Taxer les pesticides, une bonne idée?

La Suède le fait depuis 35 ans ; la France depuis 13. Le Danemark en impose à des taux allant jusqu’à 30 % et récolte ainsi plus de 117 millions de dollars par an. Le Québec pourrait à son tour opter pour une forme de frais ou de redevance sur les pesticides, une volonté que le ministre de l’Environnement a inscrit dans un projet de loi déposé mardi.
« Frais, droit ou redevance réglementaire », est-il décrit dans le projet de loi 102 : mais en évitant sciemment le mot « taxe », le cabinet du ministre Benoit Charette dit ne pas encore savoir « quelles formes prendront [ces] instruments économiques ». Son ministère a publié en 2019 une étude de 32 pages qui documentait les pratiques d’autres pays, qui, eux, n’hésitent pas à dire qu’ils optent pour la taxation.
Plusieurs experts croient qu’une mesure du genre, qui instaurerait le principe du « pollueur-payeur », accélérerait le virage vert de l’agriculture québécoise. Appliquer une taxe sur les ventes de pesticides fait d’ailleurs partie des recommandations de l’Union paysanne depuis plusieurs années.
« Les coûts sociaux et environnementaux — les externalités — ne sont pas pris en compte dans l’agriculture conventionnelle », fait remarquer Marie-Josée Renaud, coordonnatrice de ce regroupement qui fait la promotion d’une agriculture plus écologique. Elle croit que ces frais pourraient « rétablir la disparité dans le prix » entre les produits biologiques et les autres. « L’idée est de renverser la logique : les agriculteurs bios paient [présentement pour] une certification, alors que ce qui coûte cher à la société est d’envoyer des pesticides et des engrais dans l’eau, dans les sols et dans l’environnement en général », dit Mme Renaud.
D’autres producteurs s’inquiètent plutôt des répercussions sur les coûts de productions et le prix du panier d’épicerie. Le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, craint en outre que l’imposition de telles redevances désavantage les producteurs d’ici : « Si on taxe les pesticides au Québec mais qu’on ne taxe pas les aliments importés d’autres provinces ou d’autres pays, est-ce que cette taxe aura un impact sur notre compétitivité ? »
Le modèle de frais ou de redevance importera aussi. L’UPA privilégierait une taxe sur les produits pour lesquels il y a des alternatives, dit M. Groleau. « Si je taxe un pesticide, mais que j’ai une solution de remplacement, cette solution devient plus attrayante. Mais taxer pour taxer ne fait qu’augmenter le fardeau des producteurs », illustre-t-il.
D’autres modèles
La question n’est pas tout à fait nouvelle : le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a d’ailleurs étudié ce genre d’instrument économique en 2019.
Le rapport comparait alors cette forme de taxation aux redevances sur l’eau ou à celles pour l’élimination des matières résiduelles. On y proposait qu’elle soit établie en fonction du risque pour la santé humaine et l’environnement. L’indice de toxicité qui est déjà évalué au Québec, notamment pour produire le bilan annuel des ventes de pesticides.
Au Canada, plusieurs produits d’usage agricole sont détaxés lorsque vendus en grande quantité, comme les engrais et les pesticides qui ne sont pas explicitement à usage domestique. Les titulaires d’homologation, presque toujours des fabricants de pesticides, paient des droits annuels pour chaque produit homologué, ce qui amène des revenus de sept millions de dollars au pays.
Au Québec, les entreprises qui vendent des pesticides ou en utilisent doivent renouveler un permis tous les trois ans moyennant des droits de 117 $ à 702 $ pour trois ans selon la catégorie d’activité. Le rapport réalisé par le MELCC en 2019 suggérait d’ailleurs la hausse de ces droits comme une autre piste de solution.
Différents modèles sont aussi décrits dans le document. Le Danemark, où il se vend une quantité comparable de pesticides à celle du Québec, taxe les ventes en gros ; les revenus qui en sont tirés sont évalués à 117 millions de dollars canadiens par année.
Si la province appliquait plutôt le modèle suédois, soit une taxe d’environ 5,20 $ par kilogramme d’ingrédients actifs vendu, les revenus totaliseraient plutôt 11,5 millions de dollars. Quelque 1,9 million de kilogrammes d’ingrédients actifs se sont vendus au Québec en 2019, soit la dernière année pour laquelle les données sont disponibles.
La Norvège applique quant à elle un tarif par hectare ajusté à l’aide du facteur de risque de chaque substance.
Enfin, l’Union européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le Programme des Nations unies pour le développement sont tous en faveur de ce type d’instruments économiques.
À quelles fins ?
De son côté, l’UPA préfère les incitatifs aux taxes : « Il y a longtemps qu’on demande de rémunérer les bonnes pratiques agricoles », dit M. Groleau. Cet avis est partagé par les Producteurs de grains du Québec. Son directeur général, Benoît Legault, invite d’ailleurs le MELCC à évaluer cette possibilité « en même temps que de nouvelles mesures de soutien pour les producteurs », écrit-il par courriel au Devoir. Les mesures incitatives, donnent de meilleurs résultats, soutient-il.
Le projet de loi 102 précise que les sommes perçues devront être « affectées au financement de programmes favorisant la réduction et la rationalisation de l’usage des pesticides ». Ces sommes peuvent inclure les frais et redevances, mais également les amendes imposées aux contrevenants à la Loi sur les pesticides.
Le cabinet du ministre Charette a confirmé au Devoir que « ces sommes seront réinvesties dans des projets favorisant les meilleures pratiques en agroenvironnement ». De tels programmes existent déjà et relèvent du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Le Plan d’agriculture durable présenté par le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, prévoit notamment 70 millions de dollars sur cinq ans pour un projet pilote en rétribution des pratiques environnementales. Mais l’UPA et l’Union paysanne souhaitent qu’ils soient bonifiés et étendus.
La taxe prélevée en France a servi à financer un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides. Québec a récemment ajouté la maladie de Parkinson provoquée par une exposition aux pesticides à la liste des maladies professionnelles. Le gouvernement Legault compte sur la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour l’indemnisation.
Moins de 40 % des entreprises agricoles cotisent cependant à cette institution, car plusieurs producteurs sont leur propre employeur. L’UPA a demandé de former un fond spécifique pour aider les agriculteurs malades après une longue utilisation de pesticides, mais cette demande « n’a pas reçu d’écho à Québec », dit Marcel Groleau. La création d’un tel fonds, même à partir d’une taxe sur les pesticides, lui semble donc « un exemple plus intéressant ».