Sutton est à court d’eau

Les signes de pénurie d’eau se sont d’abord fait sentir l’hiver, pendant les fins de semaine ou les périodes de relâche, quand les skieurs affluaient.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne Les signes de pénurie d’eau se sont d’abord fait sentir l’hiver, pendant les fins de semaine ou les périodes de relâche, quand les skieurs affluaient.

La Ville de Sutton, en Estrie, a décidé de suspendre tout nouveau développement immobilier à flanc de montagne en raison de la pénurie d’eau qui menace ses résidents.

Pendant des années, la Ville a multiplié l’octroi de permis de construction aux promoteurs qui flairaient de bonnes affaires dans cette région de villégiature. Sa population a augmenté de 13 % au cours des six dernières années, passant de 4000 à 4500 personnes.

Mais Sutton s’asséchait en prospérant. Les signes de pénurie d’eau se sont d’abord fait sentir l’hiver, quand les skieurs affluaient sur la montagne. Puis, de plus en plus fréquemment, le manque d’eau est devenu apparent en été.

« Du jamais vu », souligne le maire Robert Benoit, élu en novembre dernier après une saison estivale particulièrement aride. « Avec le manque de pluie que nous avons connu, des voisins qui ont toujours vécu avec des puits de surface se sont aperçus qu’ils étaient à sec. Il n’y avait plus d’eau : ce n’était jamais arrivé depuis 1850 », explique-t-il.

Depuis quelques années, l’apport en eau sur la montagne a nettement diminué, une réalité que le maire impute aux changements climatiques. Moins d’eau ruisselle et imprègne la terre, il faut donc aller chercher la ressource à des profondeurs de plus en plus grandes.

« Mes voisins ont voulu se creuser des puits artésiens. Les puisatiers disaient : “Généralement, à 200 pieds, vous êtes corrects.” Les gens allaient jusqu’à 400 pieds et il n’y avait pas suffisamment d’eau, se rappelle Robert Benoit. Il fallait faire de la fracturation hydraulique ! Ça nous a amenés à réfléchir à la nappe phréatique, et nous avons compris qu’elle bougeait en raison du surdéveloppement. »

La sécheresse affecte aussi les hauteurs de Sutton, où environ 3000 personnes s’alimentent à même des eaux de surface qui, là aussi, peinent de plus en plus à suffire à la demande. « Il y a une population très importante dans la montagne, indique le maire Benoit. C’était surtout des villégiateurs, des gens qui ont une résidence secondaire dont ils profitaient l’hiver, pour skier, et qui l’utilisaient plus ou moins en été. La pandémie, ajoute-t-il, a fait en sorte que les gens viennent à Sutton presque de façon permanente. »

Avec, pour conséquence, une consommation d’eau qui augmente « considérablement », note le maire. Au point où, présentement, chaque goutte compte, ou presque. « Nous sommes dans une situation d’équilibre entre l’offre et la demande », déclare l’élu.

Portrait alarmant

 

Un rapport commandé par la mairie et présenté mercredi dresse le portrait d’une situation alarmante. Comme l’eau disponible ne suffit plus en période d’étiage ou de grande consommation, l’étude de Tetra Tech évoque la possibilité de connecter le système qui approvisionne la montagne à l’aqueduc du village situé en contrebas, dans la vallée, et qui s’alimente à même la nappe phréatique.

Le maillage des deux systèmes permettrait d’alimenter 400 nouvelles portes à flanc de montagne — mais la facture pour relier les deux réseaux s’élève à 15 millions de dollars, selon le rapport. Un fardeau financier ingérable pour Sutton, dont le budget de fonctionnement de 2022 en prévoit 13.

La solution à court terme, selon le maire, est de suivre la recommandation du rapport et de suspendre la réalisation des 760 logements prévus sur la montagne. « Avant de puiser davantage d’eau dans la nappe phréatique, je veux m’assurer que sa capacité de recharge sera suffisante pour alimenter de nouveaux lotissements. »

La municipalité n’entend pas en rester là. Elle étudie différentes possibilités pour réduire la consommation d’eau de sa population, notamment en obligeant l’installation d’équipement économe dans les nouvelles habitations. Le maire Robert Benoit n’exclut aucune option, même l’installation de compteurs d’eau. « C’est comme avec l’essence : quand le prix monte, les gens en consomment moins et pensent même à se procurer une voiture électrique », précise-t-il.

Un problème bientôt généralisé ?

Le maire Benoit veut éviter à Sutton le sort de Saint-Lin–Laurentides, qui a « fait du surdéveloppement sans tenir compte de la capacité de recharge des sources d’eau ».

L’élu croit aussi que le défi auquel sa municipalité fait face aujourd’hui attend la majorité des villes du Québec dans un avenir bien moins lointain que plusieurs ne le croient. « Au Québec, nous imaginions que nous n’aurions jamais de problèmes avec l’or bleu, mais c’est généralisé. Il faut regarder [le problème] en face, nous n’avons pas le choix. Se mettre des œillères et la tête dans le sable, c’est malheureusement ce que la Ville de Sutton a fait depuis les vingt dernières années. »

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