Une baleine à bosse à Montréal

Notre photographe Jacques Nadeau a croqué la baleine à bosse en pleine séance acrobatique.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Notre photographe Jacques Nadeau a croqué la baleine à bosse en pleine séance acrobatique.

La baleine à bosse qui remontait depuis quelques jours le fleuve Saint-Laurent s’est retrouvée dans le secteur du Vieux-Port de Montréal samedi. L’animal, qui a même effectué plusieurs sauts spectaculaires hors de l’eau, a suscité un vif intérêt de la part de centaines de curieux. Mais il n’en demeure pas moins que cette situation inédite risque de menacer la vie de l’animal.

Observée d’abord dans la région de Québec plus tôt cette semaine, la baleine à bosse a été repérée tôt samedi dans l’est de Montréal, alors qu’elle poursuivait son chemin en remontant le cours du fleuve. Après avoir passé sous le pont Jacques-Cartier en fin de matinée, elle a passé l’après-midi dans le même secteur, près du quai de l’horloge.

Elle s’est même lancée dans une série de comportements typiques de la baleine à bosse en fin de journée, frappant l’eau avec ses nageoires pectorales et sa nageoire caudale, mais aussi en multipliant les sauts spectaculaires hors de l’eau, sous le regard de centaines de curieux rassemblés sur la rive, dans le Vieux-Port, mais aussi sur l’île Sainte-Hélène.

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La baleine à bosse a effectué plusieurs sauts spectaculaires hors de l'eau, samedi.

Les autorités ont aussi été présentes sur l’eau tout au long de la journée, afin de faire respecter la réglementation fédérale, qui « interdit de perturber un mammifère marin ». Cela signifie qu’un bateau ne doit pas s’approcher de l’animal ni lui barrer la route. Il est également interdit de nager ou d’interagir avec une baleine. Les plaisanciers doivent maintenir une distance de 100 mètres de la baleine.

Pourquoi Montréal ?

Mais que fait cette baleine à Montréal ? « Plusieurs hypothèses peuvent expliquer la présence de la baleine dans l’estuaire fluvial, et il est possible que ce soit une combinaison de plusieurs facteurs. On peut penser, par exemple, que la baleine a suivi des proies, qu’elle explore un nouveau territoire ou qu’elle est désorientée. Dans tous les cas, elle nage librement et peut encore faire demi-tour par elle-même », explique la porte-parole du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Marie-Ève Muller.

À « court terme », la vie de l’animal ne serait pas menacée par son séjour en eau douce, même si cette espèce ne remonte habituellement pas le Saint-Laurent en amont de Tadoussac. « Pour le moment, son plus grand risque est d’être dans un secteur hautement fréquenté par la navigation, qu’elle soit commerciale ou de plaisance. Nous remercions donc tous les usagers et usagères du Saint-Laurent pour leur collaboration », explique Mme Muller.

Photo: Alexandre Shields Le Devoir L'animal est demeuré toute la journée près du quai de l'Horloge, dans le Vieux-Port.

Une équipe de recherche a aussi surveillé l’animal toute la journée, en bateau, afin de pouvoir le photographier. Cela peut permettre d’identifier le cétacé, s’il a déjà été « photo-identifié » par les scientifiques. Les spécialistes peuvent également obtenir des informations sur l’état de santé de l’animal et suivre l’évolution de cette situation sans précédent.

Selon des informations obtenues samedi par Le Devoir, cette baleine serait fort probablement un jeune individu, qui pourrait être âgé d’à peine deux ans. Il ne serait pas inscrit au catalogue des baleines à bosse déjà « photo-identifiées ».

Intervention ?

Pour le moment, aucune intervention n’est prévue pour tenter de relocaliser cette baleine. Il faut savoir que même s’il s’agit d’une jeune baleine à bosse, elle peut facilement mesurer près de 10 mètres, pour un poids de 15 à 20 tonnes. Une telle opération de déplacement n’a jamais été tentée dans le Saint-Laurent et elle pourrait s’avérer fatale pour l’animal.

« La meilleure chose à faire pour aider cet animal à retourner dans son habitat naturel est de le laisser à lui-même. La baleine nage librement, elle semble en assez bonne condition et pourrait à tout moment repartir vers l’aval, vers l’estuaire ou le golfe du Saint-Laurent, là où on trouve habituellement les rorquals à bosse », résume Marie-Ève Muller.

Toutefois, « si l’animal devait se retrouver dans un endroit exigu ou entravant la navigation, différentes options pourraient être mises en place pour l’effaroucher ou tenter de l’attirer vers un secteur moins dangereux ». Ces techniques « seraient peu applicables pour aider la baleine à franchir les quelque 400 kilomètres qui la séparent de son habitat naturel ».

Puisque l’animal se retrouve loin de son habitat naturel, dans un tronçon du Saint-Laurent où les risques sont multiples et où elle ne peut pas s’alimenter, il est également possible qu’elle finisse par s’échouer, prévient-on. Dans ce cas, des « options » seront évaluées : la remise à l’eau, l’euthanasie ou le laisser-aller. « Les chances de succès de remise à l’eau avec des animaux de cette taille sont très minces », souligne cependant Mme Muller.

Cas inusités

 

Si la présence d’une baleine à bosse dans la portion fluviale du Saint-Laurent est une première, il existe d’autres cas où des mammifères marins ont été aperçus en dehors de leur habitat. En 2012, un béluga avait été aperçu à plusieurs reprises dans le secteur de Montréal, et notamment dans le Vieux-Port. Un petit rorqual, une autre espèce fréquemment observée dans l’estuaire et le golfe, a déjà été retrouvé échoué à Lévis.

Au fil des ans, plusieurs signalements de phoques ont également été rapportés au Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins concernant des phoques en dehors de leur habitat. Parmi ceux-ci, on compte de jeunes phoques à capuchon, appelés « dos bleus », qui se trouvaient dans la région de Montréal, notamment sur l’île Sainte-Hélène. Une situation pour le moins inhabituelle, puisque cette espèce vit surtout dans les eaux autour de Terre-Neuve, voire dans l’Atlantique Nord. Dans un cas de « dos bleu » signalé à Longueuil, des passants avaient tenté de nourrir l’animal avec des croustilles, des hot-dogs et des frites. Le phoque a finalement dû être euthanasié.

Enfin, un narval a été aperçu à plusieurs reprises dans l’estuaire du Saint-Laurent depuis 2016, nageant au milieu de groupes de bélugas. Cette baleine à dents, surnommée « licorne des mers » et dont la taille peut être similaire à celle du béluga, vit en petits groupes dans les eaux de l’Arctique canadien, ou encore au large du Groenland.

À l’inverse, des mammifères marins du Saint-Laurent peuvent eux aussi se retrouver loin de leur habitat naturel. C’est le cas parfois de bélugas. En juin 2017, un béluga qui avait quitté l’estuaire avait été retrouvé nageant dans une rivière du Nouveau-Brunswick. Dans le cadre d’une opération sans précédent, il avait été ramené au Québec par avion. Mais en 2018, il a été revu, cette fois au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

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