Une réserve d’or bleu cachée sous terre à Montréal
Sur la piste d’athlétisme du parc Étienne-Desmarteau, quelques joggeurs trottinent gentiment. Plusieurs d’entre eux ne le savent probablement pas, mais sous leurs foulées se cache le plus grand réservoir d’eau potable de la ville de Montréal, et même du Québec.
Hors service depuis des décennies, le réservoir Rosemont — capable de contenir 220 000 mètres cubes d’eau — a subi une cure de jouvence ces dernières années. La station de pompage adjacente, flambant neuve, fait maintenant couler le précieux liquide dans les veines de l’est de la ville.
Ce texte est publié via notre Pôle environnement.
« C’est surtout pour augmenter la résilience du réseau. Si une station de pompage lâche, Rosemont peut prendre le relais », explique Denis Cochrane, le chef d’orchestre de ce mégaprojet entrepris en 2014 et achevé à l’automne 2021.
Au gré de ses valves, la station peut ainsi alimenter différents secteurs en fonction des besoins. Son eau est puisée dans le fleuve Saint-Laurent à LaSalle. Le liquide, d’abord traité dans l’usine de production d’eau potable d’Atwater, est ensuite pompé vers le réservoir.
La réfection du réservoir Rosemont a d’ailleurs nécessité la construction d’une nouvelle conduite d’approvisionnement 40 mètres sous terre. Le trou de deux mètres de diamètre, creusé par un tunnelier, passe incognito sous la ville. Le tiers du coût des travaux, s’élevant en tout à 190 millions, a été engagé pour construire ce tuyau de quatre kilomètres.

Au bout de la conduite, la pression est suffisante pour remplir le réservoir rosemontois, qui se trouve tout juste sous la piste de course. En fait, le réservoir est divisé en deux sections. Un étroit corridor à leur jonction permet de traverser le fond du bassin à pied. Des murs de béton de 60 centimètres empêchent les milliards de litres d’eau de s’y engouffrer.
La sécurité avant tout
Guidant l’équipe du Devoir, M. Cochrane avance le long de ce chemin. De petites rigoles récoltent les rares gouttes d’eau qui suintent des murs. À l’extrémité, une jauge indique le niveau actuel de l’eau dans le réservoir : 5500 millimètres.

Malgré le gigantisme du réservoir, moins de 48 heures de consommation normale suffiraient à le vider s’il n’était pas rempli en continu. Reste qu’en cas d’urgence, un tel bassin sécurise l’approvisionnement. La menace d’une pénurie d’eau potable avait notamment donné des sueurs froides aux responsables de l’eau à Montréal lors de la crise du verglas de 1998.
L’ensemble des installations a la sécurité comme leitmotiv. Fondations à l’épreuve des secousses sismiques, vitres pare-balles, approvisionnement électrique dédoublé, monstrueuses génératrices au diesel en cas de panne : rien n’est laissé au hasard.
À l’inverse des autres réservoirs de Montréal — situés sur les flancs du mont Royal —, celui de Rosemont n’est pas situé en hauteur. Son eau est donc distribuée au réseau non pas grâce à la gravité, mais par « surpression ». Le liquide peut filer jusqu’à 7 km/h dans les énormes tuyaux d’acier inoxydable de la salle principale.
Par ailleurs, la station de pompage fonctionne en grande partie automatiquement. Des dizaines de caméras permettent aux équipes du complexe Atwater de vérifier que les opérations vont bon train.

Avec le réservoir Rosemont, la métropole dispose d’installations qui répondront à ses besoins pendant des décennies, fait valoir Alain Larrivée, directeur de l’eau potable à la Ville de Montréal. D’autant plus qu’avec le colmatage incessant du réseau d’aqueduc, le volume d’eau potable nécessaire pour alimenter Montréal diminue d’année en année. De 2001 à 2020, la production des usines a diminué de 26 %.
Les Montréalais peuvent s’estimer chanceux d’avoir un tel approvisionnement en eau potable, mais ils doivent être bien conscients que la qualité de cette ressource dépend aussi des activités agricoles et industrielles en amont sur le fleuve. « Il ne faut pas tenir l’eau pour acquise », conclut M. Larrivée.