Québec doit encore retrouver plus de 200 puits d’exploration pétrolière et gazière
Le gouvernement du Québec cherche toujours à localiser au moins 244 puits pétroliers et gaziers qui ont été forés dans les basses terres du Saint-Laurent au fil des décennies, a appris Le Devoir. Mais on sait déjà que plusieurs de ceux qui ont été retrouvés laissent fuir des hydrocarbures, sans compter certains des puits de gaz de schiste. Et selon des écologistes qui ont mené des inspections sur le terrain, les autorités ne prennent pas encore la pleine mesure de l’héritage toxique dont le Québec a aujourd’hui la charge.
En un peu plus d’un siècle, pas moins de 960 puits d’exploration pétrolière et gazière ont été forés au Québec. De ce nombre, 790 sont aujourd’hui inscrits comme étant « inactifs », et donc fermés de façon définitive. La plupart ont été abandonnés par les entreprises qui avaient foré les puits, et la quasi-totalité de celles-ci n’existe tout simplement plus.
C’est donc le gouvernement du Québec qui doit localiser et inspecter ces puits, afin de s’assurer qu’ils ne fuient pas et qu’ils ne représentent pas un risque pour la sécurité publique. Une tâche colossale et complexe qui incombe au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). C’est lui qui pilote le « plan d’action » annoncé en mai 2018 par le gouvernement pour tenter de venir à bout de ce passif environnemental révélé dès 2011 par l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).
À l’heure actuelle, sur les 542 puits considérés comme abandonnés dans les basses terres du Saint-Laurent, au moins 244 n’ont toujours pas été retrouvés et inspectés par les experts du ministère, soit 45 % du total. Cette région compte d’ailleurs la majorité des puits « non localisés » de la province, où on en dénombre un total de 368. Des puits forés à Montréal, à Laval, à Longueuil et en amont du lac Saint-Pierre sont notamment toujours recherchés, alors que d’autres sont indiqués comme étant « non localisables ». « Les résultats des activités de localisation de l’été 2020 pourraient influer sur le nombre de puits non localisés au Québec », précise toutefois le MERN, qui a transmis les données au Devoir.
Consultez la carte des puits pétroliers et gaziers inactifs au Québec:
Quant aux puits abandonnés qui ont été localisés et inspectés, le ministère calcule que 44 de ceux qui se trouvent dans la vallée du Saint-Laurent « présentent à des degrés souvent faibles, soit une émanation de gaz naturel, de la migration de gaz naturel et / ou des indices de contamination ». Le gouvernement se veut toutefois rassurant, jugeant que « ces puits ont été forés il y a plusieurs décennies et ne présentent pas de risques sérieux ou significatifs pour la sécurité des personnes et des biens ».
Puits et fuites
Selon ce qui se dégage des rapports d’inspection consultés par Le Devoir, on constate néanmoins que plusieurs des puits forés à différentes époques présentent des fuites de gaz ou de pétrole qui impliquent des « travaux à réaliser ». C’est le cas par exemple d’un puits qui remonte à 1956, dans la région de Bécancour. L’inspecteur du MERN y a constaté une « très forte odeur d’hydrocarbures », la « présence de taches noires dans le sol » et une « émanation de gaz », et ce, en plein milieu agricole.
D’autres puits abandonnés posent même un véritable « risque » pour la santé et la sécurité, selon les analyses du ministère. C’est d’ailleurs le cas pour des puits forés dans la MRC de Lotbinière par l’ancienne Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP), une société d’État créée en 1969 pour développer des projets d’exploitation d’énergies fossiles.
Pour un puits foré par la SOQUIP en 1992 à Leclercville, « l’émanation de gaz hors du puits présente un risque pour la santé ou la sécurité des personnes ou pour la sécurité des biens ». Lors de l’inspection en 2019, le puits laissait s’échapper plus de 40 m3 de gaz par jour, essentiellement du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Pour un autre puits, qui remonte à 1973, l’inspecteur qui a constaté une fuite de gaz et des « traces d’hydrocarbures au sol » en 2018 a recommandé « une action préventive » pour « protéger l’accès du puits ».
Il existe plusieurs puits perdus, dont certains dans des milieux où il y a aujourd’hui des développements
Membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec, Marc Brullemans ne s’étonne pas du fait que plusieurs puits présentent des fuites ou posent des risques pour la sécurité publique. Il estime même que « le tiers des puits laissent fuir des hydrocarbures », ce qui laisserait présager un problème beaucoup plus important que l’évaluation actuelle du MERN.
M. Brullemans rappelle aussi que c’est un puits remontant aux années 1950 qui a connu en février une éruption importante de gaz naturel dans le secteur de Batiscan, forçant la fermeture d’un tronçon de la route 138 et l’évacuation de résidences. Selon lui, ce cas illustre bien l’importance de retrouver tous les puits, puisqu’ils peuvent poser des risques pour la sécurité publique pendant plusieurs décennies. « Il existe plusieurs puits perdus, dont certains dans des milieux où il y a aujourd’hui des développements », ajoute celui qui a lui-même inspecté plusieurs puits dans la province.
Dans ce contexte, M. Brullemans et le président de l’AQLPA, André Bélisle, affirment que le Québec « a évité le pire » en fermant la porte à la fracturation hydraulique, et donc à l’industrie du gaz de schiste. Il faut dire que l’industrie affirmait en 2010 que plus de 20 000 puits étaient prévus entre Montréal et Québec.
Ce sont finalement 37 puits qui ont été forés, selon le MERN, dont 18 ont été « fracturés ». Parmi les cinq puits de gaz de schiste qui laisseraient encore fuir des gaz, on compte ceux forés par Canbriam à La Présentation, en 2009 et 2010. Le MERN dit avoir constaté en 2018 « une faible émanation à l’évent du coffrage de surface, laquelle est pratiquement nulle et bien en deçà de la limite maximale de 50 m3 par jour fixée par la réglementation de la Loi sur les hydrocarbures ».
André Bélisle, qui avait lui-même été constaté la fuite à La Présentation dès 2011, ne partage pas l’optimisme du ministère. « Je suis convaincu que ce puits fuit abondamment. Une fois qu’il y a eu de la fracturation, ça ne se referme pas. Donc, le puits va fuir pour de bon. D’ailleurs, tous les puits finissent par fuir. C’est une question de temps. »