Trans Mountain brise les engagements du Canada

L’expansion du pipeline Trans Mountain devrait coûter au moins 12,6 milliards de dollars au gouvernement du Canada.
Jason Franson Archives La Presse canadienne L’expansion du pipeline Trans Mountain devrait coûter au moins 12,6 milliards de dollars au gouvernement du Canada.

Partant du fait que le Canada a « la pire performance » climatique de tous les pays du G7 depuis la signature de l’Accord de Paris, Ottawa doit agir rapidement pour réduire notre dépendance à l’industrie pétrolière et gazière, conclut le commissaire à l’environnement et au développement durable. Ce dernier qualifie d’ailleurs le rachat et le financement du pipeline Trans Mountain d’incohérence politique par rapport aux engagements du pays en faveur de la protection du climat.

« Le Canada a déjà été un chef de file dans la lutte contre les changements climatiques. Toutefois, après une série d’occasions ratées, il est désormais le pays avec la pire performance de toutes les nations du G7 depuis l’adoption de l’historique Accord de Paris sur les changements climatiques en 2015 », a résumé jeudi le commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco.

« Nous ne pouvons pas continuer d’aller d’échec en échec. Nous devons prendre des mesures et obtenir des résultats. Il ne suffit pas d’établir d’autres cibles et d’autres plans », a-t-il ajouté, en présentant un rapport intitulé Leçons tirées de la performance du Canada dans le dossier des changements climatiques. Celui-ci fait état du fait que « 30 ans d’engagements pris par le gouvernement fédéral pour réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada ont abouti à une hausse des émissions de plus de 20 % depuis 1990 ».

Trans Mountain

Le rapport, déposé jeudi à la Chambre des communes, critique notamment la décision du gouvernement Trudeau de nationaliser le pipeline Trans Mountain, puis de financer le projet de prolongement de cette conduite qui sert à faciliter l’exportation de pétrole des sables bitumineux, à raison de 325 millions de barils par année. « Le financement du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain est un exemple d’incohérence de politiques qui ne cadre[nt] pas avec les engagements pris dans la lutte contre les changements climatiques », peut-on lire dans le document.

Le gouvernement Trudeau a toujours défendu sa décision de racheter, en 2018, le pipeline Trans Mountain à la pétrolière texane Kinder Morgan, au coût de 4,5 milliards de dollars, une facture à laquelle il faut ajouter au moins 12,6 milliards de dollars pour le projet d’agrandissement qui est en cours. Les libéraux ont promis d’utiliser tous les éventuels revenus tirés du pipeline pour financer des mesures en faveur de la lutte contre la crise climatique.
 

Le commissaire fédéral souligne toutefois que les industries fossiles nuisent aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada. « Même en tenant compte des réductions considérables des émissions de sables bitumineux par baril, la production pétrolière et gazière du Canada, qui est en pleine expansion, reste l’un des principaux obstacles à l’atteinte des cibles climatiques du pays », souligne-t-il dans son rapport.

Grand pollueur

Qui plus est, l’analyse du commissaire rappelle qu’une croissance de la production est prévue pour les prochaines années, et ce, même si la consommation nationale diminue. « En ce sens, les émissions de gaz à effet de serre du Canada sont beaucoup plus élevées que la quantité qui est comptabilisée aux termes de l’Accord de Paris parce que cet accord ne tient compte que des émissions qui sont rejetées sur le territoire d’un pays et non pas des exportations, qui sont attribuées aux pays consommateurs », constate-t-il.

La plus importante part des émissions provient en effet de l’utilisation de ces énergies, et donc de leur combustion. Résultat : « Peu importe la méthode de comptabilisation, le Canada continue de contribuer grandement à l’accumulation dangereuse de gaz à effet de serre » dans l’atmosphère terrestre, ce qui menace la viabilité du climat mondial. « Même si le Canada rejette environ 1,6 % des émissions mondiales, il fait partie des 10 plus grands émetteurs de la planète et constitue l’un des plus grands émetteurs par habitant. »

M. DeMarco ajoute cependant qu’en raison du caractère très polarisant de cette filière au pays, « les politiques climatiques ambitieuses se heurtent non seulement aux climatosceptiques, mais aussi à la résistance de divers intérêts industriels puissants et aux inquiétudes des électeurs qui craignent une augmentation des coûts de l’énergie et des pertes économiques en raison de la transition à des sources d’énergie plus propres ».

