GNL Québec pourrait menacer la survie des bélugas, concluent les experts fédéraux

GNL Québec risque de représenter une menace sérieuse pour la survie et le rétablissement des bélugas du Saint-Laurent, concluent les experts de Pêches et Océans Canada. Ils estiment aussi que le promoteur a sous-estimé les impacts de son projet sur cette espèce en voie de disparition. Parcs Canada juge, pour sa part, que le trafic maritime associé à cette usine gazière pourrait compromettre son mandat de préservation du seul parc marin du Québec.

Dans le cadre de l’évaluation du projet d’usine de liquéfaction Énergie Saguenay, de GNL Québec, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) vient de publier l’« avis final » de Pêches et Océans Canada (MPO), mais aussi celui de Parcs Canada pour le projet d’exportation de gaz naturel albertain. Les deux documents insistent sur les risques que représente le projet pour le béluga et l’écosystème du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

Les experts soulignent ainsi que le trafic maritime industriel associé à l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) augmenterait la pollution sonore dans le fjord du Saguenay et dans l’estuaire du Saint-Laurent, une région maritime qui est au cœur de l’« habitat essentiel » légalement protégé du béluga.

Carte montrant l'habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent sur le fleuve
 

« Le MPO considère que l’augmentation de la pression anthropique que générerait le projet dans la portion importante de l’habitat du béluga que sont le Fjord du Saguenay et son embouchure représente un risque accru pour l’espèce. En se basant sur la meilleure information actuellement disponible, le MPO ne peut exclure la possibilité que le projet Énergie Saguenay puisse entraîner des risques élevés d’effets négatifs sur la survie et le rétablissement du béluga du Saint-Laurent », insistent les experts de Pêches et Océans Canada.

Qui plus est, le bruit et le dérangement dans le Saguenay affecteraient un secteur actuellement peu bruyant et fréquenté « assidûment » par les femelles et les jeunes bélugas, soit une portion particulièrement vulnérable de la population de cette espèce en péril, qui compte moins de 900 individus. « Cette augmentation [du trafic maritime], peu importe les mesures d’atténuation appliquées (excepté la totale absence de chevauchement entre la présence d’individus et celles des navires), entraînera une augmentation du bruit et de l’exposition des bélugas à cette menace », précise Pêches et Océans Canada.

Selon les plus récentes données scientifiques disponibles, 50 % de la population de bélugas fréquente le fjord du Saguenay (et 67 % des femelles), qui serait le point de passage quotidien des méthaniers de GNL Québec. Ces navires mesurent 300 mètres de longueur et ont une largeur de 50 mètres. Ils seraient donc les plus gros navires à naviguer au cœur du parc marin.

Mauvaise évaluation

 

Selon le MPO, les promoteurs de GNL Québec ont mal évalué les risques d’Énergie Saguenay sur le béluga. « Le promoteur n’a pas recensé de façon adéquate et complète les effets nocifs du projet sur la population de béluga de l’estuaire du Saint-Laurent », écrit MPO. Les experts ajoutent qu’« aucune des mesures d’atténuation actuellement proposée par le promoteur ne permettra avec certitude de réduire les effets du bruit de la navigation sur les mammifères marins ».

Évoquant la « Charte d’engagements environnementaux pour la protection des mammifères marins » promise par GNL Québec pour réduire les risques du projet, notamment sur les bélugas, Pêches et Océans Canada estime qu’il est « impossible de savoir si les initiatives contenues dans la charte auraient le potentiel d’atténuer adéquatement les effets du bruit généré par le transport maritime. Conséquemment, le MPO recommande à l’AEIC de ne pas considérer que cette mesure permettrait de réduire les effets résiduels du projet ».

Dans son rapport publié en mars dernier, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) estime que « tout accroissement du trafic maritime projeté dans la rivière Saguenay irait à l’encontre des efforts de rétablissement » du béluga.

« En raison de l’état précaire et du statut actuel “en voie de disparition” de la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent, tout stress additionnel, dont celui généré par l’augmentation du trafic maritime, doit être considéré comme un risque non négligeable pour son rétablissement et sa survie », note le rapport. D’ailleurs, selon le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, parmi les principales menaces qui pèsent sur son rétablissement, « le bruit sous-marin associé aux activités maritimes de toutes sortes constitue la seule menace qui pourrait être réduite à court terme ».

Nuisance pour le parc marin ?

Dans son « avis final » sur le projet d’exportation de gaz naturel albertain, Parcs Canada souligne pour sa part que « l’augmentation des activités industrialo-portuaires à proximité et en amont du parc marin et la hausse conséquente des risques sur les écosystèmes sont une source de préoccupation importante ».

Selon l’organisme de gestion du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, le seul parc de ce type du Québec, « l’accroissement du nombre de passages de la marine marchande dans le parc marin pourrait compromettre la capacité du parc marin à respecter son mandat », soit « la protection des écosystèmes pour les générations actuelles et futures ». Cette hausse du trafic maritime industriel peut aussi « entraîner des risques accrus pour les espèces en péril du Saint-Laurent ».

