GNL Québec sous pression

Pour la deuxième fois cette année, les promoteurs du projet Énergie Saguenay sont forcés de réduire leur personnel, a appris Le Devoir. La situation financière de plus en plus précaire des entreprises GNL Québec et Gazoduq, toutes deux contrôlées par des investisseurs américains, expliquerait cette situation. Et même si le climat de travail se serait détérioré au cours des derniers mois, la direction affirme qu’elle garde le cap et rejette l’idée que le projet pourrait être abandonné sous peu.
Mercredi, GNL Québec a remercié quatre de ses employés, tandis que Gazoduq a procédé à six licenciements. Ces compressions s’ajoutent d’ailleurs à la dizaine d’employés licenciés en avril par les promoteurs du projet d’exportation de gaz naturel albertain liquéfié. Ainsi, les équipes des deux entreprises, qui sont étroitement liées, ne compteraient plus qu’une vingtaine d’employés.
Selon les informations obtenues par Le Devoir auprès d’une source qui a requis l’anonymat pour s’exprimer, les employés ont été prévenus mercredi de leur licenciement, sans préavis. Des équipes de soutien technique auraient ainsi été éliminées. Et même si la direction leur aurait assuré qu’ils pourraient être réembauchés lorsque la situation financière s’améliorera, cette nouvelle vague de compressions aurait provoqué une onde de choc au sein du personnel, qui vit une grande incertitude depuis déjà plusieurs mois.
Dans le cadre d’une conférence téléphonique tenue mercredi, les dirigeants de GNL Québec et de Gazoduq ont expliqué que ces licenciements étaient nécessaires en raison de la situation financière difficile de tout le projet, a expliqué notre source. Il faut dire que les deux entreprises sont contrôlées par le même actionnaire, soit la société en commandite GNL Québec, elle-même contrôlée par des intérêts financiers américains.
Ces nouvelles réductions de personnel sont d’autant plus surprenantes, a-t-on fait valoir, qu’elles surviennent à un mois du début de l’évaluation environnementale de l’usine de liquéfaction et du terminal maritime Énergie Saguenay qui sera menée par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Cet examen, qui devait débuter en mars, a été reporté en raison de la pandémie.
Trop risqué
À l’interne, la précarité financière de l’ensemble du projet est toutefois connue depuis plusieurs mois, puisque des contrats auraient été suspendus et que des licenciements étaient à prévoir. Ceux qui avaient été annoncés en avril découlaient du retrait, à la fin du mois de février, du plus important investisseur attendu pour le projet, soit le fonds Berkshire Hathaway, propriété du milliardaire américain Warren Buffett. Celui-ci devait injecter pas moins de 4 milliards de dollars dans ce projet totalisant plus de 14 milliards de dollars (10 milliards pour Énergie Saguenay et 4 milliards pour le gazoduc de 780 kilomètres).
Depuis, la recherche d’investisseurs serait devenue très difficile, principalement parce que les promoteurs n’ont pas encore obtenu les autorisations gouvernementales nécessaires pour lancer les travaux. « Il y a assurément un manque d’appétit pour ce projet », a résumé notre source, en ajoutant qu’Énergie Saguenay serait perçu comme étant « trop risqué ». Gazoduq a d’ailleurs modifié son mandat de lobbying au registre des lobbyistes du Québec une semaine après l’annonce du retrait du fonds Berkshire Hathaway, afin d’y inclure des démarches pour obtenir un « soutien financier » de l’État québécois. Les lobbyistes de GNL Québec ont un mandat similaire.
Le gouvernement caquiste a justement ouvert la porte à l’injection de fonds publics et le premier ministre François Legault a vanté les mérites d’Énergie Saguenay, disant que ce complexe d’exportation d’énergie fossile allait « aider la planète ». Mais le projet d’usine de liquéfaction et de terminal maritime doit encore franchir le processus d’évaluation environnementale québécois ainsi que celui du gouvernement fédéral. Quant au projet de gazoduc, il doit faire l’objet d’un examen conjoint mené par Québec et Ottawa.
Selon ce qu’a indiqué notre source, la direction des deux entreprises aurait laissé entendre qu’une décision sur la poursuite ou non du projet pourrait être prise d’ici la fin du mois de septembre. Les employés souhaiteraient que la situation soit clarifiée, a-t-on souligné, afin de mettre un terme à l’incertitude actuelle. Celle-ci aurait miné le climat de travail au cours des derniers mois.

