Le gouvernement Legault finance un gazoduc d’Énergir

Le gouvernement vient d’accorder 10,6 millions de dollars au projet de gazoduc de 15 kilomètres qui alimentera le parc industriel de Richmond, en Estrie. Le coût total du projet étant de 11,7 millions de dollars, Québec paiera plus de 90 % de la facture.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir Le gouvernement vient d’accorder 10,6 millions de dollars au projet de gazoduc de 15 kilomètres qui alimentera le parc industriel de Richmond, en Estrie. Le coût total du projet étant de 11,7 millions de dollars, Québec paiera plus de 90 % de la facture.

Le gouvernement Legault a décidé de financer la construction d’un nouveau tronçon de gazoduc de l’entreprise Énergir, une mesure qui s’inscrirait dans une perspective de « transition énergétique ». Des experts consultés par Le Devoir critiquent toutefois ce financement public, qui servira à alimenter un parc industriel avec du gaz naturel exploité principalement par fracturation.

Le gouvernement vient d’accorder 10,6 millions de dollars au plus important distributeur de gaz naturel du Québec afin de construire au cours des prochains mois un gazoduc de 15 kilomètres qui alimentera le parc industriel de Richmond, en Estrie. Puisque le coût total du projet est de 11,7 millions de dollars, Québec paiera donc plus de 90 % de la facture. La part d’Énergir s’élève à 841 000 $.

Pour le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Jonatan Julien, cet investissement favorisera la « relance économique du Québec ». « Le gaz naturel est parmi les solutions qui contribuent à la diminution des émissions de gaz à effet de serre là où l’électrification est plus difficile à réaliser. Ce projet s’inscrit donc parfaitement dans un contexte de transition énergétique », estime également le ministre.

Selon ce que précise Énergir, ce nouvel approvisionnement en gaz naturel « permettra de remplacer des produits du pétrole comme le propane et le mazout ». « On estime une réduction d’environ 300 tonnes de gaz à effet de serre par année pour les entreprises actuelles du secteur, l’équivalent de retirer complètement 75 véhicules sur la route annuellement », ajoute l’entreprise, qui détient des actifs de plus de sept milliards de dollars. À titre de comparaison, le Québec émettait 80,6 millions de tonnes de gaz à effet de serre, selon le plus récent bilan disponible (2018), dont 24,02 millions de tonnes pour le seul secteur industriel.

Le gaz naturel permet de réduire les émissions par rapport aux produits pétroliers. Avec plus de gaz naturel renouve-lable, on pourra aussi rendre cette énergie moins polluante.

 

Pierre-Olivier Pineau

 

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Le gouvernement caquiste et Énergir insistent aussi sur le fait qu’une part croissante du gaz naturel qui circulera dans le réseau québécois sera du gaz « renouvelable ». Le cabinet du ministre Jonatan Julien réitère d’ailleurs la volonté de « verdir le gaz naturel québécois ». Le Plan pour une économie verte prévoit ainsi que 10 % du gaz naturel sera renouvelable à l’horizon 2030. Énergir indique que l’objectif est de faire passer ce taux à « un minimum » de 55 % d’ici 2050.

À l’heure actuelle, l’approvisionnement québécois en gaz naturel s’appuie de plus en plus sur l’exploitation par fracturation, une industrie qui est pourtant interdite au Québec. Quel est le taux de gaz naturel exploité par fracturation qui circule dans le réseau d’Énergir ? L’entreprise n’est pas en mesure de le préciser, mais elle estime qu’« environ 80 % du gaz naturel distribué au Québec provient de l’Alberta et de la Colombie-Britannique et 20 % des États-Unis ». Selon la Régie de l’énergie du Canada, près de 65 % du gaz canadien est exploité par fracturation. Ce taux devrait atteindre 80 % au cours des prochaines années.

L’envers du portrait

Collaborateur du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), l’économiste François Delorme estime que le gouvernement fait fausse route en finançant la construction de gazoducs.

« La vraie question est de savoir si la subvention de 10,6 millions de dollars est la meilleure façon, entre tous les investissements énergétiques, de nous rapprocher de nos cibles de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Incontestablement, non. Dans ces circonstances, on peut penser que c’est un mauvais usage des fonds publics dans un projet qui privilégie le court terme et qui envoie un mauvais signal dans le contexte de la transition énergétique », explique-t-il.

« Énergir ne cesse de nous ressortir que le gaz naturel est écologique. C’est faux. C’est une énergie de faible substitution qui remet à plus tard les nécessaires et incontournables changements », ajoute M. Delorme, en rappelant les « répercussions environnementales » de l’industrie gazière. L’exploitation par fracturation émet par exemple d’importantes quantités de méthane, un gaz à effet de serre qui peut être au moins 30 fois plus puissant que le CO2. Cette exploitation peut aussi nécessiter jusqu’à 10 millions de litres d’eau pour chaque forage.

La vraie question est de savoir si la subvention est la meilleure façon de nous rapprocher de nos cibles de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Incontestablement, non.

Directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau juge lui aussi que cet investissement dans le réseau d’Énergir est injustifié. « On s’engage vers une société carboneutre d’ici 2050. Il faut donc que les investissements soient compatibles avec cet objectif. Nous ne sommes plus dans un contexte où il faut réduire de 15 % à 20 % les émissions de gaz à effet de serre. Il faut s’assurer que les investissements sont compatibles avec la carboneutralité. »

« Si on accorde une subvention de 10,6 millions de dollars pour retirer l’équivalent annuel de 75 véhicules de nos routes, ça commence à être cher. Ce n’est pas la meilleure façon d’investir », ajoute l’ancien coprésident de la Commission sur les questions énergétiques du Québec.

C’est une énergie de faible substitution qui remet à plus tard les nécessaires et incon-tournables changements

 

François Delorme

 

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Titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau estime pour sa part que « le gaz naturel permet de réduire les émissions par rapport aux produits pétroliers. Avec plus de gaz naturel renouvelable, on pourra aussi rendre cette énergie moins polluante ». M. Pineau précise toutefois qu’« on ne peut pas se permettre d’avoir une consommation de gaz naturel en croissance : il faut faire des efforts de réduction de la consommation et que la croissance du réseau soit alimentée par des réductions de consommation ailleurs ».

32 mandats

 

Ce n’est par ailleurs pas la première fois que le gouvernement du Québec finance la construction de gazoducs pour permettre au distributeur de rejoindre de nouveaux clients. En 2017, les libéraux avaient accordé 20 millions de dollars à Gaz Métro (devenue Énergir) pour lui permettre d’étendre son réseau. Le financement provenait du Fonds vert.

Selon les informations disponibles mardi, l’entreprise a 138 lobbyistes inscrits au registre québécois, pour un total de 32 mandats. Parmi ces mandats, on en compte un qui vise à « sensibiliser » les représentants municipaux et gouvernementaux « aux projets de prolongement ou de modifications du réseau gazier », mais aussi à obtenir « un support financier gouvernemental » pour ces projets. L’objectif est de « favoriser la plus grande couverture possible du réseau gazier sur le territoire de la province de Québec ».

Énergir a également un mandat qui vise à ce que les politiques climatiques du gouvernement « reconnaissent la place du gaz naturel dans le portefeuille énergétique québécois, sa contribution au développement économique et son importance dans une stratégie visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ».

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