Un Québec vulnérable et mal préparé à la crise climatique
Au sortir de la 26e conférence climatique de l’ONU (COP26), le monde se dirige toujours vers un réchauffement qui pourrait dépasser les 2,7 °C. Pour le Québec, la hausse serait encore plus forte, ce qui provoquera une augmentation importante des vagues de chaleur, des problèmes de santé et des coûts pour un système déjà sous pression, sans oublier les impacts de la montée des eaux et de l’érosion côtière. Or, la province est très mal préparée pour faire face à une crise qui ne manquera pas de frapper fort.
« Il faut apprendre à mieux gérer les risques, et nous n’en parlons clairement pas assez », résume le directeur général du consortium de recherche en climatologie Ouranos, Alain Bourque. Ce dernier répète d’ailleurs, depuis des années, que le Québec doit certes réduire ses émissions de gaz à effet de serre, mais aussi se préparer à subir les impacts des bouleversements du climat, qui ne dépendent évidemment pas du seul bilan carbone de la province.
M. Bourque rappelle que, peu importe quelle sera l’ampleur du réchauffement moyen à l’échelle mondiale, celui-ci sera plus prononcé dans le sud du Québec, et encore plus prononcé dans les régions plus nordiques. À supposer que la tendance climatique actuelle se maintienne, la hausse planétaire serait d’au moins +2,7 °C, par rapport à l’ère préindustrielle. Pour le Québec, l’augmentation s’élèverait plutôt à +3,5 °C, voire à 4 °C, pour la portion sud du territoire, qui est la plus habitée. Plus au nord, ce réchauffement pourrait atteindre +5,4 °C.
Par ailleurs, si les engagements volontaires pris par les pays signataires de l’Accord de Paris ne sont pas respectés, la hausse du mercure pour les régions qui regroupent l’essentiel de la population québécoise risque de dépasser les +5,2 °C, prévient Alain Bourque.
Ces prévisions inquiètent l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), souligne la conseillère scientifique Céline Campagna. Elle cite en exemple l’amplification du phénomène des vagues de chaleur, qui causent déjà des décès au Québec. D’une moyenne annuelle de trois journées à plus de 32 °C il y a de cela une décennie, on pourrait passer à plus de 20 jours d’ici à 2040, puis à près de 50 jours avant la fin du siècle. Et même si on manque de données pour prévoir les décès appréhendés au Québec, Mme Campagna cite une évaluation pancanadienne qui estime que, « d’ici la fin du siècle, sans mesures d’adaptation efficaces, on pourrait voir de 400 % à 500 % plus de décès liés aux vagues de chaleur au pays ».
La présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), Claudel Pétrin-Desrosiers, précise que les vagues de chaleur « peuvent aussi aggraver plusieurs problèmes de santé et amener des gens à consulter pour des soins ». Elle cite en exemple la vulnérabilité des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, qui risque d’être exacerbée, et ce, « dans un contexte où les services sont déjà limités ».
La multiplication des événements climatiques extrêmes, comme les inondations, risque aussi d’alourdir les problèmes de santé mentale, soulignent Mme Pétrin-Desrosiers et Mme Campagna. Les gens qui ont vécu le traumatisme d’une inondation sont nettement plus susceptibles de souffrir de dépression, de troubles du sommeil, d’anxiété, voire de « choc post-traumatique », explique la présidente de l’AQME.
Mme Campagna ajoute que divers autres problèmes de santé risquent de s’amplifier en raison de la crise climatique. C’est le cas des allergies au pollen, par exemple celui de l’herbe à poux, qui affecte une personne sur cinq au Québec. Or, cette plante produit davantage de pollen, et plus allergène, lorsque la température augmente, ce qui a aussi pour effet d’accroître son aire de distribution. « Les coûts pour la santé risquent d’exploser », prévient la conseillère de l’INSPQ.
Un système prêt ?
La longue liste des enjeux en santé liés aux bouleversements climatiques soulève par ailleurs la question de la capacité de notre système de santé à y faire face. « On ne connaît pas l’ensemble des impacts et des coûts quand on additionne les différentes perturbations environnementales. C’est une question qui est préoccupante. D’ailleurs, à l’échelle internationale, on se pose de plus en plus la question de la préparation de nos systèmes de santé. Est-ce qu’ils seront en mesure de répondre à la demande supplémentaire de soins ? La question se pose aussi au Québec », fait valoir Claudel Pétrin-Desrosiers.
« On manque de ressources financières pour soutenir l’adaptation du réseau de la santé et des organisations qui travaillent pour la santé et la sécurité de la population », soutient pour sa part Céline Campagna. « L’adaptation est pourtant très importante. On en parle moins, parce qu’on met l’accent sur le besoin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais le même effort devrait être fourni pour s’adapter, parce qu’on peut commencer à calculer qu’une adaptation forte réduirait les impacts, par exemple en santé. »
Un point de vue que partage Alain Bourque, qui cite également les enjeux très sérieux qui se profilent pour les régions côtières de la province, qui seront soumises à la montée du niveau des eaux et à une intensification des effets des tempêtes hivernales, en raison de la diminution du couvert de glace. Autant de facteurs qui vont aggraver pendant longtemps le problème de l’érosion côtière, et ce, même si on parvenait à stabiliser le climat mondial. « C’est parti, et ça va continuer. Le rehaussement du niveau de la mer prendra encore au moins une centaine d’années pour se stabiliser une fois que le climat sera stabilisé », prévient-il.
Le directeur général d’Ouranos plaide donc pour une meilleure planification. « Il faut repenser l’aménagement du territoire dans le cadre du renouvellement des routes, des bâtiments, etc. Il y aura des décisions extrêmement difficiles qui devront être prises. Dans certains cas, il faudra déplacer des bâtiments. Ça risque de coûter cher, mais, si on le fait de façon organisée, ça coûtera moins cher que de le faire dans le cadre d’une gestion de crise. »
Le ministère des Transports a d’ailleurs recensé pas moins de 273 segments de route désormais considérés comme vulnérables. Le gouvernement souhaite donc lancer un « programme d’intervention » sans précédent pour tenter de protéger les infrastructures des régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Et on devra aussi se préparer à subir les effets de la montée des eaux. Selon une simulation mise en ligne par « Climate Action Tracker », un réchauffement global de + 2,7 °C risquerait, à terme, d’engloutir une part importante des Îles-de-la-Madeleine, des secteurs de Limoilou et de Beauport, à Québec, mais aussi du pourtour du lac Saint-Pierre et de la région de Trois-Rivières.
Quelles doivent être les priorités en matière d’adaptation pour le Québec ? Le gouvernement compte-t-il augmenter le financement en matière d’adaptation ? Le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, n’a pas répondu aux questions du Devoir.