention implicite des tarifs d’électricité ».

Augmenter considérablement les prix de l’électricité rendrait rentables certaines mesures d’efficacité énergétique. Par exemple, les thermopompes électriques sont trois ou quatre fois plus efficaces que les calorifères électriques. Ces appareils coûtent cependant cher à l’achat. Une augmentation des tarifs pousserait les consommateurs à s’en équiper, ce qui libérerait de précieux kilowattheures.

En bout de piste, les clients ne débourseraient pas plus s’ils arrivent à réduire leur consommation de la même hauteur que la hausse des tarifs. De plus, grâce aux nouveaux profits engrangés par Hydro-Québec, le gouvernement pourrait épauler les ménages les moins nantis.

Établir la taxe foncière selon la valeur des terrains

 

« Les villes qui grandissent rapidement peuvent éviter des émissions futures en regroupant les emplois et l’hébergement, de manière à créer un aménagement urbain compact. » — GIEC

Créer des villes compactes. Le débat sur la densification fait rage au Québec. Toutefois, au-delà des bonnes intentions, quels changements structurels devrait-on mettre en place pour concrétiser cette transformation urbanistique ? Une avenue possible serait de réformer l’impôt foncier.

À l’heure actuelle, la Loi sur la fiscalité municipale du Québec édicte que les taxes municipales sont déterminées à partir de la valeur des propriétés. Toutefois, cela encourage les municipalités à favoriser un infini développement du territoire, ce qui rend plus difficile le développement des transports actif et collectif dans ces quartiers.

Francisco Toro, de l’organisme Vive la ruelle, évoque l’idée de calculer l’impôt foncier à partir de la valeur des terrains (et donc d’exclure la valeur des bâtiments). Les terrains accueillant des logements multiples profiteraient donc de taxes municipales réduites par rapport à une maison unifamiliale occupant le même espace.

« Une taxe sur la valeur de la terre décourage fortement le sous-développement des terrains urbains les plus précieux », écrit M. Toro dans un courriel. Il prévoit que les stationnements dans les quartiers centraux feraient rapidement l’objet d’une taxe prohibitive qui provoquerait leur conversion en habitations.

Faire payer le transport en commun par les employeurs

 

* Une idée testée dans l’État de Washington

« Les stratégies permettant aux villes de réduire grandement leurs émissions de GES incluent […] un soutien aux modes de transport non motorisés (par exemple, la marche et le vélo) et collectifs. » — GIEC

À Seattle, le transport en commun connaissait juste avant la pandémie une croissance fulgurante. La recette du succès : mettre le fardeau du transport collectif sur les employeurs. Fanny Tremblay-Racicot, une spécialiste du transport urbain à l’École nationale d’administration publique, croit que le Québec devrait s’inspirer de ce modèle.

Dans l’État de Washington, depuis 1991, les entreprises de 100 personnes et plus doivent embaucher des agents pour améliorer les habitudes de transports de leurs employés. Elles doivent aussi se fixer des objectifs et envoyer un rapport de leurs progrès à leur municipalité tous les deux ans.

Pour arriver à améliorer leurs performances, la majorité des grands employeurs de Seattle offrent depuis des années un abonnement de transport en commun à leurs employés. En fait, depuis 2021, ils n’ont plus le choix : l’administration municipale oblige les employeurs de 20 personnes et plus à payer le transport en commun ou une navette à leur main-d’oeuvre.

Les sommes versées par les employeurs assurent désormais une part importante du financement des sociétés de transport locales. Cette masse critique facilite les investissements dans le réseau et la mise en place d’une tarification pour les plus démunis et les étudiants.

Rendre le gouvernement légalement responsable de l’atteinte des cibles

* Une idée testée au Royaume-Uni

 

« La gouvernance climatique permet l’atténuation [des changements climatiques] en fournissant une orientation générale, en fixant des objectifs, en intégrant l’action climatique dans tous les domaines politiques, en renforçant la certitude réglementaire, en créant des organisations spécialisées et en créant le contexte pour mobiliser des financements. » — GIEC

Échouer à réduire les GES ne doit plus être une fatalité tolérée. Au Royaume-Uni, une loi tient responsable le gouvernement de l’atteinte de ses cibles climatiques depuis 2008. Si Londres ne se conforme pas à ses objectifs tous les cinq ans, les tribunaux ont tout le loisir de le blâmer.

