Des millions d'une agence fédérale pour le gazoduc Coastal Gaslink

En pleine crise de la COVID-19, Exportation et développement Canada vient d’accorder un prêt pouvant atteindre 500 millions de dollars à la multinationale TC Energy pour l’aider à financer la construction du gazoduc Coastal Gaslink. C’est ce projet qui avait provoqué la crise nationale des blocages ferroviaires plus tôt cette année, en appui à l’opposition manifestée par la nation autochtone wet’suwet’en.
L’entente de « financement de projet » a été signée le 28 avril entre Exportation et développement Canada (EDC) et les promoteurs du projet piloté par TC Energy, une entreprise connue anciennement sous le nom de TransCanada. Elle prévoit que le gouvernement fédéral prêtera de 250 à 500 millions de dollars à « Coastal GasLink Pipeline Limited Partnership » pour la construction du gazoduc de 670 kilomètres en Colombie-Britannique.
Cette conduite, dont les travaux de construction ont déjà débuté et dont les coûts sont estimés à 6,6 milliards, transportera du gaz naturel exploité par fracturation jusqu’à la côte ouest, où il sera liquéfié dans le complexe industriel de LNG Canada, en vue de son exportation par navires méthaniers.
Pourquoi avoir décidé d’accorder ce « soutien » aux promoteurs, qui en avaient fait la demande quelques mois auparavant ? « À titre d’organisme de crédit à l’exportation du Canada, nous avons le mandat de soutenir les exportateurs canadiens et de développer le commerce du pays. Nous sommes fermement résolus à faciliter le commerce dans le respect de nos engagements au chapitre de la responsabilité et de la durabilité », a répondu EDC, par courriel.
« Selon l’entreprise, le projet créera, durant la construction qui s’étendra sur quatre ans, plus de 2000 emplois et occasions d’affaires, notamment pour les entreprises locales et autochtones le long du tracé », a ajouté la société d’État fédérale. EDC dit avoir procédé à « un contrôle préalable rigoureux » avant d’accorder le prêt. « EDC évalue les risques financiers ou non financiers liés aux transactions potentielles et détermine si celles-ci respectent nos politiques, notamment celles sur l’environnement, les changements climatiques, les droits de la personne, la performance sociale et l’intégrité des entreprises. »
Le cabinet de la ministre de la Petite entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, Mary Ng, assure par ailleurs que la société d’État EDC est «indépendante du gouvernement du Canada» dans ses décisions de soutien financier. Dans ce cas, le prêt provient du « compte commercial », ce qui n’impliquerait pas de fonds publics.
Blocages
Le projet Coastal Gaslink a toutefois soulevé une vive controverse au cours des derniers mois, en raison de l’opposition de la nation wet’suwet’en au passage du gazoduc sur son territoire ancestral. Dans la foulée d’une intervention de la Gendarmerie royale du Canada sur ce territoire, plusieurs blocages de voies ferrées avaient été organisés un peu partout au pays, notamment au Québec.
Même si les promoteurs ont signé des ententes avec plusieurs nations autochtones situées le long du tracé du gazoduc, ils se butent encore aujourd’hui à une opposition de la part de chefs héréditaires wet’suwet’en. Ceux-ci ont certes convenu d’un « protocole d’entente » avec le fédéral pour « affirmer et mettre en œuvre les droits et le titre » de cette Première Nation, mais ce processus ne règle pas le contentieux sur la construction du gazoduc en territoire autochtone.
Dans son sommaire de décision de financement, EDC reconnaît d’ailleurs que « le projet continue de susciter l’opposition d’un groupe de chefs héréditaires de la Première Nation wet’suwet’en, qui affirment être les décideurs légitimes de cette nation, ne pas avoir été dûment consultés et ne pas avoir consenti au projet ». La société d’État estime toutefois que le promoteur TC Energy « a démontré une grande capacité à gérer les risques environnementaux et sociaux », et notamment les questions liées aux Premières Nations.
Le porte-parole de Greenpeace Canada, Patrick Bonin, dénonce cette décision de financement du gouvernement Trudeau en insistant sur l’opposition au gazoduc. « Autoriser ce gazoduc est en totale contradiction avec son engagement à respecter les droits des Premières Nations et le financer ajoute l’insulte à l’injure. Le gouvernement doit annuler ce financement qui va à l’encontre de ses intentions de relance verte et qui cannibalise des fonds qui pourraient plutôt être utilisés pour accompagner les travailleurs et les communautés dans la transition vers les énergies vertes. »
Gaz à effet de serre
En plus du gazoduc, une usine de liquéfaction sera construite à Kitimat par LNG Canada, une entreprise détenue par des multinationales du secteur des énergies fossiles, dont Shell, Petronas et PetroChina. Le gouvernement fédéral lui a accordé l’an dernier275 millions de dollars de fonds publics pour la réalisation du mégaprojet, évalué à 40 milliards.
Le premier ministre Justin Trudeau a déjà dit que ce complexe gazier « fera beaucoup pour l’environnement », puisqu’il contribuerait à la réduction de la consommation de charbon en Asie. « C’est un vote de confiance envers un pays qui reconnaît la nécessité de développer ses ressources énergétiques tout en tenant compte de l’environnement, et qui travaille avec les communautés autochtones dans lecadre d’un véritable partenariat », avait en outre affirmé le premier ministre, au moment où LNG Canada avait confirmé son intention de réaliser le projet, en octobre 2018.
Le projet de mise en marché de gaz naturel permettra d’exporter environ 20 % de toute la production de gaz du Canada, selon les données dugouvernement fédéral. Il est question d’exporter chaque année 26 millions de tonnes gaz naturel liquéfié, soitplus du double du projet GNL Québec. Selon une analyse produite par l’Institut Pembina, le mégaprojet, conçu pourexporter pendant au moins 30 ans une production gazière issue de la fracturation, doit générer chaque année 8,6 millions de tonnes de gaz à effet de serre en territoire canadien.
Appuis du fédéral au secteur pétrolier et gazier
Depuis le début de l’année, le gouvernement Trudeau a pris plusieurs engagements en faveur de l’industrie pétrolière et gazière:
- Autorisation de mener au moins 10 forages exploratoires en milieu marin d’ici 2027, dans une zone ciblée par l’industrie et située sur les Grands Bancs de Terre-Neuve, dans l’Atlantique.
- Consultation publique dans le but d’éliminer les évaluations environnementales exigées pour les forages exploratoires à l’est de Terre-Neuve. Au moins 100 de ces forages sont envisagés d’ici 2030. La consultation a été menée en pleine crise de la COVID-19.
- Première phase de consultation publique, pendant la crise sanitaire, pour le projet d’expansion de la mine Base, de Suncor. Le projet doit permettre l’exploitation de deux milliards de barils de pétrole d’ici 2055.
- Financement de 1,7 milliard $ afin de nettoyer les puits orphelins et abandonnés en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.
- Investissements de 750 millions dans un nouveau fonds voué à la réduction des émissions de méthane.