Des règles à revoir pour limiter les dégâts des porcheries

Les projets de porcheries étant en recrudescence, certains chercheurs et organismes de bassins versants estiment crucial de revoir les règles en place pour limiter les dégâts dans les cours d’eau. La concentration des élevages dans une même zone ainsi que la quantité de phosphore réel lessivé — deux variables essentielles — ne sont actuellement pas prises en compte par Québec.
Malgré certaines améliorations dans les dernières années, l’écrasante majorité des rivières en milieu agricole présentent ainsi toujours des niveaux de phosphore inquiétants. Le fumier animal épandu dans les champs — dont celui de porc — constitue la principale source de cet élément.
Le Devoir rapportait en effet samedi que le nombre de porcheries en création ou en expansion a augmenté depuis 2018, selon le nombre d’autorisations décernées par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC).
En contrepartie, l’opposition citoyenne se fait aussi davantage ressentir. Elle se cristallise souvent autour de questions environnementales, notablement la qualité de l’eau en milieu agricole.
Les porcs produisent du lisier riche en phosphore, qui doit être épandu sur une surface en culture. Une certaine quantité d’absorption de ce phosphore est déterminée théoriquement pour chaque champ, selon le sol et les plantes qui y poussent.
Ces quantités sont évaluées et suivies dans un plan agroenvironnemental de fertilisation (PAEF) et dans le bilan de phosphore que les exploitations agricoles doivent présenter au MELCC chaque année.
Mais la « fuite » réelle vers le réseau hydrographique n’est pas surveillée. « Le problème, quand on détermine la quantité de phosphore qu’on peut mettre dans les champs, est qu’on regarde les intrants, mais qu’on ne regarde pas ce qui sort », explique Stéphane Campeau, spécialiste des bassins versants et des systèmes aquatiques à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Il y a donc une inadéquation entre ce qui est déterminé par un agronome dans un PAEF et ce qui se passe en réalité dans les cours d’eau. « Il faut changer de paradigme », croit M. Campeau.
« Les sols sont comme des éponges, ils ont une certaine capacité d’absorption du phosphore. L’excédent s’accumule dans les sols et, quand cette accumulation atteint des niveaux importants, il y a une émission », résume Aubert Michaud, aujourd’hui chercheur associé à l’organisme de bassin versant de la baie Missisquoi. Il a passé 25 ans à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), étudiant notamment ces « écoulements » de phosphore des champs vers les bassins versants.
Les sols sont comme des éponges, ils ont une certaine capacité d’absorption du phosphore. L’excédent s’accumule dans les sols et, quand cette accumulation atteint des niveaux importants, il y a une émission.
Une mauvaise qualité de l’eau
« Tous les plans d’eau en milieu rural sont vulnérables. Il y a manifestement une dynamique d’apport [de phosphore] supplémentaire dans les zones d’intensité d’élevage », poursuit le spécialiste.
Le phénomène contribue grandement à l’eutrophisation des cours d’eau et à l’apparition de cyanobactéries.
Le Québec n’est « surtout pas » dans une situation « où on peut se permettre d’augmenter le phosphore dans les cours d’eau », dit M. Campeau.
Certaines pratiques se sont améliorées dans les dernières années, comme l’ajout de bandes riveraines, sorte de tampon entre les sols et les rivières. La quantité de phosphore en surplus a ainsi diminué, mais « la tendance à l’accumulation n’a pas été inversée dans la plupart des bassins versants », souligne Jean-Olivier Goyette, chercheur postdoctoral à l’Université Laval.
Une étude qu’il a menée et publiée dans Nature Geoscience en 2018 montrait que les bassins versants en zone agricole auraient besoin de 1000 à 1500 ans sans apport de phosphore pour recouvrer complètement la santé, à cause de cette accumulation.
« On est donc loin d’avoir atteint un niveau satisfaisant, surtout dans les petits cours d’eau. Ce niveau de phosphore est de deux à trois fois trop élevé, voire souvent dix fois trop élevé au printemps », affirme M. Campeau.
Québec le reconnaît d’ailleurs sans détour dans son Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques de 2020. À partir de 22 cours d’eau sélectionnés en milieu agricole, le MELCC a noté que la vaste majorité des stations de surveillance présentait presque tout le temps des échantillons dépassant un niveau de phosphore critique pour la protection de la vie aquatique.
Au phosphore s’ajoutent les nitrates et les pesticides : globalement, le seuil de qualité de l’eau est encore loin, disent ces trois chercheurs.
Approche à la pièce
C’est aussi la concentration des élevages animaux, dont porcins, dans certains territoires qui demeure dans un angle mort. Le MELCC évalue chaque bâtiment ou projet porcin de manière distincte : pour trois bâtiments de 3999 porcs présentés par un même éleveur par exemple, le ministère décerne trois autorisations séparément.
« Si on évalue juste ce qui se passe dans des parcelles séparées, mais qu’on ignore le reste, il manque un certain portrait », dit M. Goyette. « L’aspect à la pièce de l’autorisation des projets est en effet préoccupant », croit Aubert Michaud.
Les terres sont drainées pourtant vers un même bassin versant : l’échelle la plus pertinente pour cette problématique, selon tous les chercheurs consultés.
Dans les cours d’eau qui dépassent les critères de qualité de l’eau, y compris celui de 0,03 mg/litre de phosphore, « il faut un moratoire sur le développement de l’industrie porcine », dit M. Campeau.
M. Michaud propose que, dans les zones de concentration, l’apport dans les champs soit limité, notamment en exigeant la séparation de la partie solide du lisier de porc de celle liquide. Cela permettrait un enrichissement « plus à la carte » et donc moins susceptible d’être en surplus, note aussi Stéphane Godbout, chercheur à l’IRDA.
Plusieurs technologies, comme les « grattes en V » ou les centrifugeuses, permettent déjà de séparer le liquide du solide.
L’obligation d’enfouir rapidement dans le sol, en le retournant ou par injection, pourrait également faire partie des mesures d’encadrement, ajoute-t-il.
L’érosion des sols doit aussi « être absolument contrôlée », dit M. Michaud. Les terres peuvent être protégées par une rotation qui s’éloigne du duo commun maïs-soya, des engrais verts ou des cultures de couverture en hiver. Enfin, les terres doivent être aménagées de manière qu’elles respectent les bandes riveraines.
Trois solutions, trois lignes de front pour l’environnement, « et trois leviers d’accompagnement » conclut M. Michaud. Des coûts sont reliés à ces mesures, mais les « externalités sur l’environnement » doivent être prises en considération dans le prix du porc ou encore dans des programmes d’aide financière, suggère aussi M. Campeau.