Environnement Canada enquête sur le fauchage du «Champ des monarques»

Des oiseaux morts ont été trouvés sur le site. «C’est certain qu’il y avait des nids» au moment de la tonte, souligne François Rioux, de Technoparc Oiseaux, qui connaît très bien le secteur et les espèces qui le fréquentent. 
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Des oiseaux morts ont été trouvés sur le site. «C’est certain qu’il y avait des nids» au moment de la tonte, souligne François Rioux, de Technoparc Oiseaux, qui connaît très bien le secteur et les espèces qui le fréquentent. 

Environnement Canada a ouvert « un dossier » après avoir réalisé une inspection sur le terrain en friche qui a été fauché récemment par Aéroports de Montréal (ADM), et ce, sans avoir obtenu d’autorisation de la part du gouvernement fédéral, qui en est le propriétaire. Ce milieu vert est considéré comme un habitat important pour le papillon monarque, mais aussi pour des dizaines d’espèces d’oiseaux.

Le Devoir a pu constater, mercredi, qu’une bonne partie de la végétation de cette friche a bien été rasée récemment, et ce, à l’aide d’une machinerie qui a laissé des traces de pneus à divers endroits, notamment dans un secteur qui était possiblement un milieu humide temporaire.

Même si des milliers de plants d’asclépiades auraient été coupés par la même occasion à la fin du mois de juin, plusieurs repousses étaient bien visibles, et ce, un peu partout sur ce terrain surnommé « le champ des monarques ». Il faut savoir qu’il s’agit de l’unique plante dont se nourrissent les chenilles des papillons monarques, une espèce inscrite sur la liste des espèces en péril au Canada.

C’est l’organisme Technoparc Oiseaux, qui milite pour la protection du secteur, qui a alerté Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) après avoir constaté la tonte sur ce terrain loué par ADM à Transports Canada.

Le ministère fédéral a alors dépêché un inspecteur sur le site, où des oiseaux morts auraient notamment été trouvés. La coupe a en effet eu lieu au moment de la période de nidification de plusieurs espèces, dont certaines nichent au sol ou dans des bosquets. « C’est certain qu’il y avait des nids », souligne François Rioux, de Technoparc Oiseaux, qui connaît très bien le secteur et les espèces qui le fréquentent.

À la lumière de ce qui a été constaté par l’inspecteur, ECCC a décidé d’ouvrir « un dossier », selon ce que le ministère a confirmé au Devoir. « Il serait inapproprié de fournir plus d’information pour le moment, et ce, afin de ne pas nuire à l’avancement du dossier », a-t-on ajouté dans la réponse fournie par courriel après des demandes répétées sur une période d’une semaine.

L’inspection a été menée en vertu de la « Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs », a précisé ECCC. Celle-ci interdit formellement « de nuire aux oiseaux migrateurs et de déranger ou de détruire leurs nids ou leurs oeufs et ce partout au Canada ». Le « champ des monarques » sert justement d’habitat, de site de nidification ou de lieu de passage à plus de 150 espèces d’oiseaux, dont plusieurs espèces migratrices protégées par cette loi.

Aucune autorisation

 

ADM n’a pas demandé ni reçu d’autorisation avant de faucher la végétation sur ce terrain, a indiqué ECCC. De toute façon, « les règlements ne fournissent pas d’autorisation ou de permis pour des activités, comme celles mises de l’avant ici, qui peuvent par mégarde tuer ou faire du tort aux oiseaux migrateurs, ou encore détruire ou déranger leurs nids ou leurs oeufs ».

Dans une réponse écrite, ADM a plutôt affirmé mercredi qu’elle a « un devoir d’entretien de ses installations », notamment pour « ses espaces végétalisés ». Elle a donc procédé à la coupe pour faucher « l’herbe à poux » sur le terrain en question. Selon l’entreprise, aucune autorisation n’était nécessaire pour effectuer ces activités.

« Rappelons qu’il n’y a pas de “champ de monarques” à cet endroit précis. Le terrain en question est une terre en friche, zonée industrielle, où était situé jadis un golf. Aucune espèce sensible, habitat sensible ou zone protégée n’est présent dans ce secteur », a fait valoir ADM. La liste des espèces d’oiseaux observées dans le secteur comprend toutefois des espèces en péril.

Est-ce qu’Aéroports de Montréal compte réaliser un projet de développement dans cet espace vert ? « Si ADM décidait de procéder, cela serait fait en collaboration avec un partenaire pour qui la contribution au développement économique vaut tout autant que la cohabitation harmonieuse avec le milieu », a-t-on fait valoir.

Le député néodémocrate Alexandre Boulerice, qui a rencontré ADM cette semaine, estime que les coupes réalisées ont été très « dommageables » pour les espèces qui utilisent cet habitat, qui fait partie d’espaces verts qui ont subi un très fort déclin sur l’île de Montréal au cours des dernières années. Selon lui, il existe bel et bien une volonté de développement industriel sur le site.

D’après Technoparc Oiseaux, le gouvernement Trudeau devrait donc aller de l’avant avec la protection de ce secteur, surtout dans un contexte où Montréal doit accueillir plus tard cette année la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15). L’objectif de cette rencontre internationale est de fixer des balises pour augmenter substantiellement la protection des milieux naturels et des espèces qui y vivent.

Le papillon monarque « en voie de disparition » ?

Le papillon monarque a actuellement un statut d’espèce « préoccupante », en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Cette situation ne permet pas au gouvernement fédéral d’intervenir pour protéger son habitat jugé essentiel. Mais les choses pourraient changer au cours de la prochaine année, a appris Le Devoir.

Environnement et Changement climatique Canada a en effet terminé les consultations « concernant le changement de statut proposé » pour cette espèce. Une « décision » est d’ailleurs attendue « d’ici le printemps 2023 ». Celle-ci devrait s’appuyer sur les recommandations du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, qui évalue et désigne les espèces sauvages qui risquent de disparaître au pays.

Or, ce dernier a classé ce papillon comme étant « en voie de disparition » dès 2016. Si le fédéral va dans ce sens, il aura alors l’obligation de mettre en oeuvre un programme de rétablissement qui inclurait la protection de l’habitat essentiel de l’espèce.



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