Selon MPO, les espèces de mammifères marins potentiellement menacées par le projet GNL Québec ne se limitent d’ailleurs pas au béluga. « L’augmentation du bruit causé par le transport maritime pourrait également constituer un dérangement additionnel » pour le rorqual bleu, « en voie de disparition », et pour le rorqual commun, qui a un statut « préoccupant » en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Les deux espèces, mais aussi les autres grands cétacés qui fréquentent l’estuaire du Saint-Laurent, sont en outre vulnérables aux collisions avec les navires.

Or, « le récent Plan d’action du MPO pour réduire l’impact du bruit sur le béluga et les autres mammifères marins en péril de l’estuaire du Saint-Laurent publié en 2019 vise précisément à réduire les effets du bruit de la navigation et des projets de développement côtiers et extracôtiers, qui représentent une menace commune au béluga, au rorqual bleu et au rorqual commun dans l’estuaire maritime ».

Par ailleurs, Parcs Canada rappelle la « relative quiétude » du fjord du Saguenay et son importance pour « la pratique d’activités récréotouristiques dans le parc marin ». Dans ce contexte, le ministère fédéral est « préoccupé par l’effet des opérations des navires-citernes sur l’expérience de visite et la sécurité des visiteurs ». Plus de 200 000 personnes visitent chaque année ce parc créé en 1998.

Même si le promoteur a répété à plusieurs reprises que le passage de 400 navires par année n’aurait aucune incidence néfaste sur la région, le ministère du Tourisme du Québec soulevait l’an dernier de sérieux doutes dans un avis rédigé en réponse aux questions posées par le BAPE. « Nous croyons que la présence d’un complexe de liquéfaction de gaz naturel sur le Saguenay, et plus particulièrement le trafic maritime lourd qu’il engendrerait, pourrait avoir des répercussions négatives sur le choix de la destination auprès de nos clientèles nationales et internationales », soulignait le document.

Navires pour GNL Québec

 

GNL Québec, qui a publié mercredi une mise à jour de ses engagements « pour élever les standards de l’industrie » et construire un projet « unique au monde », estime être en mesure de réduire le bruit associé au transport maritime en misant sur des navires « conçus spécifiquement pour le projet ».

Par voie de communiqué, l’entreprise a accusé les scientifiques de Pêches et Océans Canada de vouloir décourager « l’innovation dans le secteur maritime ». « Les conséquences pourraient s’étendre bien au-delà du développement du projet Énergie Saguenay en affectant le soutien accordé à d’autres projets à haute valeur humaine et économique ajoutée, qui contribuent à la vitalité des régions québécoises », a déclaré Tony Le Verger, président de GNL Québec.

Pour le moment, GNL Québec n’entend pas financer la construction des méthaniers, des navires dont le coût est estimé par l’entreprise à 245 millions de dollars chacun. « Ces derniers seront contractualisés sur le long terme et dédiés à GNL Québec à travers un contrat d’affrètement qui devra respecter les conditions de navigation requises par GNL Québec », indique le promoteur. On ne sait pas, pour l’instant, combien de navires seront nécessaires et aucun contrat de vente n’a encore été signé pour écouler la production de gaz naturel liquéfié.

Pour les groupes opposés au projet gazier, les avis des experts fédéraux « plantent un autre clou dans le cercueil de GNL Québec ». Responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada, Patrick Bonin presse donc le gouvernement Legault de refuser les autorisations réclamées par GNL Québec. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a promis une décision d’ici la fin de l’été.

Les eaux de ballast

Dans son avis sur le projet, Pêches et Océans Canada (MPO) souligne les risques que représentent les eaux de ballast des navires méthaniers qui remonteront le Saguenay, jusqu’au terminal maritime de GNL Québec. Les eaux de ballast sont chargées à bord des navires pour assurer la stabilité de ceux-ci, par exemple lorsqu’ils voyagent sans chargement. Elles sont donc déversées au moment où le navire est chargé de gaz naturel liquéfié.

 

Dans le cas de GNL Québec, le ministère fédéral « évalue que l’augmentation du nombre de navires et de la quantité d’eau de ballast rejetée dans le Saguenay pourrait contribuer à accroître le risque d’introduction d’espèces aquatiques envahissantes dans le Saguenay ». L’avis précise toutefois que « les différentes mesures existantes encadrées par Transports Canada devraient permettre de diminuer le risque d’introduction d’espèces aquatiques envahissantes dans le Saguenay ». Le MPO estime néanmoins qu’« un programme de suivi environnemental au niveau des structures du terminal devrait être développé et mis en oeuvre pour détecter le plus rapidement possible l’arrivée d’une nouvelle espèce ».

 

Dans son rapport, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement abordait aussi cette question. « Le projet viendrait presque doubler le trafic maritime marchand sur la rivière Saguenay et augmenterait donc significativement la quantité d’eau de ballast qui y serait rejetée », indique le rapport. Concrètement, chaque navire méthanier pourrait déverser jusqu’à 70 millions de litres d’eaux de ballast.


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