Caroline Brouillette, la directrice des politiques nationales de Climate Action Network Canada, croit qu’une telle loi contraignante en matière climatique pourrait faire une différence tangible au Québec.

La loi britannique s’appuie sur un comité scientifique indépendant. « Le Climate Change Committee, c’est une institution crédible, avec un budget important et de nombreux employés. Quand il se prononce, on respecte son impartialité », observe Mme Brouillette.

« L’objectif de la loi britannique, c’est vraiment de dépolitiser les questions climatiques. Elle s’applique, peu importe qui est au pouvoir. » Le pays est en voie de dépasser l’objectif de son troisième budget carbone quinquennal, qui s’achève cette année. Ses émissions ont diminué de 47 % depuis 1990.

Certes, depuis 2020, le Québec dispose d’une loi sur la gouvernance de la lutte contre les changements climatiques. Toutefois, celle-ci n’impose pas des objectifs contraignants au gouvernement. Elle instaure un comité consultatif sur les changements climatiques, mais celui-ci n’a qu’un « poids symbolique » dans la prise de décision, critique Mme Brouillette.

Interdire la publicité

 

« L’architecture des choix peut aider les utilisateurs à sélectionner des options à faible intensité en matière de GES, comme […] une consommation durable fondée sur des produits à longue durée de vie et réparables. » — GIEC

Pour la première fois dans son dernier rapport, le GIEC parle de « sobriété ». Il s’agit d’utiliser moins de matériaux, moins d’énergie, moins de territoire tout en assurant le bien-être de tous les humains. « L’architecture des choix », c’est-à-dire la manière dont on présente les options aux consommateurs, est l’une des stratégies conseillées par les experts pour y arriver.

« Supprimer la publicité, c’est l’un des premiers gestes qu’on devrait faire », estime François Delorme, un économiste de l’environnement à l’Université de Sherbrooke. Depuis 1980, au Québec, il est interdit de faire de la publicité destinée aux moins de 13 ans. « Les adultes peuvent parfois être comme de grands enfants », observe-t-il.

Déjà, plusieurs souhaitent interdire la publicité des véhicules utilitaires sports (VUS). Toutefois, M. Delorme croit que l’on pourrait réfléchir à un bannissement à plus large portée afin de freiner l’ensemble de la surconsommation. « La publicité est un moteur extrêmement puissant pour susciter des besoins inutiles qui s’inscrivent dans une logique de croissance économique », estime-t-il.

Le matériel électronique, les meubles, l’équipement ménager et les vêtements comptent pour près de 10 % des émissions de GES des ménages québécois. Les véhicules, les pièces et les services qui y sont liés — excluant l’essence — représentent un autre 10 %.

Imposer des mesures d’écofiscalité fortes sur les véhicules à essence

« Un vaste ensemble d’instruments réglementaires se sont montrés efficaces pour réduire les émissions de certains secteurs », notamment celui des véhicules.— GIEC

Comment dompter les émissions du transport routier, l’éléphant dans la pièce ? Une partie de la solution relève certainement de l’écofiscalité. On entend par là les mesures économiques qui découragent les comportements néfastes au profit des comportements bénéfiques pour l’environnement.

Le Québec intègre déjà certains de ces principes. L’essence est taxée. Les véhicules électriques sont subventionnés. Les droits d’immatriculation sont majorés pour les cylindrées de 4 litres et plus. Malgré cela, les ventes de VUS sont plus nombreuses que jamais.

Une taxe à l’achat de « plusieurs milliers de dollars » sur les véhicules polluants pourrait avoir un réel effet dissuasif, estime Annie Levasseur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mesure de l’impact des activités humaines sur les changements climatiques à l’ETS.

En France, un système de malus s’applique aux véhicules en fonction de leurs émissions. Pour une voiture consommant 8 litres par 100 km, par exemple, la taxe à l’achat s’élève à 10 000 euros. À Singapour, une taxe prohibitive sur les véhicules existe depuis des années. Une Toyota Corolla y coûte 125 000 $.

Avec l’écofiscalité, il est question de prendre, mais aussi de redonner. Mme Levasseur favoriserait un soutien au transport en commun, notamment en région. « Le prix semble très cher quand on regarde un projet de transport en commun, mais quand tu le ramènes en dollar par CO2, ça ne l’est pas. Et ça fait quelque chose de plus structurant », soutient-elle.

