Une autre baleine noire tuée par un navire

Le baleineau frappé mortellement avait été observé en décembre avec sa mère, au large de l’État de la Géorgie.
Photo: Clearwater Marine Aquarium Research, NOAA permit #20556-01 Le baleineau frappé mortellement avait été observé en décembre avec sa mère, au large de l’État de la Géorgie.

La première baleine noire tuée cette année en Atlantique nord était en fait un baleineau âgé d’à peine quelques mois. L’animal a été frappé à deux reprises par des navires en l’espace de quelques semaines, au large de la côte est américaine. Cette espèce en voie de disparition fait pourtant l’objet de mesures de protection, y compris dans le golfe du Saint-Laurent. Mais plusieurs navires ne respectent pas les limites de vitesse, notamment en eaux canadiennes.

Selon les résultats de la nécropsie publiés lundi par l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), le jeune mâle présentait des marques de « deux collisions séparées avec des navires ». Il avait d’abord été frappé et lacéré par une hélice de bateau. Cette première collision aurait sévèrement blessé l’animal, qui a été de nouveau frappé et lacéré « quelques semaines plus tard ». Ce sont ces dernières blessures causées par un navire qui auraient causé la mort de cette jeune baleine noire, conclut la NOAA.

L’organisation, qui effectue un suivi constant de cette population particulièrement menacée, a d’ailleurs profité de l’occasion pour annoncer la publication prochaine d’un rapport qui évaluera l’ampleur des risques de la navigation commerciale, mais aussi l’efficacité des mesures mises en place au fil des ans pour protéger les baleines noires de l’Atlantique nord.

Mesure « volontaire »

Le Canada a lui-même dû mettre en place des mesures sans précédent de protection de la baleine noire, après les mortalités exceptionnelles de ces animaux dans le golfe du Saint-Laurent en 2017. Une zone de pêche peut être fermée si une baleine y est observée et des limites de vitesse ont été imposées dans certains secteurs. Transports Canada a toutefois prévu des couloirs de navigation où les navires peuvent circuler à pleine vitesse, notamment dans le passage utilisé par les baleines noires pour entrer dans le golfe.

Qui plus est, selon les données disponibles mardi, Transports Canada a déjà recensé cette année un total de 156 navires « circulant à une vitesse supérieure à 10 nœuds » dans les zones de limitation de vitesse dans le golfe. Mais « aucune amende n’a été imposée et 43 cas font l’objet d’un examen », précise le ministère.

Le gouvernement canadien a aussi ajouté cette année une « zone d’essai volontaire de restriction de vitesse » dans le détroit de Cabot, entre la pointe nord-est de la Nouvelle-Écosse et la pointe sud-ouest de l’île de Terre-Neuve. Mais selon une analyse réalisée par l’organisme Oceana Canada, entre le 19 et le 25 mai derniers, près des trois quarts des navires — 72 % — n’ont pas respecté le ralentissement volontaire à 10 nœuds. Et c’est un cargo canadien qui détiendrait le record, à 21,1 nœuds, selon Oceana Canada.

« Des études ont démontré qu’une limite de vitesse à 10 nœuds, en vigueur tout au long de la saison dans certains secteurs, réduit les risques de collisions avec les navires de 86 %. Les navires doivent se déplacer plus lentement à travers l’ensemble des habitats des baleines », a fait valoir le groupe environnemental, en publiant son analyse plus tôt en juin.

Jusqu’à présent en 2020, aucune baleine noire n’a cependant été retrouvée morte dans le golfe du Saint-Laurent, une région où on peut observer jusqu’à 25 % de toute la population, en période estivale. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le gouvernement, puisque les mesures de protection de l’espèce mises en place en eaux canadiennes sont essentielles pour protéger l’accès à un marché américain vital pour les pêcheurs, et notamment pour le crabe des neiges et le homard. Il existe en effet une législation aux États-Unis qui permet au pays de « bannir les importations » des produits de la pêche si l’industrie met en péril les mammifères marins. Des élus démocrates et républicains ont d’ailleurs plaidé en faveur d’un tel embargo, en s’appuyant sur le cas des baleines noires.

