Justin Trudeau se porte à la défense de Keystone XL, malgré le refus annoncé de Joe Biden

Photo: Alex Panetta La Presse canadienne «Le soutien de notre gouvernement au projet Keystone XL est de longue date et bien connu. Et nous continuons à le faire valoir auprès de nos collègues américains», a affirmé le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan.

Même si la mise en œuvre de politiques ambitieuses pour répondre à la crise climatique menace de rendre le pipeline Keystone XL désuet, il représente toujours un projet crucial pour l’industrie canadienne des sables bitumineux. Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs réaffirmé son appui aux promoteurs lundi, en faisant valoir que le pétrole transporté par ce pipeline serait exploité dans le cadre de règles environnementales « rigoureuses ».

Alors qu’il était en campagne pour la présidentielle américaine, en mai 2020, Joe Biden avait promis de mettre un terme au projet de pipeline de 2000 kilomètres, qui doit permettre d’exporter du pétrole albertain jusqu’aux raffineries du Texas. Il avait alors insisté sur le caractère « très polluant » du pétrole extrait des sables bitumineux, afin de justifier son rejet de Keystone XL.

Tout indique qu’au moment où M. Biden prêtera serment, mercredi, le nouveau gouvernement démocrate donnera suite à cet engagement en annulant le permis présidentiel accordé par le président Donald Trump en 2017. L’entreprise TC Energy (anciennement TransCanada) serait alors privée d’un projet débattu depuis plus de 12 ans et conçu pour transporter chaque année pas moins de 300 millions de barils de brut.

Le gouvernement de Justin Trudeau s’est toutefois porté de nouveau à la défense de Keystone XL lundi. « Le pétrole canadien est produit dans un cadre de politiques environnementales et climatiques rigoureuses, et ce projet permettra non seulement de renforcer les relations énergétiques vitales entre le Canada et les États-Unis, mais aussi de créer des milliers de bons emplois pour les travailleurs des deux côtés de la frontière », a fait valoir le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, dans une déclaration écrite.

« Le soutien de notre gouvernement au projet Keystone XL est de longue date et bien connu. Et nous continuons à le faire valoir auprès de nos collègues américains », a-t-il ajouté. Déjà, en mars 2020, Ottawa avait salué le début des travaux de construction du tronçon albertain, une étape rendue possible grâce à un engagement financier de 7,5 milliards de dollars du gouvernement provincial. Le ministre O’Regan avait aussi affirmé que ce nouveau pipeline « cadr[ait] avec le plan de lutte contre les changements climatiques du Canada ».

Dans un rapport publié en novembre, la Régie de l’énergie du Canada (anciennement connue comme l’Office national de l’énergie) constatait cependant qu’une « intensification » des politiques climatiques au Canada et ailleurs dans le monde, dans le contexte du respect de l’Accord de Paris sur le climat, réduirait les besoins en transport de pétrole vers les marchés d’exportation. Dans ce contexte, le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain, financé par le gouvernement fédéral à un coût estimé à 12,6 milliards de dollars, et le pipeline Keystone XL pourraient s’avérer inutiles dans les prochaines années.

 

« Diversifier les débouchés »

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau estime que l’expansion déjà en cours de Trans Mountain et le remplacement de la « Ligne 3 » d’Enbridge, combinés aux politiques climatiques à venir, pourraient rendre Keystone XL moins « pertinent et nécessaire ». « Mais est-ce au gouvernement américain ou canadien de faire cette analyse, si une entreprise privée voit une opportunité et a des acheteurs pour le pétrole qu’elle entend transporter ? Si l’entreprise est prête à prendre le risque, alors, dans le pire des cas, on aura un pipeline vide dans quelques années », a-t-il fait valoir lundi.

Dans l’immédiat, a ajouté M. Pineau, le projet de TC Energy est toujours intéressant pour l’industrie pétrolière albertaine. Celle-ci cherche en effet à diversifier les débouchés pour son pétrole lourd, un produit recherché par les raffineries du sud des États-Unis. Consultant en ingénierie et en gestion des affaires à Calgary, Marc Lacrampe se demande toutefois si le projet est toujours pertinent, compte tenu de l’abandon de plusieurs projets pétroliers, dont Frontier, de Teck Resources, en février 2020. Ce projet aurait permis d’extraire 95 millions de barils de pétrole des sables bitumineux chaque année.