Instaurer un moratoire sur les nouvelles autoroutes

 

« Toutes les trajectoires modélisées limitant le réchauffement mondial à 2 °C impliquent des réductions rapides, profondes et, dans la plupart des cas, immédiates des GES dans tous les secteurs. » — GIEC

Les villes du Québec s’agrandissent à une vitesse ahurissante. Dans la province, l’étalement urbain est neuf fois plus important qu’il y a 50 ans. Cette croissance incontrôlée allonge les trajets quotidiens des navetteurs et pose des barrières aux transports collectif et actif.

En mai dernier, le Comité consultatif sur les changements climatiques, un organisme indépendant et encadré par la loi québécoise, recommandait au gouvernement de suspendre le développement des autoroutes en zone urbaine et périurbaine, jusqu’à la mise en place d’un mécanisme public d’évaluation des répercussions en matière de transport de tels projets.

L’aménagement du territoire peut avoir « vraiment beaucoup d’impact » pour le climat, souligne Annie Levasseur, professeure à l’ETS et membre du comité. Pourtant, observe-t-elle, quelques semaines après l’avis des experts, le gouvernement franchissait de nouvelles étapes dans le prolongement de l’autoroute 25, dans Lanaudière.

Allonger les garanties légales des biens

 

« Réduire les émissions du secteur industriel impliquera […] la gestion de la demande, l’efficacité énergétique et des matériaux, des flux circulaires de matériaux et des avancées technologiques. » — GIEC

La production d’acier, de ciment, de plastiques et d’autres matériaux ne cesse d’augmenter dans le monde. Pour juguler les émissions de ces industries, il faut consommer moins et mieux.

Une manière d’y parvenir pour un gouvernement serait d’allonger la garantie légale des électroménagers à 40 ans, souligne Pierre Racicot, le p.-d.g. de Villes et régions innovantes, un réseau québécois qui tente d’orchestrer un virage vers l’économie circulaire. « C’est une mesure qui permettrait de casser l’obsolescence programmée », dit-il.

Le gouvernement pourrait par ailleurs imposer aux entreprises d’offrir des pièces de rechange pendant plusieurs années. Ces règles rendraient les réparateurs plus nombreux et mieux outillés. Voilà un premier pas vers la mise en place d’une économie circulaire qui, dans chaque région, ne laisserait aucun déchet ni GES derrière, explique M. Racicot.

La mesure pourrait évidemment aller plus loin et toucher davantage de produits que les électroménagers. En France, par exemple, une consultation citoyenne proposait en 2020 d’allonger à cinq ans la durée de la garantie sur les produits électroniques.

Enlever des allocations gratuites sur le marché du carbone

 

« La tarification du carbone a encouragé la mise en place de mesures de réduction des émissions à faible coût, mais a été peu efficace […] pour promouvoir les mesures plus coûteuses nécessaires pour réaliser des réductions supplémentaires des émissions. » — GIEC

Le Québec dispose depuis 2013 d’un outil censé être très efficace pour réduire ses émissions de GES : un marché du carbone. Toutefois, ses émissions sont en augmentation depuis. L’instrument est-il défectueux ?

Aaron Cosbey, un économiste canadien du groupe de réflexion International Institute for Sustainable Development, propose de réduire le nombre d’allocations gratuites offertes sur le marché du carbone québécois.

Chaque année, les grands émetteurs bénéficient d’un certain nombre de tonnes de CO2 « gratuites ». S’ils veulent émettre plus de GES, ils doivent acheter des unités supplémentaires. En théorie, les allocations gratuites permettent de réduire la pression sur les entreprises afin qu’elles ne délocalisent pas leurs activités et échappent ainsi au marché du carbone.

« Ça, c’est la théorie, dit M. Cosbey. En pratique, si vous offrez des allocations gratuites, les compagnies n’ont plus les incitatifs pour adopter des technologies disruptives qui puissent les mettre sur la trajectoire de la carboneutralité en 2050. » Offrir trop d’allocations gratuites favorise par ailleurs un faible prix du carbone.

Le gouvernement du Québec est justement en train de réformer sa politique d’allocations gratuites afin de s’aligner sur ses objectifs carboniques pour 2030. M. Cosbey croit qu’il devrait fortement réduire leur nombre et mettre de la pression sur le fédéral pour faire de même — sans quoi la délocalisation des pollueurs aura lieu à l’intérieur du pays.

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