Travaux de dragage dans l’habitat essentiel du béluga

Le secteur de Rivière-du-Loup fait partie de l’«habitat essentiel» du béluga du Saint-Laurent. Il est protégé en vertu de la Loi sur les espèces en péril.
Photo: GREMM Le secteur de Rivière-du-Loup fait partie de l’«habitat essentiel» du béluga du Saint-Laurent. Il est protégé en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

La Société des traversiers du Québec prévoit mener, année après année, des travaux de dragage et de rejet de sédiments dans l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent, non loin de Cacouna. La société d’État réalisera d’ailleurs les opérations à une période de l’année où des femelles accompagnées de leurs jeunes sont présentes dans le secteur. Mais elle assure que toutes les mesures seront prises pour réduire les impacts sur cette population en voie de disparition.

La Société des traversiers du Québec (STQ) assure la gestion du quai de Rivière-du-Loup, dans le cadre du service de traversier qui relie cette municipalité à celle de Saint-Siméon, dans Charlevoix. Or, la zone portuaire de la rive sud du Saint-Laurent est soumise à une sédimentation importante, ce qui oblige la STQ à mener des travaux annuels de dragage de sédiments.

Près de 60 000 mètres cubes ont ainsi été retirés en 2020, avant d’être rejetés dans l’estuaire, dans une zone située à trois kilomètres au nord-est du quai. Selon ce que souligne la STQ dans une réponse écrite aux questions du Devoir, la moyenne annuelle se situe cependant à environ 42 000 mètres cubes. « Cela nécessite près de 450 transports de sédiments vers la zone de largage autorisée », précise-t-on.

Afin de poursuivre ces opérations annuelles de dragage, la STQ souhaite obtenir une autorisation du ministère de l’Environnement du Québec qui serait valide pour les dix prochaines années. L’étude d’impact fait d’ailleurs présentement l’objet d’une analyse au ministère, dans le cadre d’un processus qui pourrait mener à un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

Femelles et jeunes bélugas

 

Dans son étude d’impact, la société d’État reconnaît que « la zone des travaux se situe dans l’habitat essentiel du béluga ». Selon un avis d’experts de Pêches et Océans Canada (MPO), cette région de l’estuaire est même considérée comme une zone critique pour « le segment le plus vulnérable de la population », soit les femelles et leurs jeunes. Le secteur de Cacouna, situé tout près, est notamment reconnu comme une véritable pouponnière pour l’espèce, qui connaît d’importants problèmes de reproduction depuis quelques années.

Or, les travaux de dragage posent des risques réels pour les bélugas, selon ce qui se dégage de l’étude d’impact de la STQ. « Les bruits causés par les travaux pourraient nuire à leur communication, ainsi qu’induire des changements comportementaux et des déplacements de populations. Les risques de collisions, [les matières en suspension] et la disponibilité en nourriture pourraient également affecter ces populations », peut-on lire dans le document de 246 pages. On y souligne aussi que « les perturbations causées par le bruit ainsi que les dérangements anthropiques font partie des principales menaces pour le béluga ».

Afin de réduire les risques, la STQ dit vouloir éviter de mener les travaux, d’une durée de quatre à six semaines, durant « la période de fréquentation intensive », qu’elle situe de la mi-avril au 30 septembre. À partir de cette date, les opérations pourraient se dérouler 24 heures sur 24. La société d’État précise toutefois qu’une demande de « permis » est effectuée chaque année, en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du gouvernement fédéral. Cette demande est nécessaire pour obtenir l’autorisation de commencer les travaux dès le 20 septembre.

Les femelles bélugas et leurs jeunes sont-ils toujours bien présents dans le secteur en septembre et en octobre ? La question est d’autant plus pertinente que la LEP interdit depuis 2017 toute activité qui aurait pour effet de « détruire » un élément de l’habitat essentiel du béluga.

Selon ce qu’on peut lire dans l’étude d’impact déposée au ministère de l’Environnement du Québec, le béluga quitterait la zone des travaux « vers la fin septembre ». Un avis des experts de l’espèce publié en 2016 par Pêches et Océans Canada stipule pourtant que les femelles et les jeunes seraient présents jusqu’en octobre. « Le moment du délaissement du secteur à l’automne » est incertain, indique cet avis, en évoquant des travaux scientifiques qui témoignent de la présence de l’espèce « jusqu’à la fin octobre ou novembre ». À titre de comparaison, des mesures de limitation de vitesse dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent sont en vigueur jusqu’au 31 octobre, précisément afin de protéger les bélugas.

Surveillance

 

Dans une réponse écrite aux questions du Devoir, la STQ reconnaît d’ailleurs que les travaux auront lieu alors que des bélugas seront toujours présents dans le secteur et qu’ils pourraient, dès lors, entraîner une « perturbation » de l’habitat. Mais elle ajoute que les travaux ne pourraient pas se dérouler plus tard à l’automne, pour des raisons de sécurité du personnel.

La Société des traversiers du Québec promet donc une « surveillance » dans un rayon de 400 mètres et l’interruption des travaux, qui peuvent se dérouler de jour comme de nuit, si un béluga s’approche à moins de 400 mètres. Ce « programme », approuvé par Pêches et Océans Canada, est mis en place « afin de minimiser les impacts des travaux sur l’espèce ».

Le projet de dragage à Rivière-du-Loup ne sera par ailleurs pas le seul à se poursuivre dans la prochaine décennie dans cet habitat névralgique pour le béluga. La Société portuaire du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, qui gère le port de Gros-Cacouna au nom du gouvernement du Québec, a elle aussi déposé un projet de dragage qui est en cours d’évaluation environnementale. Les travaux seront toutefois menés uniquement à partir du 1er novembre, puisque les bélugas sont alors « très peu présents dans le secteur de Cacouna », précise-t-on par courriel.

Les experts de MPO ont déjà souligné que, pour le dragage à Cacouna et à Rivière-du-Loup, « un dépôt terrestre des sédiments serait souhaitable », afin d’éliminer les pertes d’habitat pour le béluga. Cette option n’a pas été retenue, puisque les sédiments seront bien rejetés directement dans l’habitat de l’espèce.

Une population de plus en plus précaire

L’état de la population de bélugas du Saint-Laurent ne cesse de se dégrader. Les scientifiques observent depuis une décennie une véritable « série noire » au sein de cette population, avec une hausse marquée des mortalités de nouveau-nés, mais aussi de femelles, et notamment de femelles qui meurent au moment de la mise bas. Selon les données préliminaires disponibles avant 2021, on recensait 80 carcasses de bélugas retrouvées sur les rives du Saint-Laurent sur une période de cinq ans. Le bilan s’est depuis alourdi. Globalement, cette population résidente de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent ne montre aucun signe de rétablissement. Celle-ci avoisine aujourd’hui les 880 individus et décline en moyenne de 1 % par année. Une récente étude à laquelle ont participé les scientifiques de Pêches et Océans Canada conclut également que la « condition physique » de ces cétacés se dégrade. Les bélugas vivent dans un environnement soumis à un trafic maritime intense, à divers contaminants et aux impacts des bouleversements climatiques.



À voir en vidéo