Omerta sur les puits pétroliers et gaziers qui seront fermés aux frais de l’État

Le gouvernement Legault refuse de dévoiler les informations concernant les 62 puits d’exploration pétrolière et gazière qui doivent être fermés par les entreprises responsables, mais aux frais de l’État. Québec affirme toutefois que la facture pour les contribuables ne dépassera pas les 33 millions de dollars et que les travaux seront terminés d’ici quatre ans. Pendant ce temps, le plan de nettoyage des dizaines d’autres puits abandonnés progresse très lentement, alors que plusieurs laissent fuir des combustibles fossiles.
Le Devoir a demandé au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) la liste des 62 puits d’exploration, dont plusieurs puits de gaz de schiste, qui devront être fermés définitivement dans la foulée de la fin de l’exploration pétrolière et gazière au Québec. Le ministère a refusé de nous transmettre ces informations.
À la suite d’une demande d’accès à l’information, il a finalement été possible d’obtenir un document, mais lourdement caviardé et présentant à peine quelques informations comportant peu de précisions. On y trouve le numéro de 14 puits et le nom de l’entreprise « responsable » de chacun d’eux, dont cinq puits de gaz de schiste et huit de recherche de pétrole. Une des entreprises mentionnées a cessé d’exister, une autre a quitté le Québec et une troisième avait intenté l’an dernier une action en justice contre le gouvernement en raison de l’arrêt de son projet pétrolier à Gaspé, près d’un quartier résidentiel.
La liste transmise au Devoir comporte seulement un « montant des coûts projetés inscrits au plan de fermeture définitive de puits et de restauration de site » pour cinq des puits. Le document ne donne aucun détail supplémentaire pour ces puits d’exploration de gaz de schiste, dont le suivi postfermeture devra être assuré par le gouvernement du Québec au cours des prochaines années.
Transparence
Membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec, Marc Brullemans déplore le manque de transparence du gouvernement, qui a promis de financer 75 % des coûts de fermeture de ces puits. « Il n’y a pas de coûts, on ne connaît pas la nature des travaux et on ne sait pas par qui les travaux seront faits. Pourtant, pour les 62 puits, il faudrait une liste des opérations à venir et un échéancier. Il faudrait rendre ces informations publiques, pour faire preuve de transparence sur l’avancement des travaux », fait-il valoir.
Au cabinet du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, on se veut cependant rassurant. Le « total des coûts de fermeture définitive des 62 puits » est évalué à un montant de 43 millions de dollars, à partir des « plans » déposés par les entreprises responsables des puits. Ce montant comprend une portion de 25 millions de dollars pour des « imprévus ». Cela signifie que la facture pour les contribuables québécois ne devrait pas dépasser les 33 millions de dollars, selon le MERN. En incluant les compensations versées aux entreprises, on parle d’une facture de 100 millions de dollars.
Le cabinet du ministre a en outre bon espoir que tous les puits seront fermés d’ici 12 à 48 mois, comme le prévoit la Loi visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités. Ce sont les entreprises qui doivent mener les travaux de fermeture des puits, après avoir fait approuver leur plan par le ministère.
Marc Brullemans est moins optimiste que le gouvernement Legault. « Je doute que tout soit réglé d’ici trois à cinq ans, comme le dit le gouvernement. On ne sait pas ce que les travaux de fermeture vont nous permettre de découvrir, par exemple des émanations. On risque de se retrouver avec des puits difficiles à fermer. Mais quoi qu’on fasse, il faudra poursuivre les inspections au cours des prochaines décennies. On sera pris à composer avec cet héritage. Chaque puits, il faudra s’en occuper. »
Selon M. Brullemans, les 29 puits de gaz de schiste qui ont été fracturés devraient nécessiter des travaux ponctuels au cours des prochaines décennies. Il estime donc que la facture finale, évaluée à 33 millions de dollars, sera possiblement beaucoup plus élevée que ce qu’affirme le MERN.
Est-ce judicieux de fermer les puits d’exploration définitivement ? Est-ce que les entreprises souhaitent proposer un autre plan au gouvernement ? L’Association de l’énergie du Québec n’a pas répondu à notre demande d’entrevue. L’entreprise Ressources Utica, qui détient plusieurs permis d’exploration, a toujours un mandat de lobbying actif afin de plaider en faveur de l’exploitation gazière. Questerre Energy a elle aussi un mandat actif, notamment pour contester l’interdiction de la fracturation hydraulique.
Décontamination tardive
Qui plus est, la facture assumée par les contribuables — qui ont aussi payé plus de 120 millions de dollars pour des projets d’exploration pétrolière entre 2012 et 2018 — continuera de grimper, si on prend en compte les puits d’exploration abandonnés au Québec. On ne compte pas moins de 775 de ces puits dans la province, dont 534 ont été localisés et 95 qui nécessitent des « travaux » pour permettre de stopper des fuites de gaz ou de pétrole.
Cependant, alors que certains puits connaissent des fuites depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, les travaux de décontamination et de fermeture de ces puits tardent à se concrétiser. L’an dernier, le gouvernement avait lancé deux appels d’offres pour trouver une entreprise chargée d’élaborer « un programme de fermeture définitive des puits d’hydrocarbures inactifs » et de superviser les travaux à venir. À deux reprises, l’appel d’offres a dû être annulé, faute de soumissionnaire.
Trois autres appels d’offres ont été lancés en avril. Ils concernent, au total, 21 puits abandonnés. Jusqu’à maintenant, un seul contrat a été signé. Il concerne six puits situés en Montérégie et dans Lanaudière, forés entre 1930 et 1956, pour lesquels les inspecteurs du MERN ont constaté de la « contamination ». Un des appels d’offres comprend le traitement de quatre vieux puits forés en Gaspésie à la fin du XIXe siècle et qui laissent fuir du pétrole. La région en compte plusieurs autres, selon ce qui se dégage des rapports d’inspection du MERN.
Combien coûteront les travaux pour les 95 puits abandonnés problématiques ? Il est impossible, à l’heure actuelle, d’obtenir une évaluation précise des coûts de décontamination. Pour le moment, les 30 puits pour lesquels le MERN a inscrit une estimation des coûts nous conduisent à une facture totale de 54 millions de dollars, dans laquelle 16 puits sont évalués à plus de 1 million de dollars. Cette estimation concerne toutefois moins du tiers des 95 puits officiellement à la charge de l’État. Tous ces puits ont été forés par des entreprises qui ont depuis longtemps cessé d’exister.
Avec Dave Noël