Le caribou migrateur bientôt espèce menacée?

Le gouvernement du Québec pourrait finalement accorder un statut d’espèce « menacée ou vulnérable » au caribou migrateur, a appris Le Devoir. Il faut dire que ce cervidé a subi ici un déclin d’une ampleur sans précédent au cours des dernières années. Une protection accrue de cette espèce emblématique des régions nordiques passerait toutefois par une meilleure préservation de son habitat, et donc possiblement par l’imposition de limites au développement industriel.
Le plus récent bilan du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour le troupeau de la rivière George, jadis le plus important au Canada, est venu confirmer la situation toujours très précaire du caribou migrateur. Selon les données recueillies en juillet et publiées au cours des derniers jours, on y comptait 8100 bêtes, soit le « premier résultat d’inventaire positif pour cette population depuis 1993 ». Il s’agissait en fait d’un rebond par rapport aux 5500 têtes comptabilisées en 2018, rebond attribuable au « grand nombre » de faons observés cette année.
Le biologiste Steeve Côté, du programme de recherche Caribou Ungava, estime cependant qu’il est impossible pour le moment de savoir si la hausse observée cette année avec le troupeau de la rivière George se poursuivra. « Il reste à voir le taux de survie des faons. Mais il est trop tôt pour conclure que nous sommes sur une trajectoire ascendante. »

Le portrait global demeure toutefois le même. Selon l’évaluation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), le troupeau de la rivière George a subi un déclin « sans précédent » de 99 % depuis le début des années 1990, alors qu’il comptait environ 800 000 bêtes. Ce constat avait d’ailleurs poussé le COSEPAC à recommander en 2017 d’accorder le statut d’espèce « en voie de disparition » au caribou migrateur de l’est, soit la désignation la plus sévère de la Loi sur les espèces en péril.
Trois ans plus tard, cette espèce n’a toujours pas de statut, selon la législation fédérale, ni selon celle du Québec. Mais cela pourrait changer. Le MFFP « évalue la possibilité de désigner le caribou migrateur comme espèce menacée ou vulnérable en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables », a en effet précisé le ministère en réponse aux questions du Devoir.
On constate aujourd’hui que la vaste majorité des troupeaux sont en déclin et qu’il est catastrophique pour le troupeau de la rivière George
« La situation particulière du caribou migrateur est sous étude afin d’établir un portrait fidèle de la situation et, suite aux résultats des analyses, une proposition nous sera soumise par notre équipe de biologistes », a ajouté le cabinet du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour.
Coauteur du « rapport de situation » qui a servi de base à la recommandation du COSEPAC en 2017, Marco Festa-Bianchet juge important d’inscrire l’espèce comme étant « menacée » au Québec. « Les déclins cycliques sont fréquents avec les caribous migrateurs. Mais on constate aujourd’hui que la vaste majorité des troupeaux sont en déclin et qu’il est catastrophique pour le troupeau de la rivière George. En plus, nous avons les impacts des changements climatiques et du développement nordique, avec l’industrie minière, les chemins, les barrages, etc. »
Caribous et projets miniers
M. Festa-Bianchet doute cependant de la volonté gouvernementale à mettre en place des mesures de « protection » du vaste habitat de ces cervidés, qui sont divisés en deux troupeaux principaux au Québec. Selon lui, cela impliquerait « des conflits » avec certaines industries, dont possiblement l’industrie minière. « C’est la même chose qui se produit avec le caribou forestier. On sait ce qu’il faut faire, mais on ne le fait pas. Ça prend des forêts et on continue de les couper », illustre celui qui est aussi directeur du département de biologie de l’Université de Sherbrooke.
Le biologiste Alain Branchaud, de la Société pour la nature et les parcs, rappelle d’ailleurs que le troupeau de la rivière George et celui de la rivière aux Feuilles (qui a décliné de près de 70 % au cours des dernières années) fréquentent des régions où on retrouve aussi plusieurs titres miniers d’exploration. « Même si nous sommes en territoire nordique, il y a déjà beaucoup de perturbations. C’est certain que ça a un impact sur les caribous », souligne-t-il. Le COSEPAC abonde dans le même sens, en précisant que les caribous sont sensibles aux « perturbations ». « Le développement industriel, et plus particulièrement l’exploitation minière et les réseaux routiers qui y sont associés, représente une menace pour les caribous ».
Selon M. Branchaud, « la préservation de l’habitat de l’espèce demeure donc la meilleure option, et ça passe par la création d’aires protégées ». Au Québec, le caribou forestier est considéré comme étant « vulnérable » depuis mars 2005, en vertu de la Loi sur les espèces menacées et vulnérables. Mais le gouvernement n’a toujours pas élaboré de programme pour assurer le rétablissement de ce cervidé. Le gouvernement Legault a d’ailleurs décidé l’an dernier de reporter à 2022 l’élaboration d’une « stratégie » pour éviter sa disparition en sol québécois. Il a aussi aboli les mesures de protection de trois massifs forestiers qui avaient été préservés des coupes forestières parce qu’ils étaient des habitats propices pour le caribou. Québec a promis un « processus de consultation » impliquant l’industrie forestière, mais aussi « les communautés autochtones concernées » pour élaborer sa stratégie pour le caribou forestier. Le gouvernement promet aussi de tenir compte de la « tendance des populations » de cette espèce très vulnérable à la « perturbation » de son habitat, notamment en raison des coupes forestières ou de l’exploitation minière. La population de caribous forestiers au Québec est évaluée entre 6000 et 8500 bêtes. L’objectif du plan de rétablissement présenté en 2016 est d’atteindre au moins 11 000 caribous. Certaines populations isolées sont par ailleurs au seuil de la disparition dans la région de Val-d’Or (six individus désormais gardés en enclos), dans Charlevoix (environ 25 bêtes) et en Gaspésie (environ 75 caribous).
Le caribou forestier classé «vulnérable»