Inquiétudes pour la pêche au homard aux Îles-de-la-Madeleine

Pêches et Océans Canada a annoncé la fermeture de zones de pêche situées près des Îles-de-la-Madeleine. Plus d’une centaine de pêcheurs ont dû déplacer leurs casiers au cours des derniers jours.
Photo: Alexandre Shields Le Devoir Pêches et Océans Canada a annoncé la fermeture de zones de pêche situées près des Îles-de-la-Madeleine. Plus d’une centaine de pêcheurs ont dû déplacer leurs casiers au cours des derniers jours.

Les pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine sont inquiets pour leur saison de pêche. Plus d’une centaine d’entre eux sont en effet obligés de trouver de nouveaux sites pour installer leurs casiers, en raison de la fermeture de zones de pêche pour protéger les baleines noires. C’est la première fois qu’ils sont confrontés à une telle situation, qui touche plus du tiers de tous les bateaux de l’archipel.

« Pour nous, c’est du homard perdu. Combien ? On ne sait pas. Mais présentement, nous sommes au début de la saison et c’est la meilleure période pour la pêche. C’est dommage pour les pêcheurs, qui doivent faire vivre leur famille », laisse tomber Mario Déraspe, président de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine.

Lui-même pêcheur de homard depuis plus de 45 ans, M. Déraspe a dû déplacer 70 casiers au cours des derniers jours. D’autres pêcheurs ont été obligés d’en déplacer davantage, précise-t-il, en rappelant que chacun des 325 pêcheurs des Îles a le droit d’utiliser un total de 273 casiers pendant les neuf semaines que dure cette pêche compétitive, sans quota. « Mais quand on se déplace, on se retrouve avec trop de monde sur les mêmes sites de pêche », déplore-t-il.

Plus d’une centaine de pêcheurs ont été forcés de retirer des casiers des zones où ils étaient installés, parce que Pêches et Océans Canada (MPO) a annoncé la fermeture de plusieurs zones de pêche situées près des Îles, au cœur du golfe du Saint-Laurent. Cette mesure découle du plan de protection des baleines noires de l’Atlantique Nord qui s’applique chaque année depuis l’épisode de mortalité record observée dans le golfe en 2017.

Lorsqu’une baleine est repérée dans un secteur, Ottawa impose une « fermeture temporaire » de tout un quadrilatère, afin d’éviter que l’animal ne s’empêtre dans un engin de pêche, une des principales causes de mortalité pour cette espèce au seuil de l’extinction. Si la baleine demeure dans le secteur, la zone peut être fermée pour le reste de la saison. L’an dernier, 175 zones ont ainsi été fermées dans le golfe. Cette année, MPO précise que 77 zones sont présentement fermées (environ 14 000 km2), dont 15 pour la saison.

Conséquences majeures

 

C’est toutefois la première fois que les pêcheurs de homard des Îles sont touchés par ces fermetures, après l’observation samedi dernier d’une femelle accompagnée d’un des rarissimes baleineaux de l’espèce cette année, à l’est de l’archipel. Une situation qui inquiète le maire des Îles, Jonathan Lapierre. « Les pêcheurs se font imposer ça et l’impact est important. C’est une logistique complexe pour les pêcheurs d’aller sortir des casiers pour les déplacer, en pleine saison de pêche. Et ce qui ne sera pas pris sera perdu pour cette année. »

Il précise que les options sont très limitées pour les pêcheurs touchés. « Le territoire est réparti entre les pêcheurs et on vient de perdre une partie importante de notre territoire. C’est comme si on voulait faire jouer deux parties de football, en même temps, sur un même terrain de jeu. On ne peut pas mettre trop de pêcheurs sur une même zone, parce que la pression de pêche sera trop forte pour la disponibilité de la ressource. »

Photo: New England Aquarium La fermeture de zones de pêche au homard a été décidée en raison de la présence d'une femelle baleine noire et de son baleineau.

Le maire a donc interpellé directement la ministre responsable de MPO, Bernadette Jordan. « Il faut mettre rapidement en place un comité d’urgence avec les ministères concernés, les pêcheurs et les scientifiques, pour trouver des mesures d’atténuation des impacts de la protection des baleines sur l’industrie de la pêche », fait-il valoir en entrevue. « Il faut s’asseoir et discuter, au lieu que les décisions se prennent de façon unilatérale à Ottawa », dit-il. M. Lapierre souligne que chaque jour de pêche perdu est dommageable pour la flotte de pêche, qui est la plus importante de l’est du Canada et qui génère à elle seule des retombées économiques annuelles de 100 millions de dollars dans l’archipel.

Tant les pêcheurs que la municipalité se disent conscients de l’importance de protéger les baleines noires de l’extinction. Les pêcheurs de la côte est américaine doivent eux aussi respecter des mesures de protection de l’espèce. « Mais il ne faut pas que cet effort se fasse au détriment des humains qui vivent de la pêche », rappelle Jonathan Lapierre.

Il faut s’asseoir et discuter, au lieu que les décisions se prennent de façon unilatérale à Ottawa <

 

À Ottawa, on ne précise pas comment on compte venir en aide aux pêcheurs confrontés aux fermetures de zones de pêche. Un « groupe de travail » doit toutefois permettre de poursuivre les « discussions » sur les mesures de protection « tout au long de l’année ». À Québec, on demande au fédéral de prévoir des mesures dans le contexte de ces fermetures.

Ottawa est confronté à une situation complexe. Les mesures de protection de la baleine noire sont nécessaires pour protéger l’accès au marché américain, qui est vital pour les pêcheurs de crabe des neiges et de homard. La législation Marine Mammal Protection Act impose à l’industrie de la pêche, des États-Unis ou d’ailleurs, de démontrer que ses activités ne mettent pas en péril les mammifères marins. Si cette démonstration n’est pas faite, les Américains sont en droit de « bannir les importations » des produits de la pêche.  

Une «baleine urbaine»

La baleine noire peut atteindre une taille de 18 mètres, pour un poids de plus de 60 tonnes. Chaque individu est reconnaissable aux taches blanches uniques qu’il porte sur la tête, appelées callosités. Il s’agit d’une espèce qui se nourrit essentiellement de copépodes, de petits crustacés qu’elle filtre à l’aide de ses fanons.

La baleine noire est parfois qualifiée de « baleine urbaine », puisqu’elle vit près des côtes, notamment lors de la période de mise bas, au large des États américains de la Géorgie et de la Floride. Cela la rend particulièrement vulnérable aux collisions avec les navires et aux empêtrements dans les engins de pêche.

La baleine noire, appelée Right Whale en anglais, a été décimée par des siècles de chasse commerciale. Elle était une cible privilégiée pour les baleiniers, puisqu’elle flotte une fois morte et qu’elle fournit une bonne quantité de graisse, cette matière qui était fondue pour produire de l’huile.

Alors que les évaluations de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) faisaient état en 2019 d’une population d’environ 400 bêtes, le plus récent bilan estime qu’il ne subsiste pas plus que 366 baleines noires dans l’Atlantique Nord. Cela comprend moins de 100 femelles en âge de se reproduire, ce qui est de mauvais augure, en raison du rythme de reproduction relativement lent de ce cétacé.

En 2017, pas moins de 17 individus adultes ont été retrouvés morts, dont 12 dans les eaux canadiennes. Un total de 10 baleines noires sont mortes en 2019, dont une femelle qui s’était empêtrée à au moins quatre reprises en 15 ans.



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