Après la COP26, un monde toujours loin d’une sortie de crise climatique

Entre les amères déceptions exprimées par plusieurs et les quelques gains salués par d’autres, la 26e conférence climatique de l’ONU (COP26) a surtout démontré de nouveau l’immense difficulté à placer la planète sur une trajectoire climatique viable, malgré l’évidence des constats scientifiques et la volonté de plus en plus affirmée d’agir pour éviter la catastrophe.
« La catastrophe climatique frappe toujours à la porte », a déploré samedi le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, tout juste après l’adoption du « Glasgow Climate Pact », au terme de deux semaines de négociations difficiles. « Les textes adoptés sont un compromis. Ils reflètent les intérêts, la situation, les contradictions et l’état de la volonté politique actuelle dans le monde. […] Malheureusement, la volonté politique collective n’a pas été suffisante pour surmonter de profondes contradictions », a-t-il insisté par voie de communiqué.
S’il fallait encore un exemple du défi que représentent les négociations climatiques à 197 États, la fin de cette COP26 en a fourni un pour le moins révélateur. Alors que tous s’attendaient à l’adoption de la troisième version du texte de la déclaration finale, les pays ont dû accepter une concession de dernière minute sur le libellé de l’article portant sur les énergies fossiles.
À la demande de l’Inde et la Chine, le texte a été modifié pour évoquer la nécessité de poursuivre les efforts en vue de « réduire » le recours au charbon sans système de capture et de stockage des émissions de gaz à effet de serre (GES), au lieu de miser sur l’« élimination ». Le président de cette COP26, le Britannique Alok Sharma, a même eu brièvement la voix brisée par l’émotion, se disant « profondément désolé » de ce changement, qui a suscité de vives critiques.
Qui plus est, la mention de la fin des « subventions aux énergies fossiles » avait été auparavant modifiée dans la seconde version du projet de déclaration, de façon à préciser qu’il est question uniquement des subventions dites « inefficaces ».
Professeur adjoint au Département de science politique de l’Université Laval, Alexandre Gajevic Sayegh souligne toutefois que l’enjeu des énergies fossiles « est inscrit pour la première fois dans le cadre d’une déclaration finale de COP ». Cette mention est d’autant plus importante, selon lui, qu’il n’y a pas de lutte possible contre la crise climatique sans élimination des énergies fossiles. « C’est un problème grave et nous sommes très en retard », prévient-il, en insistant sur la puissance du « lobby » de l’industrie, y compris dans le cadre des conférences sur le climat.
Fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal et conseiller principal chez Copticom, Hugo Séguin estime néanmoins que la COP26 est celle où, plus que jamais, « les énergies fossiles se font montrer la porte ». Il rappelle notamment que plus de 80 pays, dont le Canada, ont pris l’engagement de réduire de 30 % leurs émissions de méthane d’ici 2030, par rapport à 2020. Une douzaine de pays et de régions ont aussi promis de mettre fin aux projets d’exploitation de pétrole et de gaz sur leur territoire. Et plus d’une vingtaine de pays ont annoncé leur intention de mettre fin aux subventions internationales aux énergies fossiles.
Cibles insuffisantes
Malgré ces progrès, qui auraient été impensables il y a encore peu de temps, cette COP26 n’a pas permis de rapprocher significativement la planète de l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris sur le climat, soit de limiter le réchauffement à +1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle. « Nous avons maintenu +1,5 °C à notre portée […] mais le pouls est faible », a d’ailleurs illustré samedi Alok Sharma.
« Cet objectif est toujours possible, mais la fenêtre se referme très rapidement », admet lui aussi Alexandre Gajevic Sayegh. Pour y parvenir, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime qu’il faudrait réduire les émissions mondiales de GES de 45 % d’ici 2030, par rapport à leur niveau de 2010. Or, selon les calculs de l’ONU, les émissions sont plutôt sur la voie d’une croissance de 13,7 % d’ici la fin de la décennie.
Selon la plus récente mise à jour des « contributions déterminées au niveau national », soit les engagements volontaires pris par les États, le monde se dirige toujours vers un réchauffement d’au moins +2,7 °C, voire 2,2 °C, à supposer que toutes les promesses politiques de « carboneutralité » à l’horizon 2050 soient respectées. Dans ce contexte, Hugo Séguin salue l’idée de réviser plus rapidement le niveau d’ambition climatique. La déclaration de Glasgow appelle en effet les pays à « revisiter et renforcer » leurs objectifs de réduction des émissions, et ce, « d’ici la fin de 2022 ».
