Québec ne compte pas restreindre la publicité des VUS

Le secteur des transports représente près de 45% des émissions de gaz à effet de serre du Québec.
Photo: Alexandre Shields Le Devoir Le secteur des transports représente près de 45% des émissions de gaz à effet de serre du Québec.

Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, n’entend pas imposer de contraintes pour la publicitésur les camions légers, comme les véhicules utilitaires sport (VUS), qui constituent désormais la forte majorité des ventes de véhicules individuels au Québec. Ceux-ci pèsent pourtant de plus en plus lourd dans le bilan de gaz à effet de serre, au point de représenter un obstacle à l’atteinte des objectifs climatiques que le gouvernement Legault s’est engagé à atteindre.

Selon les données du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques dirigé par M. Charette, le nombre de « camions légers » sur les routes de la province a bondi de plus de 260 % depuis 1990, tandis que les émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables à ces véhicules ont augmenté de près de 150 % au cours de la même période, pour atteindre près de neuf millions de tonnes en 2018.

Depuis 2015, il se vend d’ailleurs plus de ces camions (minifourgonnettes, VUS et camionnettes) que de voitures au Québec et « l’écart se creuse d’année en année », selon des données publiées par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. Leur part de marché représente maintenant plus de 70 % de toutes les ventes de véhicules au Québec.

 

Puisque la province doit s’attaquer aux émissions de GES du secteur des transports pour espérer atteindre ses objectifs climatiques, le gouvernement compte-t-il restreindre la publicité qui fait la promotion des VUS ? Non, a répondu jeudi le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, après avoir pris la parole à la tribune du Conseil des relations internationales de Montréal.

« Le plan de mise en œuvre du Plan pour une économie verte présenté en novembre, qui couvre essentiellement les cinq prochaines années, ne prévoit pas de mesures à ce niveau. En ce moment, ça ne fait pas partie du bouquet de mesures qu’on va implanter », a fait valoir le ministre dans le cadre d’un point de presse virtuel. « Est-ce que la réflexion va évoluer dans les prochaines années ? C’est toujours possible, mais ce n’est pas un élément qui est actuellement considéré dans notre plan de mise en œuvre », a-t-il ajouté.

« Illogique »

M. Charette reconnaît que les catégories de véhicules individuels plus énergivores « sont effectivement de plus en plus populaires » auprès des consommateurs. Selon lui, la solution réside dans l’électrification des transports. « Petits ou moyens véhicules, il faut miser sur l’électrification pour réellement voir une différence », a-t-il fait valoir, tout en précisant que « des annonces » sont à venir dans le secteur du transport électrifié. Le gouvernement s’est aussi engagé à interdire la vente de véhicules neufs à essence d’ici 2035 au Québec.

Dans un rapport publié la semaine dernière, l’organisme Équiterre proposait la mise en place de « politiques publiques restrictives et ambitieuses » ciblant l’industrie automobile, et plus particulièrement la promotion des véhicules énergivores, comme les VUS.

« Les véhicules vendus sont deplus en plus gros, de plus en plus lourds et de plus en plus énergivores. Cette tendance alarmante va à l’encontre des objectifs climatiques des gouvernements. Pour la renverser, il faut mieux encadrer les pratiques publicitaires », résume Andréanne Brazeau, analyste en mobilité chez Équiterre.

« D’autres pays ont déjà fait preuve de leadership pour contrer ce phénomène. Le Royaume-Uni, la Belgique et la Nouvelle-Zélande ont pris des mesures en ce sens en réglementant la publicité. C’est illogique de vouloir interdire les véhicules à essence dans quelques années tout en laissant la publicité vendre les modèles qui en consomment davantage », ajoute-t-elle.

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau estime lui aussi que, « non seulement la popularité grandissante des VUS est un obstacle à l’atteinte des objectifs climatiques du Québec à l’horizon 2030, mais c’est une des deux causes majeures de notre échec à atteindre la cible de 2020 ».

Panoplie de mesures

 

Selon le plus récent bilan disponible, les émissions de GES ont reculé d’à peine 6 % entre 1990 et 2018, alors que l’objectif était une réduction de 20 % à l’horizon 2020, puis de 37,5 % en 2030. Le secteur des transports pèse toujours plus lourd, puisqu’il représente aujourd’hui près de 45 % des émissions de la province.

Selon M. Pineau, « la publicité joue certainement un rôle dans l’engouement pour les VUS. C’est une évidence, sinon les concessionnaires et les constructeurs automobiles n’en feraient pas ». Il plaide donc pour des « restrictions » sur la publicité, tout en ajoutant que cela ne sera pas suffisant. « Des taxes et des réglementations contraignantes seront nécessaires. »

70%
Il s’agit de la part de marché qu’occupent actuellement les camions légers sur l’ensemble des ventes de véhicules au Québec. Cette catégorie inclut les véhicules utilitaires sport, de plus en plus populaires.

« On n’a pas complètement gagné la lutte contre le tabagisme, malgré les taxes, l’interdiction de publicité et les règlements, mais on a fait des progrès, souligne-t-il en outre. Croire qu’on pourra faire des progrès sans ces outils dans la lutte contre les changements climatiques relève de l’aveuglement et penser qu’on atteindra les cibles sans cette panoplie d’outils, de l’inconscience. Ce ne sont que des raisons électorales qui acculent les politiciens à refuser d’admettre le rôle de ces mesures. »

Au moment de dévoiler les détails de son Plan pour une économie verte, en novembre dernier, Québec avait fermé la porte à toute taxation qui ciblerait les véhicules les plus polluants, une mesure pourtant réclamée par certains experts. « C’est facile d’avoir un jugement très négatif à l’égard de la voiture quand on habite dans un milieu très urbanisé, où l’épicerie est à deux coins de rue, comme l’école. Mais ce n’est pas la réalité d’une majorité de Québécois. Donc, on ne voulait pas y aller de mesures punitives », avait alors expliqué Benoit Charette.

« Lorsqu’on se promène en région, on s’aperçoit souvent que le pick-up n’est pas un luxe. Ça peut être lié au travail, à la réalité des ménages. Donc, nous n’avons pas voulu aller dans cette voie-là. »

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