Un nouveau refuge marin ouvert à l’exploration pétrolière et gazière

Ce texte est tiré de notre infolettre « Le Courrier de la planète » du 28 juin 2022. Pour vous abonner, cliquez ici.
L’exploration pétrolière et gazière n’est pas formellement interdite dans le nouveau « refuge marin » mis en place plus tôt en juin par le gouvernement Trudeau au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, a appris Le Devoir. Ce genre de mesure de protection doit pourtant permettre au Canada de préserver des écosystèmes vulnérables aux activités humaines, mais aussi de respecter ses objectifs de protection des océans.
Le 8 juin dernier, le ministère Pêches et Océans Canada (MPO) a annoncé la création du « Refuge marin des canyons orientaux », une zone de plus de 44 000 km2 située au sud de la Nouvelle-Écosse. Selon le gouvernement fédéral, ce projet a été conçu « pour aider à sauvegarder le milieu marin unique de la région ». Il s’inscrit aussi dans « l’engagement du gouvernement à conserver 25 % des océans du Canada d’ici 2025, et 30 % d’ici 2030 ».
Le MPO dit avoir ciblé la zone à protéger « en fonction des preuves scientifiques » qui démontrent que le secteur compte des « concentrations denses de coraux d’eau froide » formant « des habitats importants qui abritent une vie marine diversifiée ». Ils sont aussi « vulnérables aux perturbations causées par diverses activités maritimes, notamment les pêches de fond, réalisées à l’aide de chaluts, de casiers, et de palangres ». Dans ce contexte, « toutes les pêches de fond commerciales et communautaires seront désormais interdites dans le refuge marin », précise le ministère fédéral.
Forages
L’exploration pétrolière et gazière n’est toutefois pas formellement interdite dans le nouveau refuge marin, même s’il n’y a pas présentement de projet du genre dans la zone ni de permis d’exploration. « La norme de protection pour d’autres mesures efficaces de conservation par zone, y compris les refuges marins, exige que toutes les activités humaines soient évaluées au cas par cas. Certaines activités peuvent être autorisées si les risques qu’elles posent pour la zone sont effectivement évités ou atténués, et si les autres mesures efficaces de conservation par zone continuent de fournir des résultats en matière de conservation de la biodiversité », précise le MPO dans une réponse écrite.
C’est le cas des « activités pétrolières et gazières », qui seraient « assujetties au processus d’évaluation environnementale du Canada pour leurs répercussions ». Le ministère ajoute qu’« à l’avenir, s’il y a des permis ou des activités pétrolières et gazières approuvés dans un refuge marin, mais qu’aucune extraction n’a lieu, la zone de chevauchement continuera de compter pour la cible de conservation marine du Canada ».
Concrètement, cela signifie qu’un secteur où une entreprise réaliserait des forages exploratoires serait toujours comptabilisé comme étant un milieu marin protégé. Cependant, si le gouvernement fédéral autorisait un projet d’exploitation pétrolière ou gazière, la zone serait retirée du refuge marin.
Au début de 2021, le gouvernement Trudeau a autorisé BHP Canada à forer 20 puits d’exploration dans le plus important refuge marin mis en place dans l’est du Canada. Ce secteur de 55 000 km est désigné sous le nom de « Fermeture du talus nord-est de Terre-Neuve ». Le projet avait été déposé par la pétrolière deux mois après la création du refuge marin.
Selon le fédéral, il s’agit d’« une zone d’importance écologique et biologique qui soutient une grande diversité, y compris plusieurs espèces en déclin », dont des cétacés et des poissons. Il est interdit d’y utiliser des engins de pêche qui toucheraient le fond marin, mais pas de faire des forages pétroliers. Une autre entreprise, la pétrolière BP, y détient d’ailleurs aussi des permis d’exploration.
Pour le biologiste Sylvain Archambault, qui analyse ce genre de dossier depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral fait preuve d’incohérence. « La Nouvelle-Écosse pourrait décider de délivrer des permis d’exploration dans le secteur, alors que la protection des milieux marins doit être intégrale et permanente. » Des projets d’exploration situés tout juste au nord de ce nouveau « refuge marin » ont déjà mené à l’exploitation d’énergie fossile.
« Il est inquiétant de constater la précarité du statut de refuge marin au Canada », déplore pour sa part la Société pour la nature et les parcs du Canada section Québec. « Le fait que le gouvernement n’interdise pas la délivrance de permis pétroliers et gaziers au sein des refuges marins laisse la porte ouverte à un retour en arrière en matière de protection. Étant donné que le Canada doit plus que doubler son réseau de protection marine d’ici 2030, cette situation nous préoccupe grandement. »
À l’heure actuelle, 14,6 % des milieux marins canadiens sont protégés, soit 842 821 km2, notamment par l’entremise de refuges marins. Cette forme de protection a été créée par le gouvernement Trudeau. Elle est moins stricte qu’une « aire marine protégée ».
Sylvain Archambault estime d’ailleurs que le Canada devrait privilégier cette dernière mesure de conservation, qui permet de préserver l’ensemble de l’écosystème et de fermer la porte aux activités humaines comme la pêche commerciale, l’exploration pétrolière ou l’exploration minière.