Des milliards en jeu
La révision des cibles climatiques, qui est essentielle pour éviter le naufrage annoncé du climat, ne sera toutefois pas suffisante pour éviter un accroissement des impacts de la crise, particulièrement pour les régions du monde qui en subissent déjà les contrecoups : sécheresses, tornades, montée du niveau des eaux, déclin de la biodiversité, inondations, etc.
Or, le dossier du financement climatique, qui pèse sur toutes les négociations des dernières années, n’est toujours pas complètement réglé. Dès 2009, les pays développés avaient promis de fournir aux pays en développement une enveloppe annuelle de 100 milliards de dollars, pour les aider à réduire leurs émissions de GES et à s’adapter aux impacts de la crise climatique. Or, cette somme n’est toujours pas au rendez-vous et elle risque de l’être seulement en 2023.
La COP26 n’a pas non plus permis, pour les pays les plus pauvres, d’obtenir gain de cause sur un possible financement spécifique aux « pertes et préjudices » qu’ils subissent déjà en raison du réchauffement, alors qu’ils ne sont pas responsables de celui-ci. Le compromis adopté met seulement en place un « dialogue » annuel sur cette question jusqu’en 2024.
Ces questions à plusieurs milliards de dollars devraient se poser avec encore plus d’insistance dans les prochaines années, selon Hugo Séguin. Il évalue d’ailleurs que lors de la révision prévue du fonds de 100 milliards de dollars, dès 2025, la facture pourrait se chiffrer en « centaines de milliards de dollars ». « Les 100 milliards de dollars, c’est de la petite monnaie par rapport aux besoins, mais aussi par rapport aux flux financiers dans le monde », souligne-t-il. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, les gouvernements dépensent chaque année 423 milliards de dollars en subventions aux combustibles fossiles.
Déception et espoirs
Plusieurs organisations environnementales et de nombreux scientifiques ont déploré le manque d’ambition de la COP26, alors que la crise climatique continue de s’aggraver. « C’est édulcoré, c’est faible et l’objectif de 1,5 °C est tout juste vivant, mais un signal a été envoyé : l’ère du charbon est terminée. Et cela compte », a résumé la directrice générale de Greenpeace international, Jennifer Morgan.
Refusant de parler de succès, Équiterre a évoqué une influence de l’industrie des énergies fossiles sur la déclaration finale de la COP26. « Tant que sa voix sera aussi forte, comptant sur plus de 500 représentants à Glasgow, et qu’elle sera soutenue par certains États, l’issue des négociations climatiques internationales ne pourra pas être à la hauteur de l’importante transformation que nos sociétés doivent opérer sans délai », a fait valoir Andréanne Brazeau, analyste politique de l’organisme.
« Je comprends l’exaspération et le ras-le-bol de plusieurs. Je suis depuis longtemps les COP et je vois les progrès, mais aussi la progression des changements climatiques et de leurs impacts. Ils avancent plus vite que notre capacité à y faire face », insiste Hugo Séguin. « Mais à Glasgow, on a fait des progrès dans nos moyens de réduire les impacts, tout en restant fixé sur l’objectif du +1,5 °C. On a fait les gains qui étaient possibles et on a décidé de regarder, dans la prochaine année, ce qu’on peut faire de plus, avant d’arriver l’an prochain avec un engagement à en faire plus. On devrait donc réduire les écarts », prédit-il.
Alexandre Gajevic Sayegh insiste pour sa part sur l’importance de mettre en œuvre les engagements pris sur la scène internationale. « La lutte contre la crise climatique doit se faire à tous les niveaux de gouvernance, jusqu’à la maison. La COP est un instrument parmi d’autres. Maintenant, il faut voir ici comment vont agir les gouvernements du Québec et du Canada, mais aussi les municipalités, pour devenir des leaders en matière de lutte contre les changements. Il y a beaucoup de choses à faire chez nous. »
La COP26 n’a pas permis, pour les pays les plus pauvres, d’obtenir gain de cause sur
un possible financement spécifique aux « pertes et pré-judices » qu’ils subissent déjà en raison de
la crise climatique