«Mise à jour» d’Ottawa en vue sur un mégaprojet pétrolier au large de Terre-Neuve

Au moment où les experts du climat publient un rapport qui sonne l’alarme sur l’imminence d’un naufrage climatique, Le Devoir a appris que le gouvernement Trudeau ferait une « mise à jour » vendredi concernant le mégaprojet pétrolier Bay du Nord, en milieu marin. Le cabinet du ministre Steven Guilbeault, qui a promis lundi de « demeurer un chef de file » en matière climatique, n’a pas souhaité s’avancer davantage sur la décision d’autoriser, ou non, l’extraction de 300 millions de barils de pétrole au large des côtes de Terre-Neuve.
En réagissant lundi à la publication d’un nouveau rapport cinglant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le ministre fédéral de l’Environnement a souligné l’urgence d’agir contre la crise du climat. « Ce rapport du GIEC expose ce que le monde entier sait déjà : tous les pays doivent prendre des mesures audacieuses pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter. Il montre que le prix d’une action trop faible sera beaucoup trop élevé. Le Canada est prêt à demeurer un chef de file de ces mesures », a fait valoir Steven Guilbeault, dans une déclaration écrite.
« L’inaction dans l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à leurs effets aura des répercussions sur les systèmes alimentaires, le commerce et l’immigration, non seulement au Canada, mais partout dans le monde », a-t-il ajouté.
Réchauffement accéléré
Le ministre a rappelé que le Canada se réchauffe « au moins deux fois plus rapidement » que le reste de la planète, voire « trois fois plus vite » dans le cas de l’Arctique canadien. Il a également mis en cause le réchauffement pour expliquer des « phénomènes météorologiques extrêmes », comme « les inondations qui ont frappé la Colombie-Britannique et les incendies de forêt qui ont fait rage en Alberta en 2021 ».
Ottawa a d’ailleurs annoncé l’an dernier l’ajout de 1,4 milliard de dollars dans le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes du Canada, en plus de travailler à l’élaboration de la première stratégie nationale d’adaptation, « qui sera lancée à l’automne ».
Le rapport du GIEC publié lundi insiste en effet sur les retards importants pris à travers le monde en matière d’adaptation aux impacts du dérèglement climatique. « L’augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques a entraîné des effets irréversibles, puisque les systèmes naturels et humains sont poussés au-delà de leur capacité d’adaptation », peut-on lire dans le document.
Ainsi, ajoute le GIEC, « tout retard dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et dans l’adaptation aux impacts du réchauffement nous fera rater la brève fenêtre d’opportunité nous permettant d’assurer un futur viable pour nous tous et qui se referme rapidement ».
« Les coupables sont les plus grands pollueurs du monde, qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons », a d’ailleurs réagi lundi le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, en affirmant que « les combustibles fossiles étouffent l’humanité ».
Exploitation pétrolière
Dans ce contexte d’urgence climatique, l’autorisation du projet pétrolier Bay du Nord, de la compagnie pétrolière norvégienne Equinor, serait-elle cohérente avec les objectifs du Canada ? Le cabinet du ministre Steven Guilbeault n’a pas souhaité commenter le dossier, disant qu’il est toujours en « évaluation ».
Son bureau a toutefois précisé au Devoir qu’une « mise à jour » serait publiée le 4 mars, soit vendredi. Il n’a pas indiqué s’il s’agirait de la décision finale d’autoriser, ou non, le projet d’exploitation. Cette décision doit être annoncée par Steven Guilbeault, qui doit publier en même temps le rapport final de l’évaluation environnementale fédérale.
Equinor détient des permis d’exploration dans une zone située à 470 kilomètres au large des côtes de Terre-Neuve. C’est dans cette zone, où les fonds marins se situent à plus de 1000 mètres de profondeur, qu’elle souhaite forer jusqu’à 60 puits d’exploitation, tout en poursuivant les forages exploratoires.
Selon les évaluations de l’entreprise, plus de 300 millions de barils de pétrole pourraient être exploités d’ici 2058 (une autre évaluation plus récente fait état d’un milliard de barils), peut-on lire dans le rapport préliminaire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC). Celle-ci a évalué le projet d’Equinor, qui pomperait ses premiers barils d’ici 2028, en vertu d’une législation adoptée par le gouvernement de Stephen Harper.
Plus tôt en février, le bureau du ministre Guilbeault avait indiqué au Devoir que l’AEIC « a tenu compte des émissions directes de gaz à effet de serre associées à la construction et à l’exploitation du projet », dans le cadre de son évaluation. « En novembre 2020, Equinor a annoncé un engagement d’entreprise visant à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Pour y parvenir, Equinor s’est engagé à réduire les émissions de sa production de pétrole et de gaz, tout en investissant également dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies », avait-on précisé dans le même courriel.
Lettre du Bloc
En entrevue au Devoir, en décembre, le ministre Guilbeault avait affirmé que les nouveaux projets d’exploitation de pétrole et de gaz naturel devraient se conformer à une réglementation climatique de plus en plus stricte. Il citait notamment en exemple la volonté de plafonner, puis de réduire les émissions de l’industrie des énergies fossiles.
Dans une lettre envoyée lundi à Steven Guilbeault, la porte-parole bloquiste en matière de changements climatiques, Kristina Michaud, a demandé le rejet du projet Bay du Nord. « Les crises du climat et de la biodiversité exigent que votre gouvernement prenne des mesures décisives, y compris la fermeture ordonnée et progressive de toute activité pétrolière et gazière dans les zones extracôtières du Canada. Le monde est en train de s’éloigner des énergies fossiles, et les investissements comme ceux de Bay du Nord n’ont pas d’avenir économique à long terme », écrit-elle.
« Le rapport d’aujourd’hui est un appel à cesser les promesses en l’air : nous devons prendre des mesures concrètes dès maintenant. Or, au lieu d’agir pour protéger l’environnement, les libéraux continuent de subventionner les plus grands pollueurs de l’industrie pétrolière et gazière, ont acheté un pipeline et retardent l’atteinte des cibles climatiques, au grand dam de la population et des collectivités », a pour sa part fait valoir le Nouveau Parti démocratique, dans une déclaration écrite.
Pour espérer limiter le réchauffement climatique à un seuil sécuritaire, il faut abandonner dès maintenant tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles, concluait l’an dernier l’Agence internationale de l’énergie, en plaidant pour une hausse sans précédent des investissements dans le développement des énergies renouvelables.
Equinor explore de nouvelles régions maritimes
Equinor a siégé, au cours des derniers mois, à un comité de travail contrôlé par des proches de l’industrie pétrolière et dont le mandat consistait à formuler des « recommandations » sur les façons de dépenser 320 millions de dollars de fonds publics accordés par le gouvernement Trudeau pour soutenir « les travailleurs » du secteur des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador. Equinor a aussi obtenu, au début de 2021, l’autorisation fédérale pour 12 forages exploratoires dans une zone associée au très important secteur de pêche des Grands Bancs de Terre-Neuve. Un total de 40 forages de différentes entreprises avaient alors été autorisés. Terre-Neuve-et-Labrador espère doubler la production pétrolière en milieu marin, et ce, après 2030. L’objectif serait d’extraire 235 millions de barils par année.