Ottawa repousse sa décision sur le mégaprojet pétrolier Bay du Nord

Des jeunes ont manifesté à Montréal vendredi pour exiger que le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault rejette le projet Bay du Nord.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Des jeunes ont manifesté à Montréal vendredi pour exiger que le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault rejette le projet Bay du Nord.

Le gouvernement Trudeau se donne encore 40 jours avant de décider d’autoriser, ou non, le mégaprojet pétrolier Bay du Nord, situé en milieu marin. Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, devra donc annoncer d’ici la mi-avril s’il donnera le feu vert à l’exploitation d’au moins 300 millions de barils de pétrole dans une zone reconnue pour la richesse de sa biodiversité.

Après avoir décidé, en décembre, de repousser sa décision sur le projet de la pétrolière norvégienne Equinor au 6 mars, le gouvernement Trudeau vient de nouveau de prolonger les délais, cette fois pour 40 jours. Ce nouveau report est nécessaire pour permettre au ministre Steven Guilbeault de « décider si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », a-t-on précisé dans une courte déclaration publiée vendredi en fin de journée.

Quelques jours après le prochain rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui portera sur les mesures à prendre pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, Ottawa devra donc statuer sur le sort du projet. Celui-ci prévoit une exploitation pétrolière pendant 30 ans, au-delà de 2050.

Crédibilité

 

Le projet, nommé Bay du Nord, est donc un test de crédibilité pour les politiques climatiques du gouvernement fédéral, estiment les groupes environnementaux. Ceux-ci exigent son rejet, tout comme le Bloc québécois. Le Parti conservateur du Canada, au contraire, exige son approbation.

« Le dernier rapport du GIEC condamne plus que jamais les énergies fossiles, en particulier les nouveaux projets, alors que les communautés d’ici et d’ailleurs sont de plus en plus dévastées par les catastrophes climatiques. Le gouvernement doit profiter de ce délai supplémentaire pour annoncer, dès le prochain budget fédéral, des sommes importantes pour diversifier l’économie de Terre-Neuve et créer des emplois verts de manière à s’assurer que la transition ne laisse personne pour compte », a réagi vendredi Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace.

Le cabinet du ministre Guilbeault a jusqu’ici refusé de se prononcer sur la comptabilité du projet pétrolier avec les objectifs climatiques du Canada. Son bureau a simplement indiqué que l’évaluation fédérale « a tenu compte des émissions directes de gaz à effet de serre associées à la construction et à l’exploitation du projet », dans le cadre de son évaluation.

« En novembre 2020, Equinor a annoncé un engagement d’entreprise visant à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Pour y parvenir, Equinor s’est engagé à réduire les émissions de sa production de pétrole et de gaz, tout en investissant également dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies », a-t-on précisé dans le même courriel au Devoir.

En entrevue au Devoir, en décembre, le ministre Guilbeault avait affirmé que les nouveaux projets d’exploitation de pétrole et de gaz naturel devront se conformer à une réglementation climatique de plus en plus stricte. Il citait notamment en exemple la volonté de plafonner, puis de réduire les émissions de l’industrie des énergies fossiles.

60 puits d’exploitation

Equinor détient des permis d’exploration dans une zone située à 470 kilomètres au large des côtes de Terre-Neuve. C’est dans cette zone, où les fonds marins se situent à plus de 1000 mètres de profondeur, qu’elle souhaite forer jusqu’à 60 puits d’exploitation, tout en poursuivant les forages exploratoires.

Selon les évaluations de l’entreprise, plus de 300 millions de barils de pétrole pourraient être exploités d’ici 2058 (une autre évaluation plus récente fait état d’un milliard de barils), peut-on lire dans le rapport préliminaire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC). Celle-ci a évalué le projet d’Equinor, qui pomperait ses premiers barils d’ici 2028, en vertu d’une législation adoptée par le gouvernement de Stephen Harper.

« Compte tenu de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, l’Agence conclut que le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », peut-on lire dans le rapport d’évaluation. L’AEIC estime en effet que « les mesures recommandées pour atténuer les effets environnementaux potentiels », comme les impacts d’un déversement pétrolier ou les effets sur les écosystèmes marins, sont suffisantes pour réduire les risques.

La version finale du rapport de l’AEIC sera publiée au moment où le ministre Guilbeault rendra sa décision.

Biodiversité

 

L’évaluation fédérale met en lumière plusieurs enjeux environnementaux. Le projet d’Equinor se situe dans une « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique », mais aussi dans des « écosystèmes marins vulnérables ». Les forages seront également menés non loin d’habitats essentiels reconnus d’espèces menacées, de refuges d’oiseaux et d’un important « refuge marin » mis en place par le gouvernement Trudeau pour atteindre ses objectifs de protection des océans.

Cette région maritime est par ailleurs reconnue comme un habitat important pour plusieurs espèces de poissons exploitées commercialement, 14 espèces d’oiseaux en péril ainsi qu’une quinzaine d’espèces de mammifères marins, qui sont particulièrement sensibles à la pollution sonore sous-marine. Equinor prévoit y faire des levés sismiques.

En ce qui a trait aux risques de déversement pétrolier en mer, le rapport provisoire de l’AEIC juge que ceux-ci sont minimes. Le document mentionne aussi qu’en cas d’« éruption » pétrolière hors de contrôle, un « système de coiffage » pourrait devoir être installé à la tête du puits d’exploitation. Mais le déploiement de ce système prendrait « de 18 à 36 jours », puisque cet équipement doit être transporté de Norvège ou du Brésil.

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