La biodiversité dans l’ombre des espèces charismatiques

Les emblèmes de la biodiversité sont souvent les mêmes : à travers la planète, le panda géant, le tigre du Bengale, l’éléphant ou l’ours polaire font souvent les manchettes, tandis qu’au Québec, les cas du caribou et de la baleine noire sont parmi les plus médiatisés. Le phénomène porte même un nom : la mégafaune charismatique.
Considérées comme de grands animaux attrayants et populaires, les espèces charismatiques attirent particulièrement la sympathie du public et sont couramment mises en avant pour favoriser l’obtention de financement dans le cadre d’activités de conservation.
Si l’utilisation de leur image permet effectivement la collecte des fonds nécessaires à la protection de leurs milieux naturels, elle détourne toutefois l’attention des espèces jugées moins charismatiques. Souvent plus petites, moins colorées et moins connues, celles-ci sont pourtant tout aussi essentielles au sein de leur écosystème.
Ce texte est publié via notre Pôle environnement.
Dans un article paru dans la revue scientifique PLOS ONE, les chercheurs ont voulu définir les espèces considérées comme les plus charismatiques auprès du « public occidental ».
On y trouve, dans l’ordre : le tigre, le lion, l’éléphant, la girafe, la panthère, le panda, le guépard, l’ours polaire, le loup, le gorille, le chimpanzé, le zèbre, l’hippopotame, le grand requin blanc, le crocodile, le dauphin, le rhinocéros, l’ours brun, le koala et la baleine bleue.
Les 20 espèces les plus charismatiques relevées par les chercheurs font la part belle aux animaux de grande taille (19/20), aux mammifères (18/20) et aux espèces terrestres (17/20).
Un peu plus de la moitié sont des espèces africaines, dont neuf provenant d’écosystèmes de savane. En revanche, les reptiles, les amphibiens, les insectes et les poissons sont quasi absents de la liste.
Invisibles et primordiales
Beatrix Beisner, professeure au Département des sciences biologiques de l’UQAM, connaît bien le phénomène. Celle qui se spécialise dans la biodiversité d’eau douce admet elle-même travailler avec des espèces de poissons « moins attrayantes ».
« Nos espèces sont souvent moins intéressantes à regarder, mais la perte de biodiversité en eau douce est plus rapide et même plus importante que ce qu’on voit dans la vie marine présentement », déplore-t-elle.
Un exemple important, mais « invisible » : les planctons, ces petits organismes à la base de la chaîne trophique dans nos bassins d’eau. « S’ils n’étaient pas présents, il n’y aurait pas de vie dans nos lacs », fait valoir Mme Beisner.
Pour sa part, Dominique Gravel, professeur au Département de biologie de l’Université de Sherbrooke, rappelle que les problèmes touchant les espèces moins visibles sont aussi plus difficiles à discerner.
« C’est plus facile d’observer un déclin ou un changement associé à une espèce charismatique proche de nous, comme le chevreuil, qui augmente en abondance. […] Pour une araignée particulière qui peut uniquement être identifiée par des spécialistes, ça va être plus difficile de soulever les passions et un engagement populaire », indique-t-il.
Quoi qu’il en soit, plusieurs espèces « non charismatiques » connaissent un déclin important. Près de la moitié des espèces d’insectes sont en déclin rapide dans le monde entier, tandis que plus du tiers des espèces d’oiseaux de l’Amérique du Nord sont gravement menacées d’extinction, par exemple.
Pour Beatrix Beisner, se servir de l’image des espèces de la mégafaune charismatique peut s’avérer bénéfique, car conserver l’écosystème d’une espèce aimée du public protégera du même coup plusieurs autres espèces en péril qui y vivent aussi. C’est également une façon « d’approcher le monde qui n’a pas vraiment d’intérêt [pour la biodiversité] autrement ».
Or, la professeure soutient qu’il faut également sensibiliser et éduquer le public concernant « toute la diversité dans laquelle se trouve une espèce ». De fait, certains milieux naturels ne détiennent pas nécessairement de mégafaune charismatique pour agir en tant qu’ambassadrice.
« Je pense que, de chaque façon, on va chercher du monde différent, remarque-t-elle. C’est souvent la solution à un gros débat. »