Décisions difficiles
Contactés par Le Devoir, GNL Québec et Gazoduq ont d’abord confirmé les nouvelles compressions effectuées mercredi, tout en imputant les difficultés financières actuelles aux effets de la pandémie.
Jeudi, c’est toutefois la Société en commandite GNL Québec qui a répondu aux questions supplémentaires du Devoir, une première. « La Société en commandite GNL Québec, qui est la société mère responsable du financement des projets Énergie Saguenay et Gazoduq, et nos dirigeants sont très conscients du stress, des émotions et des réalités personnelles et professionnelles autant liées à un contexte de mises à pied qu’à celui, en général, du développement de projets industriels d’envergure, particulièrement dans le cas de dossiers aussi fortement médiatisés et qui doivent constamment faire l’objet de rondes de financement tout en franchissant les nombreuses étapes réglementaires nécessaires. Alignés avec les valeurs de notre organisation, nous agissons et prenons nos décisions avec le plus grand respect », a-t-on expliqué dans une réponse écrite.
« Nous savons que les équipes des deux projets sont tissées serrées et que des décisions difficiles doivent parfois être prises, comme c’est le cas dans tout projet de longue haleine. Nous saluons et remercions le dévouement et l’implication de tous les employés, qui effectuent ou ont effectué un travail colossal pour nous permettre de bâtir un projet aussi solide qu’innovant », a-t-on ajouté.
La société mère a nié la rumeur qu’elle pourrait mettre un terme au plus important projet industriel de l’histoire du Québec. « Concernant l’avenir des projets, il n’y a aucune décision envisagée en septembre. Les deux projets poursuivent leur développement et le projet Énergie Saguenay s’apprête à franchir une étape cruciale avec la tenue des audiences publiques du BAPE. »
La situation actuelle démontre que l’usine de liquéfaction et le gazoduc forment un seul et même projet, alors que GNL Québec et Gazoduq ont toujours affirmé que leurs deux projets sont distincts. Cette façon de faire des promoteurs signifie que les deux composantes sont évaluées par des processus environnementaux distincts. Le gouvernement Legault a d’ailleurs refusé de mener une évaluation environnementale globale. Selon les données disponibles, les émissions de gaz à effet de serre liées au projet devraient atteindre plus de huit millions de tonnes par année, soit l’équivalent d’ajouter 3,3 millions de voitures sur les routes du pays.
Les principaux enjeux environnementaux du projet GNL Québec
Émissions de gaz à effet de serre: les émissions liées au projet seront surtout produites en Alberta, mais aussi lors du transport du gaz naturel. Selon les évaluations des experts des gouvernements du Québec et du Canada, celles-ci devraient atteindre près de huit millions de tonnes par année. Les émissions produites par le projet en sol québécois devraient avoisiner les 500 000 tonnes chaque année. GNL Québec a toutefois pris l’engagement de compenser ces émissions.
Transport maritime: le gaz naturel liquéfié sera exporté à bord de navires méthaniers qui traverseront le seul parc marin du Québec, soit celui du Saguenay–Saint-Laurent. Selon les prévisions du promoteur, le projet impliquera au moins 320 passages chaque année pour des navires de 300 mètres de longueur et 50 mètres de largeur. Ce volet soulève des questions sur la protection de mammifères marins du Saint-Laurent, dont le béluga.
Le projet de gazoduc de l’entreprise Gazoduq: le gazoduc qui alimentera l’usine de GNL Québec n’est pas évalué en même temps que l’usine. Le gouvernement Legault et le gouvernement Trudeau ont annoncé en mai qu’une seule évaluation environnementale commune sera menée pour ce projet. La décision d’autorisation la construction appartient uniquement au gouvernement fédéral, puisqu’il s’agit d’un gazoduc interprovincial. L’habitat de plusieurs espèces menacées se trouve sur le tracé du gazoduc.
À voir en vidéo
Une version précédente de ce texte affirmait par erreur que GNL Québec avait remercié six de ses employés, tandis que Gazoduq avait procédé à quatre licenciements. Il s'agit du contraire. Nos excuses.
Les équipes des deux entreprises, qui sont étroitement liées, ne compteraient plus qu’une vingtaine d’employés