Un début d’opposition à Bay du Nord se fait entendre à Terre-Neuve

Frédéric Cyr, chercheur scientifique de Pêches et Océans, estime que l’évaluation initiale du risque de déversement était tendancieuse.
Photo: Laurianne Croteau Le Devoir Frédéric Cyr, chercheur scientifique de Pêches et Océans, estime que l’évaluation initiale du risque de déversement était tendancieuse.

Après des décennies de silence, des voix s’élèvent à Terre-Neuve-et-Labrador pour critiquer le processus d’évaluation environnementale du mégaprojet pétrolier Bay du Nord, mais aussi son incidence potentielle sur le réchauffement climatique et les stocks de poissons de la province.

Dans la révision d’une ébauche d’étude d’impact environnemental du projet qui date de 2019, huit scientifiques de Pêches et Océans Canada concluent unanimement que le rapport « n’est pas une source fiable d’information pour les processus décisionnels ».

Ce texte est publié via notre Pôle environnement.

Or, c’est le document sur lequel se base l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) pour affirmer que le projet d’exploitation Bay du Nord « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants lorsque les mesures d’atténuation sont prises en compte ».

Frédéric Cyr, chercheur scientifique de Pêches et Océans, estime même que ce rapport est tendancieux. « Les expressions subjectives telles que “relativement rare” et “extrêmement improbable” devraient être supprimées du rapport » lorsqu’il est question de déversements de pétrole, juge-t-il.

« Les auteurs du rapport utilisent des scénarios catastrophes très rares », ajoute-t-il, et mettent de côté les cas de figure plus probables qui pourraient aussi mener à un déversement. Selon les calculs des huit chercheurs, si 40 puits sont forés en 30 ans (le scénario maximal envisagé par Equinor), la probabilité d’un « déversement extrêmement important » est de 16 %.

En réponse à l'ébauche d’étude d’impact environnemental, le scientifique rétorque que « ce n’est pas vrai que ça respecte les plus hauts standards environnementaux ».

Plus de 500 millions de barils

Les groupes environnementaux du reste du Canada n’ont d’ailleurs pas tardé à dénoncer le feu vert octroyé en avril par Steven Guilbeault au projet. Ecojustice, au nom d’Équiterre et de la Fondation Sierra Club Canada, poursuit le ministre fédéral de l’Environnement en justice. L’organisation non gouvernementale soutient que l’exploitation de 300 millions de barils de pétrole en milieu marin va à l’encontre des obligations climatiques du pays.

Ce nombre a d’ailleurs bondi depuis la semaine dernière, quand la porte-parole d’Equinor, Alex Collins, a annoncé que le géant pétrolier estimait dorénavant qu’il pourrait y extraire plus de 500 millions de barils de pétrole brut.

Des factions locales d’ONG canadiennes commencent elles aussi à élever la voix contre l’industrie à Terre-Neuve-et-Labrador, et ce, malgré sa prépondérance dans l’économie de la province.

« C’est sûr qu’on se sent plus comme David que Goliath », admet en riant Yvonne Earle, qui mène la division de la péninsule d’Avalon du Conseil des Canadiens, un organisme citoyen. Les membres de la division de Terre-Neuve ont organisé une manifestation pour protester contre la décision du fédéral et ont participé à une deuxième, organisée par la Fondation Sierra Club Canada.

« C’est important qu’Equinor, ses actionnaires et les gouvernements sachent qu’il y a des gens à Terre-Neuve-et-Labrador qui sont contre ce projet », dit-elle. La militante réclame une transition verte dans laquelle les travailleurs de l’industrie gazière et pétrolière seraient formés dans des domaines connexes.

Photo: Laurianne Croteau Le Devoir Yvonne Earle mène la division de la péninsule d’Avalon du Conseil des Canadiens, un organisme citoyen.

Une « juste transition », telle qu’elle l’envisage, devrait être profitable pour tous. « Il y a de jeunes gens éduqués qui obtiennent des emplois bien rémunérés grâce aux projets pétroliers, mais il y a aussi tous ceux qui ne sont même pas encore payés 15 $ l’heure ! Il est temps qu’on se demande à qui profitent vraiment ces projets, et à quel point la société en entier en bénéficie. »

Le secteur de la pêche, lui aussi essentiel dans la province, est préoccupé par les répercussions de la construction et de la mise en fonction du projet, selon le syndicat Unifor Fish, Food and Allied Workers. « Les changements dans la pêche sur une période de plus de 30 ans pourraient très bien avoir une incidence sur les prévisions faites dans le cadre de cette évaluation, selon laquelle le projet n’aura pas d’effets négatifs importants sur la pêche commerciale », écrit le président Keith Sullivan, en réponse à l’appel aux « commentaires » de l’AEIC.

La passe Flamande, où serait construite la plateforme de Bay du Nord, à 450 kilomètres au large de St. John’s, compte une riche biodiversité, selon le rapport de l’AEIC, qui pourrait être mise en péril par le forage, le minage, le trafic maritime, les vibrations ou la pollution lumineuse.



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