Bay du Nord devrait générer des dizaines de millions de tonnes de GES

La pétrolière Equinor compte utiliser une «Unité flottante de production, stockage et déchargement en mer» pour l’exploitation du projet «Bay du Nord».
Photo: Photo : Rodger Bosch Agence France-Presse La pétrolière Equinor compte utiliser une «Unité flottante de production, stockage et déchargement en mer» pour l’exploitation du projet «Bay du Nord».

Le gouvernement Trudeau a beau affirmer que le projet Bay du Nord sera à la longue « carboneutre », le pétrole qui sera produit pourrait générer 116 millions de tonnes de gaz à effet de serre, voire plus, selon la quantité de pétrole qui sera pompée au cours des prochaines décennies au large de la côte est canadienne.

Au moment d’approuver le mégaprojet pétrolier, mercredi, le gouvernement fédéral a souligné que l’autorisation comprend une exigence, pour la pétrolière Equinor, d’atteindre la « carboneutralité d’ici 2050 ». Cette obligation concerne les émissions prévues pour le projet de 60 forages et d’exploitation de 200 000 barils par jour, pour un total de 300 millions de barils d’ici 2058.

En s’appuyant sur les données fournies par le gouvernement Trudeau au moment où celui-ci autorisait ce nouveau projet pétrolier, il est prévu que la production de chaque baril émette 8 kilogrammes de CO2. Cela équivaut à des émissions quotidiennes de 1600 tonnes de gaz à effet de serre (GES) si Equinor exploite 200 000 barils, à supposer qu’il n’y ait pas de mesures pour compenser les émissions ou les réduire davantage. Sur une période annuelle, le projet Bay du Nord pourrait donc générer 584 000 tonnes de GES.

Cela équivaut aux émissions annuelles d’un peu plus de 237 000 voitures à essence. On peut également comparer ces émissions annuelles à l’effort individuel d’environ 840 000 personnes végétariennes, qui émettent environ 0,7 tonne de GES en moins qu’une personne carnivore par année.


 

Combustion du pétrole

En vertu des conditions imposées par le gouvernement Trudeau, Equinor devra toutefois progressivement réduire les émissions de l’exploitation, qui devrait débuter en 2028. L’obligation de « carboneutralité » ne concerne cependant que le projet Bay du Nord, et non l’utilisation de ce pétrole, qui pourrait être en bonne partie exporté.

On ne peut pas présumer de l’utilisation finale de ce pétrole, mais à l’heure actuelle, « 90 % des produits pétroliers sont brûlés, surtout en transport », précise le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. Cela signifie que jusqu’à 270 millions de barils de pétrole provenant du projet Bay du Nord pourraient être brûlés. Un chiffre qui pourrait être revu à la baisse dans un contexte d’électrification des transports.

Selon les données de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, chaque baril qui est brûlé génère 0,43 tonne de GES. En supposant que 90 % du pétrole exploité par Equinor au large de Terre-Neuve-et-Labrador soit brûlé, le projet Bay du Nord pourrait générer 116 millions de tonnes de GES au moment de l’utilisation de ses produits. Si le gisement contient un milliard de barils, comme cela a été évoqué, les émissions de la combustion de ce pétrole pourraient atteindre 387 millions de tonnes.

À titre de référence, 116 millions de tonnes de GES équivalent aux émissions annuelles de plus de 47 millions de voitures, aux efforts de quelque 81 millions de végétariens ou encore à 1,3 million de vols aller-retour entre Montréal et Paris, selon les calculs de l’Organisation de l’aviation civile internationale de l’ONU.


 

Pollution sans frontières

En réaction aux données calculées par Le Devoir, la directrice des politiques nationales au Réseau action climat Canada, Caroline Brouillette, déplore les affirmations du gouvernement Trudeau sur la « carboneutralité » du projet Bay du Nord.

« Justin Trudeau et son cabinet ont le nez collé sur l’arbre, ce qui les empêche de voir la forêt. Mondialement, 85 % des émissions du secteur pétrolier et gazier ont lieu lors de la combustion. Même si le projet est carboneutre en matière d’émissions en sol canadien, l’atmosphère n’a que faire des frontières. Augmenter la production de pétrole se soldera par une augmentation des émissions, même si elles n’ont pas lieu sur le territoire du Canada », fait-elle valoir.

Le projet Bay du Nord émet toutefois nettement moins de GES pour chaque baril produit que d’autres projets d’exploitation, rappelle Pierre-Olivier Pineau. À titre de comparaison, la production de chaque baril de pétrole des sables bitumineux émet 80 kilogrammes de CO2, selon les données du gouvernement fédéral.

Les données sur les émissions du projet Bay du Nord démontrent, pour Sébastien Jodoin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits humains, la santé et l’environnement de l’Université McGill, que le simple réflexe de modifier nos comportements pour améliorer la condition de la planète est « contre-productif ». « Cette idée donne l’illusion réconfortante que les gestes individuels peuvent avoir un réel impact, alors que la responsabilité incombe plutôt à un petit nombre d’États et de compagnies. »

Le professeur estime néanmoins que les gouvernements pourraient légiférer pour nous encourager à adopter des comportements plus verts. « Mais est-ce qu’une personne devrait stresser par rapport à l’impact de ses comportements sur l’environnement ? Pas vraiment. Ce serait un leurre de penser que c’est comme ça qu’on va sauver la planète. »

Alors que le monde entier se confinait et réduisait substantiellement l’utilisation des moyens de transport motorisés au début d’avril 2020, les émissions de GES n’ont baissé quotidiennement que de 17 % par rapport aux niveaux moyens de 2019, selon une étude publiée dans la revue Nature. Sébastien Jodoin encourage ainsi ceux qui souhaitent changer les choses à s’impliquer dans des organisations non gouvernementales qui œuvrent en environnement, à aller manifester, à voter et à sensibiliser les gens qui les entourent à faire de même.

Une version précédente de ce texte indiquait erronément que 116 millions de tonnes de GES équivalent aux efforts de quelque 45 millions de végétariens. Ils se chiffrent plutôt à 81 millions. 

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