Un premier test pétrolier pour le ministre Steven Guilbeault

La pétrolière Equinor compte utiliser une «Unité flottante de production, stockage et déchargement en mer» pour l’exploitation du projet «Bay du Nord».
Rodger Bosch / Agence France-Presse La pétrolière Equinor compte utiliser une «Unité flottante de production, stockage et déchargement en mer» pour l’exploitation du projet «Bay du Nord».

Le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault doit décider au cours des prochains jours s’il autorise l’exploitation de plus de 300 millions de barils de pétrole en milieu marin, au large de Terre-Neuve. Son cabinet refuse pour le moment de dire si le projet, qui nécessiterait 60 forages au cours des prochaines décennies, est cohérent avec les objectifs climatiques du Canada. Chose certaine, il serait mené dans une région reconnue pour la richesse de sa biodiversité.

Le projet, nommé Bay du Nord, est piloté par la pétrolière norvégienne Equinor, qui détient des permis d’exploration dans une zone située à 470 kilomètres au large des côtes de Terre-Neuve. C’est dans cette zone, où les fonds marins se situent à plus de 1000 mètres de profondeur, qu’elle souhaite forer jusqu’à 60 puits d’exploitation, tout en poursuivant les forages exploratoires.

Selon les évaluations de l’entreprise, plus de 300 millions de barils de pétrole pourraient être exploités d’ici 2058 (une autre évaluation plus récente fait état d’un milliard de barils), peut-on lire dans le rapport préliminaire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC). Celle-ci a évalué le projet d’Equinor, qui pomperait ses premiers barils d’ici 2028, en vertu d’une législation adoptée par le gouvernement de Stephen Harper.

« Compte tenu de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, l’Agence conclut que le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », peut-on lire dans le rapport d’évaluation. L’AEIC estime en effet que « les mesures recommandées pour atténuer les effets environnementaux potentiels », comme les impacts d’un déversement pétrolier ou les effets sur les écosystèmes marins, sont suffisantes pour réduire les risques.

La version finale du rapport de l’AEIC sera publiée au moment où le ministre Guilbeault rendra sa décision, a précisé son cabinet. Celle-ci doit intervenir d’ici le 6 mars, après que le gouvernement aura décidé de s’accorder trois mois de plus pour décider du sort du projet.

Biodiversité

 

Il est vrai que l’évaluation fédérale met en lumière plusieurs enjeux environnementaux. Le projet d’Equinor se situe dans une « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique », mais aussi dans des « écosystèmes marins vulnérables ». Les forages seront également menés non loin d’habitats essentiels reconnus d’espèces menacées, de refuges d’oiseaux et d’un important « refuge marin » mis en place par le gouvernement Trudeau pour atteindre ses objectifs de protection des océans.

Cette région maritime est par ailleurs reconnue comme un habitat important pour plusieurs espèces de poissons exploitées commercialement, 14 espèces d’oiseaux en péril ainsi qu’une quinzaine d’espèces de mammifères marins, qui sont particulièrement sensibles à la pollution sonore sous-marine. Equinor prévoit y faire des levés sismiques.

En ce qui a trait aux risques de déversement pétrolier en mer, le rapport provisoire de l’AEIC juge que ceux-ci sont minimes. Le document mentionne aussi qu’en cas d’« éruption » pétrolière hors de contrôle, un « système de coiffage » pourrait devoir être installé à la tête du puits d’exploitation. Mais le déploiement de ce système prendrait « de 18 à 36 jours », puisque cet équipement doit être transporté de Norvège ou du Brésil.

Test climatique ?

Au-delà des questions de protection des milieux marins, est-ce que la réalisation du projet Bay du Nord est compatible avec les objectifs climatiques du Canada ? « Étant donné que le projet est en cours d’évaluation, le ministre ne peut pas se prononcer sur ce point. Les détails du projet seront publiés dès que la décision sera prise », a répondu le cabinet du ministre Steven Guilbault, dans un courriel transmis le 4 février.

Le bureau du ministre a également indiqué que l’AEIC « a tenu compte des émissions directes de gaz à effet de serre associées à la construction et à l’exploitation du projet », dans le cadre de son évaluation. « En novembre 2020, Equinor a annoncé un engagement d’entreprise visant à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Pour y parvenir, Equinor s’est engagé à réduire les émissions de sa production de pétrole et de gaz, tout en investissant également dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies », a-t-on précisé dans le même courriel.

En entrevue au Devoir, en décembre, le ministre Guilbeault avait affirmé que les nouveaux projets d’exploitation de pétrole et de gaz naturel devront se conformer à une réglementation climatique de plus en plus stricte. Il citait notamment en exemple la volonté de plafonner, puis de réduire les émissions de l’industrie des énergies fossiles.

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau estime que le projet Bay du Nord peut être « compatible » avec les ambitions climatiques d’Ottawa, puisque c’est la combustion du pétrole, ici ou ailleurs dans le monde, qui génère le plus d’impacts climatiques. « Mais dans la mesure où des pays plus problématiques que le Canada pourraient prendre le relais dans la production de pétrole, je suis d’avis qu’il est plus avantageux d’accepter le projet et de le réglementer sévèrement. Par contre, il faudrait mettre les bouchées doubles pour réduire notre consommation de pétrole. »

« Les Canadiens sont parmi les plus gros consommateurs de pétrole par habitant au monde, explique M. Pineau. Nos habitudes de vie ne changent pas assez rapidement pour que nous puissions être considérés comme un leader de la lutte contre les changements climatiques. Le gouvernement fédéral pourrait refuser ce projet pour projeter une image environnementale, mais ce ne serait qu’un écran de fumée pour cacher nos modes de fonctionnement qui sont problématiques. »

Les groupes environnementaux qui ont participé aux consultations de l’AEIC ont tous affirmé que le gouvernement Trudeau ne devrait pas autoriser le projet d’Equinor. Pour Greenpeace, ce projet est incohérent avec la lutte contre les bouleversements climatiques. « Le gouvernement Trudeau doit choisir de quel côté de l’histoire il veut se ranger : soit il autorise ce projet et alimente la crise climatique, soit il décide d’aider les communautés et les travailleurs en soutenant une transition juste qui permettrait de diversifier l’économie et de créer des emplois verts », fait valoir son porte-parole, Patrick Bonin.

 

Equinor explore de nouvelles régions maritimes

Equinor a siégé au cours des derniers mois sur un comité de travail contrôlé par des proches de l’industrie pétrolière et dont le mandat consistait à formuler des « recommandations » sur les façons de dépenser 320 millions de dollars de fonds publics accordés par le gouvernement Trudeau pour soutenir « les travailleurs » du secteur extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador. Equinor a aussi obtenu, au début de 2021, l’autorisation fédérale pour 12 forages exploratoires dans une zone associée au très important secteur de pêche des Grands Bancs de Terre-Neuve. Un total de 40 forages de différentes entreprises avaient alors été autorisés. Terre-Neuve-et-Labrador espère doubler la production pétrolière en milieu marin, et ce, après 2030. L’objectif serait d’extraire 235 millions de barils par année.



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