Porte ouverte à l'exportation de ​gaz naturel dans l’est du Canada

Alors que l’Europe vient de classer le gaz naturel dans la catégorie des énergies bénéfiques pour la lutte contre la crise climatique, au moins trois projets d’exportation de gaz liquéfié ont le potentiel de voir le jour dans l’est du Canada. Des projets auxquels pourrait s’ajouter GNL Québec, qui poursuit ses efforts de lobbying à Ottawa. Les nouveaux terminaux devraient toutefois s’inscrire dans la « transition énergétique », affirme le gouvernement Trudeau.

Les membres de l’Union européenne ont confirmé mercredi que le gaz naturel pouvait désormais être considéré comme une énergie « verte » nécessaire pour réduire la dépendance au charbon et les émissions de gaz à effet de serre. Au moment où l’Europe cherche des moyens de se passer du gaz russe, les pays ont du même coup plaidé pour l’achat de cette ressource auprès de « pays sûrs ».

Ce texte est publié via notre Pôle environnement.

Le Canada, cinquième producteur mondial, souhaite d’ailleurs devenir un fournisseur des pays européens, en misant sur la construction de nouveaux terminaux de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). « Nous avons récemment mis sur pied un groupe de travail sur le GNL avec l’Union européenne pour explorer les possibilités qui s’offrent au Canada dans ce domaine », précise Ressources naturelles Canada par courriel.

S’il fait aujourd’hui valoir sa volonté de contribuer à la « sécurité énergétique » de l’Europe dans un contexte de guerre en Ukraine, le gouvernement Trudeau avait déjà signé en mars 2021 un « partenariat énergétique » avec l’Allemagne qui soulignait que le GNL faisait partie du développement de « l’énergie propre ». Un mois avant le début de l’invasion russe, le Canada et l’Allemagne ont d’ailleurs organisé une rencontre consacrée au développement de l’industrie gazière et des projets de GNL.

Un des projets présentés lors de cette rencontre, Goldboro LNG, fait partie des trois terminaux d’exportation qui sont actuellement « proposés » sur la côte est, selon les informations transmises au Devoir par Ressources naturelles Canada. L’entreprise Pieridae Energy, qui a déjà été active dans l’exploration pétrolière en Gaspésie, envisage ainsi d’implanter une usine flottante de liquéfaction en Nouvelle-Écosse. La réalisation de ce projet pourrait impliquer l’utilisation du réseau « Trans Québec & Maritimes » (TQM), qui traverse le sud du Québec.

Un autre projet, situé au Nouveau-Brunswick, pourrait aussi utiliser le gazoduc TQM : Saint John LNG. Il s’agit du projet le plus avancé des trois proposés, puisque la multinationale Repsol y détient déjà un terminal permettant l’importation de gaz naturel liquéfié. En réaction aux questions du Devoir, l’entreprise fait valoir qu’elle analyse les « opportunités » pour répondre à la demande du marché et « soutenir la transition énergétique ». Elle n’exclut pas l’idée d’ajouter des capacités de « liquéfaction » à ses installations existantes.

Le troisième projet évoqué par Ressources naturelles Canada sur la côte est pourrait voir le jour à Terre-Neuve-et-Labrador. L’entreprise LNG Newfoundland envisage d’y implanter une usine flottante de liquéfaction qui serait reliée à des zones de production gazière situées au large de l’île. Le gaz serait transporté grâce à un gazoduc sous-marin de 600 kilomètres.

« Je crois que la demande pour une énergie faible en carbone en Europe représente une énorme perspective économique pour le Canada », fait valoir au Devoir son p.-d.g., Leo Power. Il rappelle d’ailleurs que le partenariat énergétique signé avec l’Allemagne en 2021 préconise spécialement les projets de GNL, ce dont l’entreprise espère tirer profit.

GNL Québec

 

En plus de ces projets, les promoteurs de GNL Québec poursuivent leurs efforts de lobbying auprès du gouvernement fédéral, malgré le rejet de la première version de leur projet d’usine de liquéfaction et de terminal maritime situé au Saguenay.

Son président, Tony Le Verger, a inscrit trois rapports de communications depuis le début du mois de mai. Dans ceux-ci, on compte trois conseillers politiques du ministre canadien des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson. Un autre rapport concerne une communication avec Stéphane Dion, alors ambassadeur du Canada en Allemagne et auprès de l’Union européenne. Le président du conseil d’administration d’Énergie Saguenay, Jim Illich, a lui aussi inscrit récemment une « communication » avec M. Dion, à ce moment toujours en poste en Allemagne.

« Nous saluons la main tendue du gouvernement canadien à nos alliés européens afin de fournir du GNL responsable et à la plus faible empreinte carbone au monde », fait valoir GNL Québec dans une réponse écrite où l’entreprise présente son projet comme étant « idéalement positionné pour aider nos alliés transatlantiques à trouver une solution à leurs enjeux géopolitiques et climatiques ».

« Transition »

Pour que les nouveaux projets de GNL puissent espérer aller de l’avant, le gouvernement Trudeau affirme cependant que les émissions de gaz à effet de serre liées à l’exploitation gazière devront cadrer avec « les objectifs de réduction » du Canada. Les exportations devront aussi permettre le remplacement des sources plus polluantes, comme le charbon, et s’inscrire dans une « transition énergétique » vers l’exportation d’hydrogène.

Titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau estime que la situation en Europe, et notamment en Allemagne, favorise l’argumentaire en faveur de l’exportation de GNL, qui pourrait, selon lui, servir d’« énergie de transition ». « La situation n’a jamais été aussi favorable, mais ça ne sera pas facile de construire les infrastructures pour acheminer le gaz naturel dans l’est du pays », en raison de l’opposition au Québec.

Directeur scientifique de l’Institut Trottier de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau doute pour sa part de la pertinence de nouveaux terminaux. Il souligne qu’il faudrait plusieurs années et des milliards de dollars d’investissements pour lancer ces projets, alors que la crise climatique impose l’atteinte de la « neutralité carbone » à l’échelle mondiale au plus tard en 2050.

« Le Canada et l’Allemagne discutent d’une entente sur le gaz depuis janvier. Tenter de déguiser leur intérêt en réponse à l’invasion de l’Ukraine est opportuniste », ajoute Caroline Brouillette, du Réseau action climat Canada, en invitant les deux pays à « accélérer le déploiement des sources d’énergie renouvelables telles que l’éolien et le solaire ».



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