La gestion des déchets ne s’améliore pas au Québec, conclut le BAPE
Malgré les promesses des gouvernements et l’omniprésence du discours sur le recyclage, l’enfouissement de déchets au Québec a connu « une nette augmentation » au cours des dernières années, conclut le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). L’organisme plaide d’ailleurs pour des politiques plus ambitieuses de « réduction à la source » afin de placer la province sur la bonne voie.
La performance du Québec depuis 2015 « a régressé pour chacun des objectifs inscrits au Plan d’action 2011-2015 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles (PQGMR) », constatent les commissaires du BAPE dans leur rapport « L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes », rendu public mardi.
La seule exception à cette piètre performance concerne le taux de recyclage de la matière organique, précisent-ils. Or, le taux a augmenté d’à peine 2 % entre 2015 et 2018, pour atteindre 27 %. Celui-ci se situe donc « loin derrière l’objectif de 60 % visé pour 2015 ». Le prochain bilan de Recyc-Québec doit être publié en 2022.
Pendant ce temps, les Québécois continuent d’envoyer beaucoup d’ordures, dont des matières organiques ou recyclables, directement au dépotoir ou à l’incinération. La quantité de déchets a ainsi connu une « nette augmentation » au cours des dernières années, soulignent les commissaires du BAPE. Selon des données de Recyc-Québec, 6,16 millions de tonnes de matières résiduelles ont été « éliminées » au Québec en 2019.
Par habitant, cela équivalait en 2019 (les plus récentes données disponibles) à 724 kilogrammes, soit la quantité la plus élevée depuis 2011. Cette quantité est par ailleurs 38 % supérieure à l’objectif de 525 kg/hab établi pour 2023 dans le Plan d’action du gouvernement.
Dans ce contexte, le BAPE estime qu’il est tout simplement « impossible » d’atteindre l’objectif du gouvernement de produire 525 kg/hab de déchets en 2025. Le ministère de l’Environnement du Québec estime même que « cet objectif ne serait toujours pas atteint en 2041 selon un de ses scénarios qu’il qualifie de réalistes, et ce, en dépit des réformes qui sont en place ou en cours d’implantation ».
En l’état actuel des choses, le BAPE constate d’ailleurs que les « lieux d’enfouissement techniques » de la province continuent de se remplir rapidement. Si l’enfouissement devait se poursuivre au rythme actuel, 9 des 38 dépotoirs du Québec seraient pleins avant 2030, et 13 autres le seraient avant 2041. « Il apparaît donc évident que de nouveaux lieux d’élimination ou des agrandissements de lieux existants devront être autorisés au Québec au cours des 20 prochaines années », soulignent les commissaires dans leur rapport de 696 pages.
Réduire à la source
Face à ce constat d’échec, le Québec doit procéder à un « réalignement de sa stratégie » pour réduire la production de déchets, insistent les commissaires du BAPE. Selon eux, il importe plus que jamais de consacrer des efforts à la « réduction à la source », afin notamment de limiter l’enfouissement.
Dans leur rapport, ils suggèrent ainsi « l’interdiction de la mise en marché de certains produits non recyclables, à usage unique ou de courte vie », « l’amélioration de l’accompagnement des consommateurs par un affichage et un étiquetage clairs quant aux impacts environnementaux » et « l’encadrement de la sollicitation publicitaire ».
La commission d’enquête est aussi d’avis que le projet de loi 197, déposé en 2019 pour contrer l’obsolescence programmée, doit être adopté le plus rapidement possible « et que la mise en place d’incitatifs économiques à la réparation devrait être envisagée sérieusement, dans le but de favoriser la réduction à la source ».
Équiterre a salué mardi les conclusions du BAPE. « Le déchet le plus facile à gérer, c’est celui qu’on ne produit pas, et le BAPE le souligne à gros trait. Il est dit clairement qu’au Québec, si on poursuit dans la voie actuelle, on fonce dans un mur. Il y a une limite à essayer d’enfouir nos problèmes. On doit absolument changer de stratégie et miser d’abord et avant tout sur la réduction à la source et le réemploi », a résumé Amélie Côté, analyste en réduction à la source pour l’organisme.
« Lors des audiences, nous avons démontré qu’il fallait massivement investir efforts et ressources dans la réduction à la source et les stratégies d’économie circulaire telles que le réemploi et la réparation, ainsi que dans le secteur de la construction, rénovation et démolition, puisque les résidus issus de ce secteur représentent environ 28 % des matières éliminées annuellement », a réagi la présidente-directrice générale de Recyc-Québec, Sonia Gagné.
Collecte séparée
En ce qui a trait au recyclage, le rapport met en lumière les avantages de la « collecte séparée », une pratique « obligatoire dans l’Union européenne (UE), minimalement pour le papier, le métal, le plastique et le verre, auxquels s’ajouteront les matières organiques et les textiles respectivement en 2023 et 2025 ».
Le document précise que « la collecte des matières de façon séparée semble permettre d’en préserver la qualité et favoriser leur revente à des coûts plus avantageux que celles issues des collectes mélangées ». Au Québec, la collecte municipale de nos bacs verts se fait pêle-mêle, une pratique que le gouvernement Legault a décidé de maintenir.
Selon le plus récent bilan de Recyc-Québec, soit celui de 2018, le taux de recyclage des matières recyclables provenant des résidences atteignait 52 %. Ce taux était nettement plus faible pour le verre (28 %), comme celui des bouteilles de vin, et le plastique (25 %).
La province a envoyé pas moins de 1,2 million de tonnes de matières recyclables au dépotoir au cours de l’année 2019-2020. Selon un document de Recyc-Québec, daté de février 2021, 545 000 tonnes de papier et de carton, 458 000 tonnes de plastique, 142 000 tonnes de métal et 76 000 tonnes de verre ont été « éliminées » au Québec.
Textiles aux poubelles
Outre les matières recyclables et les matières organiques (qui peuvent être mises dans le « bac brun »), d’importantes quantités de matières textiles finissent au dépotoir ou ne sont jamais récupérées. Selon les données de Recyc-Québec, pour 63 000 tonnes de « vêtements et autres articles de textiles » récupérées en 2018, 74 000 tonnes ont été envoyées à la poubelle.
Pour les téléphones cellulaires, le bilan 2018 de Recyc-Québec précise que le taux de récupération a atteint à peine 9 %. Dans le cas des ordinateurs portables et des tablettes, le taux chute à seulement 3 %, et à 1 % pour les systèmes « audio-vidéo portables », comme les iPod. Sans compter les impacts environnementaux et sociaux de la production des biens qui ont une courte durée de vie.
Prêts à améliorer les choses
Selon un sondage réalisé par Léger dans le cadre de la commission du BAPE, 93 % des répondants jugent que la gestion des déchets constitue un enjeu de société majeur, auquel il faut s’attaquer rapidement. Et même si 66 % des Québécois estiment qu’ils en font assez pour réduire le plus possible la production de déchets, la proportion de ceux qui seraient personnellement prêts à faire plus d’efforts pour réduire la quantité de déchets à éliminer grimpe à 88 %.
Dans un geste exceptionnel pour cet organisme consultatif, le BAPE avait annoncé le moment de la publication du rapport « L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes », en plus de tenir un point de presse pour expliquer les conclusions de la commission d’enquête. Celle-ci avait obtenu son mandat en janvier 2021 de la part du ministre de l’Environnement, Benoit Charette.