Les libéraux appelés à tourner le dos aux fossiles

La production pétrolière canadienne se concentre dans les sables bitumineux, une industrie importante dans l’ouest du Canada.
Photo: Marco Bélair-Cirino Le Devoir La production pétrolière canadienne se concentre dans les sables bitumineux, une industrie importante dans l’ouest du Canada.

Au lendemain de la réélection des libéraux de Justin Trudeau, les groupes environnementaux demandent au prochain gouvernement fédéral de tourner le dos aux nouveaux projets d’exploitation pétrolière et gazière et de présenter rapidement un plan pour plafonner, puis réduire les émissions de l’industrie des énergies fossiles.

Selon le directeur des relations gouvernementales d’Équiterre, Marc-André Viau, les élections de lundi soir ont démontré qu’une forte majorité des Canadiens sont en faveur d’une plus grande ambition climatique au pays. « On ne retournera jamais en arrière sur ce plan. Mais la tarification carbone à elle seule n’est pas suffisante. Il en faudra plus pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre », a-t-il fait valoir mardi.

Équiterre et Greenpeace pressent donc les libéraux de mettre un terme aux nouveaux projets d’exploitation pétrolière et gazière au Canada, qui est le quatrième plus important producteur mondial de pétrole et de gaz naturel. Greenpeace réitère du même souffle sa demande d’arrêt immédiat de la construction du projet d’expansion du pipeline Trans Mountain, qui doit être complété en 2023.

Les groupes citent en exemple un récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie qui conclut que pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et limiter le réchauffement global à +1,5 °C, les pays doivent dès maintenant renoncer au développement futur de projets pétroliers et gaziers. Seuls ceux déjà en exploitation en 2021 doivent être maintenus, selon l’organisme international placé sous l’égide de l’OCDE.

Dans le cas du Canada, Équiterre citait mardi une autre étude publiée plus tôt ce mois-ci dans la revue scientifique Nature et qui fait valoir que le Canada devrait laisser dans le sol pas moins de 83 % de toutes ses réserves pétrolières. Au rythme actuel de production (2,95 millions de barils par jour), la production devrait s’arrêter avant 2030.

Promesse libérale

 

Équiterre reprend aussi la promesse libérale de plafonner, puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur pétrolier et gazier. L’organisme environnemental exige ainsi, « dans les 100 premiers jours du mandat », les détails du plan pour y parvenir.

Les libéraux fédéraux ont effectivement pris l’engagement de forcer l’industrie à réduire ses émissions « à partir des niveaux actuels au rythme et à l’échelle nécessaires » pour respecter cet objectif, un plan qui passerait par l’imposition de « cibles » de réduction révisées tous les cinq ans, et débutant en 2025.

En entrevue au Devoir durant la campagne électorale, le ministre Steven Guilbeault avait réitéré cet objectif, mais sans préciser quelle serait l’année de référence qui sera utilisée. Des « mécanismes » devront être mis en place, avait-il dit, mais il est possible que le plafond des émissions soit le niveau atteint par l’industrie pétrolière et gazière en 2021 ou 2022. « On ne parle pas des niveaux de 2025. Mettre quelque chose en place pourrait prendre quelques mois, mais ça ne prendra pas deux ans », a-t-il assuré.

Une fois que ce plafond sera établi, l’industrie sera obligée de réduire ses émissions de GES en sol canadien au cours des années suivantes, ce qui fait que le plafond d’émissions diminuera d’année en année. Cela signifie que les nouveaux projets d’exploitation pétrolière, par exemple en milieu marin ou dans les sables bitumineux, mais aussi les projets d’extraction gazière, pourraient être rejetés par le gouvernement. « Si les projets ne peuvent se faire dans le respect des plafonds, ils ne seront pas autorisés », a promis M. Guilbeault.

Le futur gouvernement Trudeau ne fermera toutefois pas la porte à de nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles. Il faudrait toutefois que cela ne mène pas à un dépassement du « plafond » d’émissions qui, lui, est appelé à diminuer au fil du temps. En ce qui a trait au projet GNL Québec, dont l’évaluation environnementale fédérale est toujours en cours, les libéraux ont promis qu’il ne sera pas autorisé.

Appel à la coopération

Dans leurs appels lancés mardi, plusieurs groupes environnementaux de différentes régions du pays ont par ailleurs demandé aux partis politiques de « coopérer » dans le dossier climatique.

« Le Canada est le seul pays du G7 qui a vu ses émissions augmenter depuis l’Accord de Paris. Pour renverser cette tendance, il nous faut des mesures ambitieuses immédiatement. Nous faisons appel à tous les chefs de parti afin de mettre de côté les politiques partisanes et travailler ensemble et sans délai pour protéger nos communautés et notre planète », a résumé la directrice des stratégies numériques et des campagnes chez Stand. earth, Liz McDowell.

À quelques semaines de la tenue de la prochaine conférence des Nations sur le climat (COP26), l’urgence climatique est plus évidente que jamais, selon la directrice des politiques domestiques au Réseau action climat Canada (RAC), Caroline Brouillette. « Le message des scientifiques et experts est très clair : si nous voulons protéger des vies, nos moyens de subsistance et les écosystèmes, il faut limiter le réchauffement sous les 1,5 degré et, pour ce faire, il faut accélérer nos efforts vers l’élimination des combustibles fossiles. Nos communautés et notre climat ne peuvent plus attendre », a-t-elle fait valoir, par voie de communiqué.

Alors que l’humanité doit réduire considérablement et rapidement ses émissions de gaz à effet de serre (GES) pour éviter le naufrage climatique, l’ONU s’attend plutôt à une hausse des émissions, selon un nouveau bilan publié vendredi dernier. Les engagements de l’ensemble des 191 parties de l’Accord de Paris pointent en effet vers « une augmentation considérable » — 16 % — des émissions mondiales de GES d’ici 2030, par rapport à 2010.

Les calculs dévoilés vendredi démontrent que, près de six ans après la signature de l’Accord de Paris, l’humanité est toujours sur la trajectoire d’un réchauffement climatique catastrophique. Selon l’ONU, le réchauffement devrait atteindre au moins 2,7 °C d’ici la fin du siècle, alors que la communauté internationale a promis de le limiter à 2 °C, voire 1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle.

À voir en vidéo