Le soutien de notre gouvernement au projet Keystone XL est de longue date et bien connu. Et nous continuons à le faire valoir auprès de nos collègues américains.

Professeur à l’Université d’Ottawa et ancien économiste à l’Office national de l’énergie, Philippe Crabbé abonde quant à lui dans le sens des groupes environnementaux qui redoutent que Keystone XL compromette les objectifs climatiques du Canada. Déjà, souligne M. Crabbé, les politiques en faveur du climat se sont avérées « décevantes », puisque les émissions de gaz à effet de serre (GES) ne reculent toujours pas au pays.

Les sables bitumineux constituent en outre le poids lourd du bilan des émissions de GES de l’industrie des énergies fossiles, qui est elle-même le poids lourd du bilan canadien. Entre 1990 et 2018, les émissions du secteur des sables bitumineux ont aussi augmenté de 456 %, selon les données fédérales, pour atteindre 84 millions de tonnes en 2018 (35 millions de voitures fonctionnant à l’essence).

Spécialiste des questions politiques et professeur à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, Nicolas Kenny doute par ailleurs fortement de la capacité d’Ottawa à influer sur la décision attendue du nouveau président. « Le fait que cette décision soit déjà inscrite à l’ordre du jour démontre que c’est une priorité pour le nouveau gouvernement américain. Dans ce contexte, il serait étonnant de voir Joe Biden reculer, malgré les démarches de lobbying du gouvernement Trudeau à Washington. »

Avec Hélène Lequitte

 

Quelques réactions à la décision attendue du président désigné Joe Biden concernant le pipeline Keystone XL

Les partis politiques fédéraux

Le chef conservateur Erin O’Toole a qualifié lundi Keystone XL de « projet d’importance nationale », et la décision américaine de dévastatrice pour des milliers de familles canadiennes. « Je presse la nouvelle administration américaine de consulter notre premier ministre et les travailleurs touchés avant de prendre cette décision », a-t-il dit dans une déclaration.

Les autres partis d’opposition, au contraire, voient plutôt d’un bon oeil le rejet anticipé de Keystone XL par le nouveau gouvernement Biden. « Au cours des quatre dernières années, l’État canadien a injecté 24 milliards $ dans la filière pétrolière gazière. Vouloir compenser les pertes de l’Alberta en soutenant encore le secteur pétrolier serait carrément indécent », a réagi par écrit le Bloc québécois.

« C’est l’occasion de mettre les bouchées doubles pour créer des emplois plus durables, les emplois du futur qui font face aux changements climatiques », a indiqué le chef du NPD, Jagmeet Singh. « On ne peut continuer à extraire du pétrole et en même temps se dire champion pour le climat », a pour sa part déclaré la cheffe du Parti vert du Canada, Annamie Paul.

Greenpeace

 

« Il était facile pour Justin Trudeau de se prétendre leader du climat avec Donald Trump à la Maison-Blanche, mais l’élection de Joe Biden vient changer complètement la donne. Avec l’administration Biden qui s’apprête à rejoindre l’Accord de Paris et à dévoiler le plan climatique le plus ambitieux de l’histoire des États-Unis, le gouvernement Trudeau sera largué s’il continue à faire la promotion des pipelines et à refuser de réduire rapidement les émissions en provenance des sables bitumineux », a fait valoir le porte-parole de l’organisation, Patrick Bonin.

Association canadienne des producteurs pétroliers

 

Le regroupement, qui représente des entreprises actives dans le secteur des sables bitumineux, prévient qu’un rejet du projet de pipeline « tuera immédiatement des milliers d’emplois aux États-Unis et au Canada », en plus d’avoir un impact négatif pour la relance économique, après la crise de la COVID-19. À l’instar du gouvernement Trudeau, l’organisation de pétrolières souligne que les normes environnementales du secteur sont parmi les plus rigoureuses dans le monde.

Alexandre Shields et Boris Proulx

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