Une usine gourmande en gaz naturel

L’usine devrait générer chaque année 630 000 tonnes de GES en sol québécois, soit l’équivalent de plus de 160 000 voitures.
Photo: ProjetBécancour.ag L’usine devrait générer chaque année 630 000 tonnes de GES en sol québécois, soit l’équivalent de plus de 160 000 voitures.

La future usine d’engrais et de méthanol de Bécancour fera bondir de plus de 25 % la consommation de gaz naturel au Québec, du gaz qui sera exploité principalement par fracturation dans l’Ouest canadien. Le gouvernement de François Legault, qui est un partenaire financier important de ce projet, n’entend toutefois pas tenir compte de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre liées à ce complexe industriel, a appris Le Devoir.

Selon ce qu’on peut lire dans l’étude d’impact de ProjetBécancour.ag, l’usinede production d’engrais sous forme d’urée, mais aussi de production de méthanol, consommera de grandes quantités de gaz naturel comme « matière première », soit au maximum 1,58 milliard de mètres cubes par année.

Or, les données de Statistique Canada indiquent que le Québec a consommé 6,4 milliards de mètres cubes en 2017.

630 000 tonnes
C’est le nombre de tonnes de gaz à effet de serre que l’usine devrait générer en sol québécois chaque année

Le complexe qui sera implanté dans le parc industriel de Bécancour entraînera donc une augmentation « importante » de la consommation de la province, soit près de 25 %, précise le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. Des données confirmées par Energir, dont le réseau de gazoducs en sol québécois transportera le gaz jusqu’à l’usine, qui sera située sur la rive sud du Saint-Laurent.

Le promoteur précise aussi dans son étude d’impact que l’approvisionnement en gaz naturel sera assuré grâce à « des contrats d’achat à long terme avec des fournisseurs privés majeurs de l’Ouest canadien », donc essentiellement situés en Alberta et en Saskatchewan. La production y est majoritairement réalisée en ayant recours à la fracturation hydraulique, une technique qui génère davantage de gaz à effet de serre (GES) que le gaz « conventionnel » et qui nécessite des millions de litres d’eau pour chaque forage.

L’étude d’impact de plus de 1700 pages déposée par ProjetBécancour.ag ne chiffre toutefois pas les émissions de GES imputables à la production, au traitement et au transport du 1,58 milliard de mètres cubes de gaz naturel qui seront utilisés chaque année à son usine.

1,3 milliard
C’est la valeur du projet d’usine d’engrais à Bécancour

Son conseiller en communication et en relations avec le milieu, Yvan Martin, souligne toutefois qu’une telle « étude sur le cycle de vie complet » du projet a bel et bien été menée, puis analysée par « un comité d’experts indépendants ». Les résultats de cette étude seront présentés lors des audiences prévues du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, « et permettront d’avoir une vue d’ensemble », selon M. Martin.

Pour le moment, les données disponibles indiquent que l’usine devrait générer chaque année 630 000 tonnes de GES en sol québécois, soit l’équivalent de plus de 160 000 voitures. Cela équivaut à annuler 40 % des réductions d’émissions du Québec pour la période de 2012 à 2016, selon le plus récent bilan du gouvernement.

Ce projet de 1,3 milliard de dollars est aussi plus polluant que celui abandonné en 2015, qui ne prévoyait pas de production de méthanol et anticipait des émissions annuelles de 575 000 tonnes de GES.

Analyse limitée

 

Le gouvernement de François Legault entend pour sa part limiter son analyse des GES aux seules émissions produites au Québec.

« Comme tout projet soumis à l’évaluation environnementale, nous tiendrons compte de son impact en production de GES en sol québécois, évitant ainsi de comptabiliser deux fois les mêmes émissions », fait valoir le cabinet du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette.

Selon le bureau du ministre, les émissions dites « en amont » sont déjà comptabilisées « sur le territoire d’origine », soit le lieu d’extraction. Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir de précision à ce sujet auprès de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. Il est donc impossible de savoir si le fédéral étudiera le projet.

On pourrait avoir ce projet qui augmente les émissions de GES, mais respecter le plafond d’émissions du marché du carbone et réduire nos émissions. Il faudrait pour cela réduire d’autant plus dans les autres secteurs. Ce projet va évidemment ajouter à l’effort de réduction à faire s’il va de l’avant.

En procédant ainsi avec ProjetBécancour.ag, le gouvernement du Québec met de côté la majorité des émissions liées au fonctionnement de la future usine, affirme le biophysicien Marc Brullemans. Selon ses calculs, basés notamment sur les analyses disponibles concernant l’exploitation gazière dans l’Ouest canadien, il serait réaliste d’estimer les émissions dites « en amont » à plus d’un million de tonnes de GES. Il précise aussi qu’il serait important de prendre en compte les émissions dites « en aval », soit celles imputables à l’utilisation de l’urée et du méthanol. Pour cela, il faudrait connaître précisément l’utilisation de chaque produit.

Pierre-Olivier Pineau estime néanmoins que ce nouveau complexe industriel n’est pas nécessairement « incompatible » avec les objectifs de réduction des émissions de GES, même s’il viendra alourdir le bilan du Québec.

« On pourrait avoir ce projet qui augmente les émissions de GES, mais respecter le plafond d’émissions du marché du carbone et réduire nos émissions. Il faudrait pour cela réduire d’autant plus dans les autres secteurs. Ce projet va évidemment ajouter à l’effort de réduction à faire s’il va de l’avant. »

 

 

Réduire l’importation d’engrais

Yvan Martin fait par ailleurs valoir que le projet, en utilisant du gaz naturel, représenterait des gains environnementaux par rapport à la situation actuelle, puisque le Québec comble 100 % de ses besoins en engrais sous forme d’urée grâce à l’importation. En 2016 et 2017, plus de 350 000 tonnes ont été importées chaque année de la Russie, des États-Unis et de l’Allemagne principalement.

Est-ce que les agriculteurs québécois paieront moins cher pour ce produit ? La chose est possible, selon M. Martin, qui ajoute que « le prix de l’urée est fixé en fonction d’indices internationaux ». Et puisque l’usine de Bécancour produira chaque année 780 000 tonnes d’urée, la majorité de la production sera destinée à l’exportation.

Le député caquiste de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, s’est déjà porté à la défense du projet. Et selon des informations dévoilées en novembre 2018 par La Presse, le premier ministre François Legault a pris fait et cause pour le projet. Au cabinet de Benoit Charette, on dit toutefois vouloir attendre les résultats de l’évaluation environnementale avant de se prononcer sur le projet.

Le gouvernement du Québec est déjà engagé financièrement dans le développement du projet. Depuis le démarrage de la première mouture de l’usine de Bécancour, l’État a injecté plus de 15 millions de dollars. Et selon le Registre des entreprises du Québec, Investissement Québec est le deuxième actionnaire d’IFFCO Canada, qui détient 50 % de ProjetBécancour.ag. L’autre 50 % est contrôlé par Développement Nauticol Québec ltée, filiale d’une entreprise albertaine.

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