Des villes envisagent d’interdire le gaz naturel dans les nouvelles constructions

Au Québec, 9% des nouveaux bâtiments sont desservis en gaz naturel par Énergir.
Photo: Annik MH de Carufel Archives Le Devoir Au Québec, 9% des nouveaux bâtiments sont desservis en gaz naturel par Énergir.

Aux États-Unis, des dizaines de villes ont interdit le raccordement des nouveaux bâtiments au réseau de gaz naturel. Ce vent écologiste qui souffle au sud de la frontière fait des émules au Québec, où de nombreuses municipalités envisagent cette option, selon des informations recueillies par Le Devoir.

« On a l’impression que ça va faire boule de neige », dit Emmanuel Cosgrove, le directeur d’Écohabitation. L’organisme vient de terminer « plusieurs » études pour des municipalités québécoises — « des grandes comme des petites » — qui envisagent de bannir le gaz naturel dans les nouvelles constructions sur leur territoire.

« Énormément de gens nous contactent », confirme également Jean-Pierre Finet, un analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE). Des « dizaines » d’élus, de consultants et de fonctionnaires le sollicitent pour savoir comment préparer un règlement bannissant le gaz dans les nouvelles constructions.

Ce texte est publié via notre Pôle environnement.

Les deux spécialistes ne peuvent révéler quelles municipalités figurent parmi leurs clients, secret professionnel oblige. Mais ils assurent que des annonces officielles surviendront très prochainement.

 

En décembre dernier, la Ville de New York imitait celles de San Francisco, de Seattle et de Berkeley, entre autres, en interdisant l’utilisation du gaz naturel dans la plupart des nouveaux bâtiments sur son territoire.

Vendredi dernier, c’est l’État de Washington qui a modifié sa réglementation pour imposer le chauffage électrique — et donc, en pratique, interdire le gaz naturel — dans les nouvelles habitations multifamiliales et les bâtiments commerciaux. Une règle similaire pour les maisons unifamiliales devrait être considérée plus tard cette année dans cet État.

Le mouvement s’invite aussi au Canada. Vancouver, qui a déclaré « l’urgence climatique » il y a deux ans, impose depuis le début de 2022 que l’équipement de chauffage dans les nouvelles maisons sur son territoire soit « zéro émission ». Exit le gaz, donc.

Réticence asymétrique

 

Pour l’instant, aucune municipalité québécoise n’aurait adopté une telle réglementation.

Au Québec, 9 % des nouveaux bâtiments sont desservis en gaz naturel par Énergir. En moyenne, chaque ménage se chauffant au gaz naturel en consomme 5000 mètres cubes par année, libérant ainsi 9,5 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.

À l’Union des municipalités du Québec (UMQ), un comité sur les énergies sera formé dans les prochaines semaines et celui-ci se penchera probablement sur la question du bannissement du gaz naturel dans les nouvelles constructions, explique son président, Daniel Côté.

« De façon globale, on doit se tourner le plus possible vers les énergies renouvelables, fait-il valoir. Le gaz naturel, même s’il est considéré par certains comme plus propre que le charbon ou le pétrole, il n’en demeure pas moins que c’est une énergie qui n’est pas renouvelable. »

Selon les études réalisées par Écohabitation pour le compte de plusieurs municipalités, les citoyens et les promoteurs immobiliers ne tiennent pas à avoir accès au gaz naturel. Notamment parce que les appareils compatibles coûtent cher, mais aussi par devoir climatique. « La fameuse vie en bleue, ça ne résonne plus trop », explique M. Cosgrove.

Même si l’opinion publique serait prête à soutenir un bannissement du gaz naturel dans les nouvelles constructions, M. Cosgrove remarque que « les élus sont méfiants ». Ils craignent notamment de tomber sous le coup d’une poursuite d’Énergir s’ils lui interdisent d’étendre son réseau chez eux, selon lui.

Si jamais une municipalité interdisait les raccordements au gaz naturel, Énergir pourrait effectivement répliquer en tentant de faire valoir devant les tribunaux son contrat de « distributeur gazier exclusif » au Québec, explique Jean-Pierre Finet. La compagnie pourrait également invoquer son « obligation de desservir » en vertu de la Loi sur la Régie de l’énergie, ajoute-t-il.

Interpellée par Le Devoir, une porte-parole d’Énergir, Élaine Arsenault, répond dans un courriel : « Si une réglementation devait être mise en place, nous croyons qu’elle devrait exiger l’utilisation d’énergie renouvelable dans les nouveaux bâtiments, plutôt que d’interdire un type d’équipement qui peut aussi fournir une énergie décarbonée complémentaire à l’électricité, comme le GNR [gaz naturel renouvelable] ».

Selon les spécialistes, d’autres voies réglementaires permettraient de contourner l’interdiction formelle du gaz naturel dans les nouvelles constructions, mais en obtenant le même effet.

Une municipalité de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) pourrait notamment utiliser le Règlement sur les rejets à l’atmosphère pour limiter strictement les particules et le CO2 rejetés par l’équipement d’un nouveau bâtiment. « Ça pourrait faire en sorte que, de facto, le gaz naturel ne soit plus admissible », observe M. Finet.

Un règlement à portée provinciale est une autre option possible, comme le montre l’exemple du mazout. Depuis le 31 décembre dernier, le gouvernement du Québec interdit l’installation d’un appareil de chauffage au mazout dans les nouvelles constructions.

Toutefois, le gaz naturel est toujours dans les bonnes grâces des pouvoirs publics québécois. L’été dernier, Énergir et Hydro-Québec ont signé une entente visant à miser sur les systèmes biénergie électricité/gaz naturel pour gérer les pointes de demande en énergie. Cet accord avait fait l’objet de virulentes critiques de groupes environnementalistes et de certains experts en énergie.

Pour se défendre d’un éventuel bannissement des entrées de gaz, Énergir souligne que la biénergie électricité/GNR est une option « entièrement renouvelable qui pourra être déployée en 2022 à prix compétitif ». Notons qu’en 2020, le GNR ne comptait que pour 0,1 % des volumes dans le réseau d’Énergir, qui vise une proportion de 10 % en 2030.



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