Transition inévitable

La transition vers d’autres secteurs économiques, moins polluants, est néanmoins inévitable, selon le commissaire, qui invite le fédéral à « réduire » sa dépendance « aux secteurs qui rejettent de grandes quantités d’émissions ». « Pour faire une transition économique et réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles, il faut assurer la protection des collectivités et des travailleuses et travailleurs qui pourraient être touchés par la politique climatique », notamment dans les provinces qui seront les plus touchées, soit l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et Terre-Neuve.

Pour le commissaire DeMarco, la mise en œuvre d’un plan efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’une stratégie d’adaptation aux impacts de la crise climatique est également un devoir envers les générations à venir. « L’inaction qui persiste pèse injustement sur les générations futures qui devront faire face aux répercussions encore plus marquées des gaz à effet de serre à longue durée déjà rejetés dans l’atmosphère », peut-on lire dans le rapport.

Après s’être engagé plus tôt cette année à réduire de 40 % à 45 % les émissions canadiennes d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005, le gouvernement Trudeau a promis d’imposer un plafond aux émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier. Les modalités restent cependant à préciser. Ottawa s’est aussi engagé, dans le discours du Trône présenté plus tôt cette semaine, à mettre en œuvre une première stratégie nationale d’adaptation aux impacts de la crise climatique.

« Les économistes s’entendent en général pour dire que les coûts liés aux changements climatiques vont s’alourdir à mesure que les émissions augmentent, constate justement le commissaire à l’environnement et au développement durable. L’Institut canadien pour des choix climatiques estime que le coût moyen d’une catastrophe naturelle au Canada s’est décuplé depuis les années 1970. »

En phase de « rattrapage »

Réagissant à la publication des rapports du commissaire, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, n’a pas commenté précisément le dossier du pipeline Trans Mountain en point de presse. « On peut prendre n’importe quel gouvernement sur la planète et regarder un seul élément et dire : “ça, ça ne fonctionne pas”. Mais je pense que mon approche, et celle de mon collègue Jonathan Wilkinson, c’est de regarder l’ensemble de ce que nous avons fait », a-t-il répondu aux journalistes.

Le ministre a alors rappelé la décision de mettre en place une tarification carbone qui est appelée à augmenter au fil du temps, mais aussi les 100 milliards de dollars d’investissements en matière de lutte contre la crise climatique depuis 2016.

« Je vous mets au défi de trouver un pays du G7 qui en a fait plus que nous au cours des quatre ou cinq dernières années, alors qu’avant nous, c’était la terre brûlée, a ajouté M. Guilbeault. Il faut en faire plus. Le Canada est en “mode rattrapage”, mais nous nous sommes attelés à la tâche comme aucun gouvernement ne l’a fait avant nous. »

Le Bloc québécois estime que le commissaire a fait la démonstration que le pays devrait restreindre la production de pétrole et de gaz, et non seulement plafonner les émissions du secteur comme le proposent les libéraux. « Le gouvernement ne peut plus nous dire que c’est de la faute du gouvernement précédent. Ce que le commissaire nous dit, c’est que depuis l’Accord de Paris, le gouvernement Trudeau n’a eu que des échecs dans sa lutte contre les changements climatiques », estime la porte-parole du Bloc en matière d’environnement, Monique Pauzé.

Avec Boris Proulx et Marie Vastel

Un programme sans réduction efficace des gaz à effet de serre

Dans un autre rapport publié jeudi, le commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco, conclut que Ressources naturelles Canada « n’a pas conçu le Programme côtier et infracôtier du Fonds de réduction des émissions de manière à permettre des réductions crédibles et durables des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur pétrolier et gazier ». Ce programme de 675 millions de dollars, lancé dans le cadre du Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19, visait à réduire « les émissions nocives » tout en préservant les emplois et en attirant les investissements dans les sociétés terrestres de pétrole et de gaz.

 

L’audit a permis de constater que « le programme avait été mal conçu, car il n’établissait pas de lien entre le financement et les réductions d’émissions nettes ». Par exemple, certaines sociétés avaient indiqué dans leur demande qu’elles augmenteraient leurs niveaux de production. « Une production accrue entraînerait, à son tour, une hausse des émissions, ce qui va à l’encontre de l’engagement pris par le Canada de réduire ses émissions de gaz à effet de serre », note le rapport du commissaire.



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