Mortalités exceptionnelles

 

La situation de la baleine noire, qui est surtout victime de collisions avec des navires et d’empêtrements dans des engins de pêche, s’est aggravée au cours des dernières années, notamment en raison de mortalités exceptionnelles dans les eaux canadiennes. En 2017, pas moins de 17 baleines noires adultes ont été retrouvées mortes, dont 12 dans les eaux canadiennes. Un total de 10 baleines noires sont mortes en 2019, dont une femelle qui s’était empêtrée à au moins quatre reprises en 15 ans.

Cela peut sembler peu, mais il faut dire que cette population, qui a été pratiquement exterminée par la chasse commerciale, se résumerait aujourd’hui à environ 400 bêtes. Et la NOAA calcule qu’un total de 31 baleines sont mortes en trois ans, en plus d’une dizaine de baleines observées empêtrées ou « sévèrement blessées ». « Cela représente environ 10 % de la population, ce qui implique un impact négatif significatif pour une espèce en danger critique », insiste l’organisation.

Les efforts des dernières décennies ont toutefois démontré qu’il était possible de faire croître la population. On ne comptait que 275 individus au début des années 1990. Mais grâce à des mesures de protection importantes mises en place dans les eaux américaines, dont des modifications des routes de navigation, des règles pour la pêche commerciale ainsi qu’un système de surveillance, la population avait atteint 500 individus en 2010.

Déclin des naissances

 

Cette année, une dizaine de baleineaux ont été observés le long de la côte est. Ce chiffre se situe nettement sous la moyenne des dernières années, exception faite de la saison 2017-2018, au cours de laquelle aucun baleineau n’avait vu le jour. Sur la période 2007-2017, la moyenne annuelle était de 18 baleineaux, avec des pointes à 22 en 2013, 22 en 2011 et 39 en 2009.

Selon le North Atlantic Right Whale Consortium, qui regroupe des scientifiques canadiens et américains, le taux de reproduction a nettement reculé au cours des dernières années, si bien que « les faibles naissances chaque année ont éliminé la capacité de la population à croître et faire face à la mortalité causée par les humains ».

Selon les chercheurs du New England Aquarium, il est possible, dans certains cas, que des femelles qui ont subi un empêtrement dans des engins de pêche ne soient pas en mesure de se reproduire, en raison des répercussions importantes sur leur condition physique.

 

« Beaucoup de femelles peuvent être incapables d’accumuler assez de graisse pour réussir à tomber enceintes ou mener une grossesse à terme en raison de possibles réductions de la disponibilité de la nourriture et d’un effort accru pour trouver de la nourriture », souligne aussi le NARWC. Les femelles baleines noires donnent habituellement naissance à leur baleineau entre fin novembre et début mars, essentiellement au large des côtes des États de la Géorgie et de la Floride.

UNE « BALEINE URBAINE »

La baleine noire peut atteindre une taille de 18 mètres, pour un poids de plus de 60 tonnes. Chaque individu est reconnaissable aux taches blanches uniques qu’il porte sur la tête, appelées callosités. Il s’agit d’une espèce qui se nourrit essentiellement de copépodes, de petits crustacés qu’elle filtre à l’aide de ses fanons. La baleine noire est parfois qualifiée de « baleine urbaine », puisqu’elle vit près des côtes, notamment lors de la période de mise bas, au large des États américains de la Géorgie et de la Floride. Cela la rend particulièrement vulnérable aux collisions avec les navires et aux empêtrements dans les engins de pêche. Nommée « Right whale » en anglais, elle a été décimée par des siècles de chasse commerciale. Elle était une cible privilégiée pour les baleiniers, puisqu’elle flotte une fois morte et qu’elle fournit une bonne quantité de graisse, cette matière qui était fondue pour produire de l’huile.


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