La glace, un sujet chaud

Si les Montréalais ne subissent pas la pire réduction du nombre de jours de patin par hiver, ils souffrent cependant de saisons commençant de plus en plus tard.
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienne Si les Montréalais ne subissent pas la pire réduction du nombre de jours de patin par hiver, ils souffrent cependant de saisons commençant de plus en plus tard.

Le hasard fait parfois mal les choses. Au plus fort de l’été, des chercheurs canadiens publient une étude sur les patinoires extérieures et le climat. Pourquoi ne pas en dire quelques mots tout de même ?

Un peu partout au pays, des passionnés de hockey entretiennent chaque hiver des glaces dans leur cour arrière. Dans les parcs, des amis et des inconnus croisent le fer sur ces étendues gelées. Or, à cause des changements climatiques, cet aspect de la culture nord-américaine est en danger.

Grâce à des données climatiques et issues d’un projet de science citoyenne, des géographes de l’Université Wilfrid-Laurier, en Ontario, ont constaté que, depuis le début de l’ère des « Original Six » de la Ligue nationale de hockey en 1942, le nombre de journées où il est possible de patiner en plein air a diminué dans les six métropoles en question, soit Boston, Chicago, Détroit, Montréal, New York et Toronto.

« On peut voir qu’il y a déjà des changements qui affectent nos patinoires, ce n’est pas simplement quelque chose qui pourrait arriver dans le futur », fait remarquer en entretien le professeur Robert McLeman, qui mène le projet de recherche.

La chute la plus abrupte du temps de glace est survenue à Toronto, passant d’environ 45 jours par hiver dans les années 1940 à autour de 28 récemment. À Montréal, la diminution est plutôt de l’ordre de 65 à 57 jours par hiver.

En plus du clin d’œil pour les amateurs de hockey, la période choisie coïncide avec la montée en popularité des patinoires privées. Cette activité hivernale a connu un important essor en parallèle avec le développement des villes et des banlieues nord-américaines après la Seconde Guerre mondiale. La période choisie coïncide aussi évidemment avec une accélération de la montée du mercure mondial.

Des effets concrets

 

Dans une étude précédente, les mêmes chercheurs avaient averti que la saison de patin extérieur se raccourcirait d’un tiers à Toronto et à Montréal si l’humanité continuait à émettre sans retenue des gaz à effet de serre. Leur nouvelle analyse rétrospective montre maintenant que le phénomène est déjà bien en marche.

« Vous pouvez le voir avec vos propres yeux, dit M. McLeman. Ou vous pouvez en parler à vos parents ou à vos grands-parents pour savoir de quoi avaient l’air les hivers il y a 50 ans. Pour la plupart des Canadiens, ça permet d’avoir une conversation plus concrète sur les changements climatiques. »

Pour Jean-François Ouimet, le gel et le dégel de sa patinoire extérieure sont, en effet, extrêmement concrets.

 

Depuis huit ans, il fait une glace dans sa cour pour combattre « la télévision et les écrans » qui aguichent ses enfants. La passion pour le patin de ce résident de Longueuil remonte à sa propre enfance, quand ses parents faisaient une patinoire au chalet familial près de Maniwaki. « Il y avait un lac devant le chalet, un lac rond, féérique, où on faisait une glace chaque hiver », raconte-t-il.

Comme des centaines d’autres mordus au Canada et aux États-Unis, M. Ouimet participe au programme de science citoyenne RinkWatch, qui fournit la matière de base à Robert McLeman et à ses collègues pour leurs analyses. Les volontaires remplissent un formulaire en ligne décrivant l’état de leur glace au fil de l’hiver. Depuis 2013, des informations sur plus de 1400 patinoires ont été colligées sur la plateforme.

C’est en croisant ces données avec les relevés historiques des températures que les scientifiques sont arrivés à leurs résultats publiés ce mois-ci dans la revue Le géographe canadien. En vertu de la compilation citoyenne, ils savaient que, pour considérer qu’une journée se prête au patin en plein air, la température maximale ne doit pas dépasser les 5,5 °C sous zéro. En outre, un nombre suffisant de journées froides doit précéder ce moment afin que la glace soit bien formée.

Hivers erratiques

 

Si les Montréalais ne subissent pas la pire réduction du nombre de jours de patin par hiver, ils souffrent cependant de saisons commençant de plus en plus tard. En huit décennies, la date typique de la première mise au jeu est passée du 3 au 11 décembre. Au surplus, des redoux mettent maintenant plus fréquemment en péril les glaces de la métropole québécoise lors des mois de janvier et de février.

En général, les changements climatiques introduisent davantage de fluctuations dans les conditions météo. « Nous parlons souvent des changements dans les températures moyennes, mais en réalité la variabilité est plus importante pour nos activités hivernales comme le patinage, mais aussi le ski, la motoneige et la pêche sur glace », explique le M. McLeman.

Justement, les variations de température embêtent beaucoup Jean-François Ouimet. « La dernière année, je l’ai trouvée très frustrante, dit-il. Je m’y suis repris à trois fois pour faire ma patinoire. » Après avoir tenté un premier essai à la mi-novembre, il n’a finalement obtenu une glace potable qu’au début du mois de janvier.

Dans l’article scientifique récemment publié, on soulève la question du découragement des fabricants de glace. Puisque l’entretien d’une patinoire extérieure demande de grands efforts, souvent le soir et toujours au froid, les gens pourraient considérer que cela ne vaut pas la peine si la saison commence trop tard et les hivers deviennent trop erratiques, écrivent les chercheurs.

La dernière année, je l’ai trouvée très frustrante. Je m’y suis repris à trois fois pour faire ma patinoire.

 

Malgré les embûches, M. Ouimet ne compte pas arrêter de faire sa glace pour autant. « La chose qui va probablement m’arrêter, nuance-t-il, c’est quand notre enfant le plus jeune — qui a maintenant 7 ans — aura 13 ou 14 ans. À ce moment-là, j’ai l’impression que je vais passer à autre chose. »

La question de savoir dans quelle mesure ses trois enfants pourront perpétuer la tradition familiale dans une vingtaine d’années reste entière. À Montréal, le nombre de journées par hiver sans dégel doit passer de 70 actuellement à 60 en 2040. Et ce, peu importe l’ampleur de la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

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