L’échec programmé du ministère de l’Environnement du Québec

L’ancien journaliste en environnement du «Devoir», Louis-Gilles Francœur
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’ancien journaliste en environnement du «Devoir», Louis-Gilles Francœur

Le ministère de l’Environnement du Québec n’a jamais eu les moyens d’assumer le rôle de protection qu’il devrait pourtant jouer, et ce, malgré tous les engagements pris au fil des ans par les gouvernements. Ceux-ci ont plutôt placé ce ministère dans une position de soumission, notamment face aux intérêts économiques, écrit Louis-Gilles Francœur, ancien journaliste du Devoir, dans un livre qui vient de paraître, intitulé La caution verte.

« Si on écoute tous les partis politiques et tous les gouvernements, l’environnement est une grande priorité. Mais le ministère de l’Environnement n’a jamais eu, dans toute son histoire, un demi de 1 % du budget de l’État. C’est assez affolant. Dans ce contexte, est-ce que le ministère a les moyens de ses missions environnementales ? La réponse, c’est non », soutient l’auteur, qui a été journaliste spécialisé en environnement au Devoir pendant 30 ans, de 1982 à 2012.

Dès sa création, en 1979, le ministère de l’Environnement devait pourtant assurer la sauvegarde des milieux naturels pour le bien des résidents de la province. « On pensait qu’il limiterait la pollution, qu’il encadrerait l’agriculture, le développement urbain et le secteur industriel », rappelle M. Francœur, qui souligne notamment qu’à l’époque, les cours d’eau étaient considérés comme de véritables « poubelles ».

Or, les gouvernements n’ont jamais donné à ce ministère les moyens financiers qui lui auraient permis d’assumer son rôle. En collaboration avec le chercheur Jonathan Ramacieri, de l’Institut de recherche en économie contemporaine, Louis-Gilles Francœur a analysé l’évolution du budget consacré à l’Environnement pendant plus de 40 ans. Résultat : « le budget a oscillé entre un tiers et un quart de 1 % du budget de l’État ».

Au fil des ans, le ministère a même encaissé un recul des sommes consacrées à la « conservation », peut-on lire dans le livre publié chez Écosociété. « Ça démontre, de façon crue, que les gouvernements ont négligé la protection de l’environnement et des écosystèmes. Et si on y ajoutait une analyse de la protection de la forêt, le portrait serait probablement pire. »

L’ancien journaliste, qui a connu plusieurs ministres de l’Environnement et qui a échangé à de très nombreuses reprises — parfois sous le couvert de l’anonymat — avec des membres de l’appareil étatique, ne rejette toutefois pas la responsabilité sur le ministère. « S’il manque de moyens, ce n’est pas de sa faute. C’est une décision de l’État, et c’est le bureau du premier ministre qui décide des budgets. Et avec le livre, je constate quels sont les effets du sous-financement historique. »

Une érosion tranquille

 

En plus de priver le ministère des moyens nécessaires, les gouvernements lui ont imposé « une érosion, pour ne pas dire un dépeçage » de sa mission de « contrôle » des activités nuisibles, déplore Louis-Gilles Francœur. Dès le début des années 1990, on a d’ailleurs infléchi son rôle, de façon à définir l’instance comme un « accompagnateur », notamment pour les promoteurs de projets potentiellement polluants.

« Ce changement de philosophie prévaut encore aujourd’hui, ce qui explique pour une bonne part que, dans la perception populaire, l’Environnement semble désormais plus souvent qu’autrement aligné sur les agents économiques, une image mortifère pour les fonctionnaires de ce ministère qui se débattent avec des moyens réduits pour assumer leur mission », peut-on lire dans La caution verte. Le désengagement de l’État québécois en environnement.

En 1998, le gouvernement de Lucien Bouchard avait aussi décidé de retirer au ministère le volet « Faune », d’abord placé sous la gouverne de celui qui était alors ministre des Transports. Les dossiers liés au secteur faunique ont par la suite été confiés à ce qui deviendra le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Une décision révélatrice, selon l’ancien journaliste. « La Loi sur la qualité de l’environnement dit que le ministère de l’Environnement est responsable de la qualité des écosystèmes. Mais la faune n’en fait pas partie, parce qu’elle est gérée par un autre ministère. Est-ce qu’on peut imaginer une gestion plus incohérente ? » laisse-t-il tomber en entrevue.

Depuis ce changement, l’expertise faunique a littéralement fondu, explique M. Francœur. « Quel est l’état écosystémique de nos forêts ? Personne ne se pose ce genre de question. Il n’y a plus de service de recherche comme à l’époque. [Le secteur de] la faune a été, historiquement, le plus grand critique du secteur forestier. Aujourd’hui, ils ont réglé le problème. Ils sont dans la cave du ministère. Et quand il y a des ponctions financières à faire, ça ne se passe pas à l’étage des ingénieurs forestiers. Ça se passe à l’étage de la faune. »

Le ministère de l’Environnement a également perdu en bonne partie les tâches d’encadrement du secteur minier, ajoute-t-il, en évoquant les plans de restauration des sites, qui sont approuvés par le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Soumis à l’économie

Le ministère de l’Environnement a par ailleurs peu de poids dans les décisions gouvernementales, affirme Louis-Gilles Francœur. Le gouvernement Legault a ainsi mis de côté, en 2020, 83 projets d’aires protégées qui avaient pourtant été proposés par le ministère de l’Environnement. Il les aurait écartés principalement pour protéger des intérêts économiques, dont ceux de l’industrie forestière.

Censé être le maître d’œuvre du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Québec, le ministère de l’Environnement a plutôt servi de « caution verte », selon Louis-Gilles Francœur. Les rapports du vérificateur général et du commissaire au développement durable ont ainsi démontré que des ministères ont dépensé des milliards de dollars du Fonds vert sans avoir à se soumettre à un examen rigoureux. Cela a contribué aux échecs climatiques.

L’ouvrage évoque en outre le déclin du nombre d’inspections menées par les experts du ministère de l’Environnement pour s’assurer du respect des conditions fixées. Et avec la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement, en 2017, le gouvernement a réduit le nombre de projets qui nécessitent un certificat d’autorisation. Une décision qui témoigne d’« une abdication du contrôle de l’État » en environnement.

Louis-Gilles Francœur, qui a été vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement pendant cinq ans, propose donc un examen de conscience. « Faudrait-il faire un débat en profondeur, pour se demander quel type de ministère de l’Environnement nous souhaitons et quelle place nous voulons lui donner dans l’appareil gouvernemental ? C’est parce que j’aime ce ministère que je pose la question, mais aussi parce que je crois que la population du Québec mérite un vrai ministère de l’Environnement. »

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