Le ministre Guilbeault autorisera-t-il la destruction de lacs pour stocker des résidus miniers?

L’entreprise Minerai de fer Québec dit être obligée de détruire des lacs pour poursuivre l’exploitation de sa mine.
Jacques Boissinot Archives La Presse canadienne L’entreprise Minerai de fer Québec dit être obligée de détruire des lacs pour poursuivre l’exploitation de sa mine.

Le ministre canadien de l’Environnement, Steven Guilbeault, n’a pas encore décidé s’il autorisera l’entreprise Minerai de fer Québec à détruire 25 lacs pour stocker des résidus miniers de sa mine de fer du lac Bloom, a appris Le Devoir. La législation fédérale l’interdit, à moins que ce soit recommandé par le ministre. Malgré une évaluation environnementale québécoise très défavorable au projet, le gouvernement Legault l’a déjà approuvé. Mais la minière ne peut procéder sans obtenir le feu vert d’Ottawa.

Même si le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) avait vivement critiqué le projet, le gouvernement a autorisé plus tôt ce mois-ci l’expansion du parc de résidus de Minerai de fer Québec, filiale de la minière australienne Champion Iron qui a racheté la mine de fer du lac Bloom avec l’aide d’Investissement Québec en 2016.

Pour exploiter son gisement de fer situé près de Fermont jusqu’en 2040, à raison de 15 millions de tonnes par année, l’entreprise évalue ses « besoins d’entreposage » de résidus miniers et de stériles à 1,3 milliard de tonnes, dont 872 millions qui devront être stockées dans de nouveaux sites situés près de la fosse de la mine.

Or, « l’espace terrestre disponible » est insuffisant, selon ce qu’on peut lire dans l’étude d’impact de la minière, qui a rejeté l’idée de stocker les résidus dans la fosse pour ne pas « mettre en péril l’exploitation d’une ressource potentiellement exploitable dans le futur ». Elle dit donc être obligée de détruire des lacs et des milieux humides. Le BAPE concluait toutefois l’an dernier que l’entreprise « devrait revoir son projet » puisqu’elle « n’a pas fait la démonstration que les solutions retenues pour la gestion des rejets miniers sont celles qui minimisent les impacts sur les milieux humides et hydriques ».

Le gouvernement Legault a néanmoins autorisé Minerai de fer Québec à détruire des milieux humides et un total de 25 lacs, selon les données fournies par le ministère de l’Environnement du Québec. « L’autorisation gouvernementale prévoit que l’ensemble des pertes d’habitats du poisson et des autres milieux humides et hydriques, dont les rives, soit compensé par l’initiateur par la réalisation de travaux visant la création ou la restauration de ce type de milieu », précise le ministère.

Décision à Ottawa

Le feu vert du gouvernement caquiste, qui a été dénoncé par des groupes environnementaux, n’est toutefois pas suffisant. La minière doit aussi obtenir des autorisations du gouvernement fédéral, sur la recommandation du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault.

Il faut dire que la Loi sur les pêches « interdit l’immersion ou le rejet d’une substance nocive, ou d’en permettre l’immersion ou le rejet, dans des eaux où vivent des poissons, sauf en cas d’autorisation désignée par règlement », rappelle Environnement et Changement climatique Canada par courriel. L’entreprise doit donc obtenir « une autorisation » en vertu du Règlement sur les effluents des mines de métaux et des mines de diamants. Ce règlement a pour but de « protéger la qualité de l’eau des plans d’eau naturels ».

Avant de pouvoir détruire des lacs, Minerai de fer Québec a dû présenter au fédéral un « plan compensatoire pour l’habitat du poisson », qui est en cours d’évaluation. Par la suite, le ministère fédéral de l’Environnement mènera des consultations publiques. Une fois ce processus terminé, le gouvernement Trudeau devra décider s’il autorise le projet, en inscrivant les lacs à détruire comme sites de « dépôt de résidus miniers ». Cette décision sera prise par le Conseil du Trésor du Canada, « sous la recommandation du ministre de l’Environnement ».

Le ministre Steven Guilbeault est-il favorable à ce qu’on détruise des lacs en y stockant des résidus miniers ? Le cabinet du ministre n’a pas répondu directement au Devoir, puisque c’est le service de relations médias du ministère qui a fourni une réponse : « Avant que le ministre approuve le dépôt de résidus miniers dans des eaux où vivent des poissons, des conditions réglementaires en vertu du Règlement sur les effluents des mines de métaux et des mines de diamants doivent être respectées, telles que l’élaboration d’un plan compensatoire pour l’habitat du poisson. »

Environnement Canada doit aussi mener des consultations « sur le plan compensatoire pour l’habitat du poisson ainsi que sur les solutions de rechange pour le dépôt de résidus miniers ». Le plan proposé par Minerai de fer Québec devra aussi être « recommandé » par le ministère des Pêches et des Océans.

La minière n’a pas souhaité commenter le processus fédéral en cours. « Nous allons laisser le processus suivre son cours au niveau fédéral, et nous entendons collaborer avec le gouvernement dans le cadre de celui-ci », a répondu l’entreprise par courriel.

Le gouvernement du Québec n’interdit pas la destruction de lacs, de cours d’eau et de milieux humides pour le stockage de déchets miniers. En 2018, il a autorisé la minière ArcelorMittal à augmenter la superficie de son parc de résidus miniers, lui aussi situé dans la région de Fermont. Elle envisage d’y stocker 825 millions de tonnes de résidus d’ici 2045, pour un total de 1318 millions de tonnes entre 2014 et 2045. Le projet entraînera la destruction de 11 lacs, de 15 étangs et de 25 ruisseaux. La minière a donc prévu un programme de « restauration » pour compenser la perte de milieux naturels.

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