Le gouvernement ignore les coûts du nettoyage des puits pétroliers et gaziers au Québec
Le gouvernement du Québec ignore toujours à combien s’élèvera la facture pour le nettoyage des dizaines de puits pétroliers et gaziers abandonnés sur son territoire, dont plusieurs laissent fuir des hydrocarbures depuis des années. La décontamination de certains de ces puits risque de coûter des millions de dollars aux contribuables, selon ce qui se dégage des données disponibles. Mais encore faut-il trouver des entreprises pour mener les travaux, que Québec espère terminer d’ici 2023.
Au moment où le gouvernement Legault prépare un projet de loi qui doit permettre d’offrir des compensations financières aux entreprises pétrolières et gazières qui devront renoncer à leurs permis d’exploration, l’État québécois doit aussi prévoir de dépenser des dizaines de millions de dollars pour restaurer des puits abandonnés qui laissent fuir du gaz naturel ou du pétrole. Certains ont été forés il y a plus d’un siècle.
Le Devoir a toutefois constaté qu’il est impossible, à l’heure actuelle, d’obtenir une évaluation précise des coûts de décontamination des puits d’exploration qui sont à la charge de l’État québécois. Selon les données du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), 534 puits « inactifs » ont été localisés depuis 2018, et 241 autres n’ont pas été retrouvés, malgré les inspections menées par le ministère. De ce nombre, 209 sont considérés comme « non localisables », et donc perdus à jamais.
Parmi les puits inactifs localisés, le MERN évalue que 95 nécessiteront des « travaux », par exemple pour stopper des fuites de gaz naturel ou de pétrole. Or, la seule liste comportant une évaluation des coûts de restauration par puits date du 31 mars 2020 et elle compte seulement 30 puits inscrits au « passif au titre des sites contaminés » (PTSC). Le ministère nous a transmis une liste plus récente, datée du 31 mars 2021. Celle-ci compte 44 puits, mais elle ne comporte plus d’estimation des coûts, contrairement à la liste de 2020.
La liste de mars 2020 donne toutefois un aperçu de l’ampleur de la facture qui attend les contribuables québécois pour venir à bout de cet héritage toxique.
Pour un seul puits de 4000 mètres de profondeur, foré en 1996 au sud-est de Trois-Rivières par l’entreprise Genoil, le « montant » inscrit au PTSC est de 14,1 millions de dollars. Pour un autre puits foré dans la même région, en 1956, les coûts sont évalués à plus de 7 millions de dollars. Les inspecteurs du ministère y ont constaté « une forte odeur d’hydrocarbure », de la contamination du sol par le pétrole, une migration de gaz qui représente « un risque » en vertu de la Loi sur les hydrocarbures.
Pas de soumissionnaire
Pourquoi ces factures sont-elles aussi élevées ? Les rapports d’inspection du MERN offrent peu de détails, mais le ministère a indiqué qu’en attendant une estimation plus précise, « le coût d’inscription au passif est évalué en fonction de la profondeur des puits ». Afin d’obtenir une évaluation plus détaillée, le gouvernement a d’ailleurs lancé cette année deux appels d’offres pour trouver une entreprise chargée d’élaborer « un programme de fermeture définitive des puits d’hydrocarbures inactifs » et de superviser les travaux à venir. À deux reprises, l’appel d’offres a dû être annulé, dont la dernière fois le 25 novembre, faute de soumissionnaire.
Pour le moment, les 30 puits pour lesquels le MERN a inscrit une estimation des coûts nous conduisent à une facture totale de 54 millions de dollars, dans laquelle 16 puits sont évalués à plus d’un million de dollars. Mais cette estimation concerne moins du tiers des 95 puits officiellement à la charge de l’État. Tous ces puits ont été forés par des entreprises qui ont depuis longtemps cessé d’exister.
Certains de ces puits ont en effet été forés à la fin du XIXe siècle en Gaspésie et ils laissent encore aujourd’hui fuir du pétrole brut en surface, ce qui a contaminé le sol, selon ce qui se dégage des rapports d’inspection des dernières années, photos à l’appui. C’est le cas de puits de l’entreprise Petroleum Oil Trust, dont un foré en 1891 à Gaspé et dont la facture de nettoyage est évaluée à 3,4 millions de dollars. Dans ce cas, les inspecteurs du ministère ont aussi constaté en 2019 « une forte fuite de méthane », un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le CO2, sur une période de 20 ans.
« Boîtes à surprises »
Membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec, Marc Brullemans est catégorique, après avoir analysé les rapports du gouvernement : la facture va continuer de grimper, au fur et à mesure que le MERN obtiendra des évaluations plus précises des coûts de la restauration de ces puits, qui constituent parfois des « boîtes à surprises ».
Selon lui, il est aussi probable qu’il y a aura plus de 95 puits nécessitant des travaux, notamment si on prend en compte certains puits inscrits comme étant « actifs ». La liste fournie au Devoir par le MERN compte 132 de ces puits, qui ont théoriquement un propriétaire. Or, plusieurs de ces entreprises, dont certaines étaient actives dans la recherche de gaz de schiste il y a à peine une décennie, ont depuis quitté le Québec.
Le porte-parole d’Environnement vert plus, Pascal Bergeron, estime pour sa part que certains vieux puits pétroliers situés en Gaspésie pourraient même avoir contaminé les eaux souterraines, au fil de décennies de fuites. « Est-ce qu’on va constater un jour que des nappes phréatiques ont été irrémédiablement contaminées ? On ne le sait pas, mais il faut que le MERN vérifie l’ampleur de la pollution. C’est un gros problème à gérer en Gaspésie, et il faut agir rapidement. »
Au cabinet du ministre responsable du MERN, Jonatan Julien, on assure que le gouvernement garde le cap sur son objectif de traiter 100 % des puits « inactifs » d’ici la fin de 2023. Après la phase de recherches et d’inspections de ces puits, de 2018 à 2021, le ministère espère maintenant trouver des « firmes spécialisées » pour prendre en charge les travaux.
Quatre millions de dollars pour les puits d’Anticosti
En mettant une croix sur le projet Hydrocarbures Anticosti, le gouvernement du Québec a dû compenser les entreprises impliquées, en plus des dépenses effectuées dans le cadre du projet. La facture totale pour l’État québécois a atteint 92 millions de dollars. Mais ce n’est pas tout, puisque le gouvernement a aussi hérité de la tâche de fermer tous les puits forés sur l’île. Pour trois puits qui avaient été forés par les entreprises Pétrolia et Corridor Resources, Québec a ainsi déboursé 3,9 millions de dollars. « Ces puits sont maintenant fermés définitivement et leur site restauré », précise le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.