Possible pour la fonderie Horne de réduire ses émissions d’arsenic sans fermer boutique?

Est-il possible de réduire les émissions d’arsenic de la fonderie Horne à « des niveaux acceptables », comme le demandent les autorités sanitaires, sans devoir carrément fermer boutique ? Tout est une question de coût, répondent des spécialistes de la métallurgie.
Les enjeux sont grands : la fonderie située à Rouyn-Noranda produit chaque année 200 000 tonnes d’anodes de cuivre — un métal essentiel à la transition énergétique — dont la valeur oscille entre 2 et 3 milliards. Le minerai utilisé provient des quatre coins de la planète.
Toutefois, ses émissions polluantes donnent le cancer du poumon à la population locale. La fonderie, qui appartient à la multinationale Glencore, bénéficie actuellement d’un permis spécial lui permettant d’émettre 30 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme québécoise, qui est de 3 ng/m3.
Une première option pour réduire les émissions d’arsenic consisterait à tout simplement accepter du minerai de cuivre plus « propre ». Cependant, la raréfaction des gisements de bonne qualité sur la Terre fait en sorte que, ces 20 dernières années, le minerai de cuivre est de plus en plus riche en arsenic.
Par ailleurs, pour les fonderies, il est plus payant de traiter ces minerais « complexes », riches en arsenic, car elles peuvent imposer des frais supplémentaires pour leurs services, explique Jean-François Boulanger, un professeur en métallurgie extractive des éléments critiques et stratégiques à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
« Jusqu’où Glencore va-t-elle aller pour traiter des concentrés plus propres et faire moins de profits ? C’est dur à dire », dit M. Boulanger. Seulement une poignée d’installations dans le monde, dont la fonderie Horne, traitent du minerai fort en arsenic, selon une analyse de la firme McKinsey produite en 2019.
Modernisation en cours
La fonderie Horne peut aussi réduire ses émissions d’arsenic en captant les gaz et les poussières émises par ses activités, ou encore en empêchant leur dissémination depuis les cuves. Pour l’essentiel, c’est sur cette stratégie que Glencore mise actuellement.
Dans une fonderie de cuivre, le minerai est chauffé à très haute température dans une série de réacteurs afin de séparer le cuivre, le fer et le soufre. L’arsenic est une impureté du minerai. La chaleur extrême des réacteurs fait en sorte qu’il se volatilise. En refroidissant, les vapeurs d’arsenic peuvent se condenser et créer des poussières toxiques.
Certains réacteurs de la fonderie Horne fonctionnent en continu. Leurs émanations peuvent donc être canalisées et aspirées sans interruption. D’autres réacteurs doivent périodiquement être chargés et déchargés de métal en fusion. Ces manipulations génèrent des émissions « fugitives » qui, selon Glencore, sont considérables à l’usine abitibienne.
L’entreprise a présenté en 2020 une mise à jour de son plan d’action pour réduire les émissions de la fonderie Horne. Plusieurs mesures y sont détaillées, dont le projet VELOX/PHENIX de modernisation des vaisseaux métallurgiques (réacteurs à haute température), nécessitant des investissements de 170 millions.
Ce projet déjà en branle consiste à remplacer certains vieux vaisseaux métallurgiques, pour lesquels la capture des gaz était difficile, par des vaisseaux modernes, en fonte, dont le niveau d’étanchéité est plus élevé. Ces nouveaux équipements réduisent par ailleurs les manipulations, ce qui réduit les émissions fugitives. En tout, ce projet permettrait de réduire de 10 à 15 % les émissions d’arsenic.
D’autres projets concernent la captation des émanations qui flottent dans l’usine. Il s’agit de filtrer l’air qui passe par les évents du toit du bâtiment. Glencore prévoit des réductions à court terme de 8 à 20 % des émissions d’arsenic par ces moyens. D’autres mesures visent à réduire l’exposition de la population aux contaminants en agissant hors des murs de la fonderie.
« C’est certain que leur plan va aider, estime Philippe Ouzilleau, un professeur en métallurgie de l’Université McGill. La question, vraiment, c’est de savoir à quel niveau ça va réduire les émissions d’arsenic. Est-ce qu’ils vont atteindre 60 ou bien 20 ng/m3 ? Malheureusement, c’est impossible de le dire en ce moment. »
« Un bon bout de chemin »
Pour aller au-delà de la stratégie actuelle — plutôt « classique » —, les propriétaires de la fonderie de Rouyn-Noranda pourraient envisager des procédés métallurgiques plus sophistiqués, fondés par exemple sur le charbon actif. Certaines approches développées par l’industrie du fer pourraient être transférables à l’industrie du cuivre, croit M. Ouzilleau.
« Tout est une question de coût : jusqu’où est-on prêt à payer pour réduire l’arsenic ? » demande-t-il. Les investissements vont ainsi dépendre de la cible fixée par le gouvernement pour les émissions d’arsenic. Si les méthodes existantes ne permettent pas de l’atteindre, d’autres technologies peuvent toujours venir en renfort.
Le projet VELOX/PHENIX constitue un « bon effort », dit également Jean-François Boulanger. « Mais disons qu’il y a un bon bout de chemin à faire entre ce que certains demandent — la norme québécoise du 3 ng/m3 — et le potentiel de cette seule solution. » Il estime qu’un ensemble d’avenues, y compris des nouvelles, devront être considérées pour y arriver.
M. Boulanger vient d’ailleurs de faire une demande de financement pour un projet de recherche qui pourrait contribuer à diminuer les émissions d’arsenic de la fonderie Horne.
Il s’agit d’un prétraitement chimique du concentré de cuivre, avant son entrée dans la fonderie, lors duquel des éléments critiques, tels que du tellure et de l’antimoine, seraient récupérés. Le procédé permettrait également d’extraire de l’arsenic. « On peut donner un coup de pouce pour enlever une partie de l’arsenic », dit le professeur.
La fonderie Horne fait partie des trois partenaires industriels de ce projet de recherche. Une usine américaine a déjà utilisé ce procédé dans le passé, mais aucune fonderie ne l’intègre actuellement. Dans le meilleur des scénarios, un déploiement industriel à Rouyn-Noranda aurait lieu d’ici dix ans.
Deux options pour la fonderie, dit Legault
À Saint-Michel, en Montérégie, le premier ministre François Legault a précisé jeudi dans quelle mesure son gouvernement était prêt à aider Glencore à moderniser la fonderie Horne pour diminuer ses rejets d’arsenic. « La majeure partie du montant devra être payée par l’entreprise », a-t-il dit lors d’une conférence de presse webdiffusée par la Coalition avenir Québec à l’occasion de l’annonce d’une candidature. Le premier ministre a rappelé que l’opération nécessiterait des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars. L’entreprise a estimé mercredi qu’elle contribuait à hauteur de 500 millions de dollars au produit intérieur brut du Québec chaque année.
M. Legault a accusé le précédent gouvernement libéral d’avoir autorisé un niveau de rejets trop élevé, à 100 ng/m3, en 2017. L’entente avec Glencore, d’une durée de cinq ans, est en cours de révision. « Oui, en bout de ligne, c’est le gouvernement qui va décider, mais sur recommandation de la Santé publique, a-t-il dit. On va prochainement fixer un niveau. L’entreprise va avoir deux choix : ou elle ajuste ses façons de produire pour respecter la nouvelle norme ou elle ne pourra pas opérer. »
Alexandre Robillard