La CAQ à la recherche du virage vert

Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le premier budget caquiste prévoit des mesures censées accélérer la transition énergétique dans le secteur industriel et celui des transports, les deux principaux émetteurs de gaz à effet de serre (GES) de la province.

Le gouvernement de la Coalition avenir Québec a été élu sans avoir eu à prendre d’engagements ambitieux en environnement. Une posture qui lui a été par la suite vivement reprochée, si bien que le premier ministre François Legault a senti le besoin de corriger le tir, tout en posant des gestes en apparence contradictoires.

Au moment de prononcer le discours inaugural de son gouvernement, en novembre 2018, François Legault insiste sur l’importance de « relever un grand défi » : « La survie de notre planète est en jeu, et je ne peux pas ignorer ce défi de l’urgence climatique et continuer de regarder mes deux fils dans les yeux. L’audace dans ce domaine consiste à regarder la réalité en face, à nous retrousser les manches malgré l’ampleur colossale du défi qu’on a devant nous. »

Le premier budget caquiste prévoit d’ailleurs des mesures censées accélérer la transition énergétique dans le secteur industriel et celui des transports, les deux principaux émetteurs de gaz à effet de serre (GES) de la province. Il faut dire que le Québec aura fort à faire pour respecter ses engagements climatiques. Selon les données publiées cette semaine par le gouvernement fédéral, la réduction des GES n’a atteint que 9,8 % en 2017 par rapport à 1990, alors que l’objectif de réduction pour 2020 est fixé à 20 %.

Or, malgré ce contexte d’urgence d’agir, le directeur général d’Équiterre, Sidney Ribaux, estime que le gouvernement « souffle le chaud et le froid ». « Dans le budget, [on investit] plus en transport commun, mais on voit aussi des investissements plus importants dans le transport routier, surtout en raison des 325 millions de dollars pour le troisième lien, un projet complètement incohérent avec une stratégie de mobilité durable. »

Il n’existe pas de croissance démographique justifiant de nouvelles routes, ajoute M. Ribaux. « Mais nous avons des enjeux climatiques et de réduction de la congestion. Il faut davantage d’investissements en transport en commun. »

Pour le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, ce projet de pont dans la région de Québec est d’abord conçu pour plaire à la « base », d’ailleurs un de ses « points faibles ». « Jusqu’où pourra-t-elle suivre une transition qui, inévitablement, va affecter son mode de vie ? Pour réussir la transition, il ne faudra pas simplement être plus efficace énergétiquement et vendre de l’électricité à nos voisins. »

Selon lui, il faudra en priorité « revoir en profondeur » nos modes de transport, « mettre fin à l’étalement urbain », mieux occuper le territoire et bâtir de manière plus durable. « La population, et particulièrement l’électorat de la CAQ, n’est pas vraiment prête à ces remises en question », prévient M. Pineau.

Pragmatisme promis

 

Tant Pierre-Olivier Pineau que Sidney Ribaux saluent la volonté affichée par M. Legault de poser des gestes « pragmatiques » dans le domaine environnemental.

Le directeur général d’Équiterre souligne du même souffle que le gouvernement a envoyé un signal « positif » en maintenant le marché du carbone, alors que cinq provinces contestent ouvertement la tarification du carbone imposée par les libéraux fédéraux. « Le vrai test » pour la CAQ sera la présentation de son plan climatique pour la décennie 2020-2030, insiste M. Ribaux.

Le ministre de l’Environnement Benoit Charette promet justement de présenter une feuille de route cette année. « Comme nous nous y sommes engagés dans le budget, nous présenterons, dans les prochains mois, un plan détaillé de lutte contre les changements climatiques qui démontrera l’importance que nous accordons à la question et comment nous envisageons de prioriser ainsi que d’orienter nos actions dans les prochaines années », explique son cabinet, dans une réponse écrite.

Dans ce contexte, Québec a « un enjeu de cohérence », selon Équiterre. « Lorsqu’on appuie des projets de gazoducs, difficile de dire par la suite que tu es un champion des changements climatiques. Le projet de gazoduc [lié au projet Énergie Saguenay] n’a pas de sens lorsqu’on prend en considération les émissions en amont et en aval », insiste Sidney Ribaux.

Incohérences

 

En réagissant à l’élection du conservateur Jason Kenney en Alberta cette semaine, François Legault a toutefois montré une grande ouverture pour le projet Énergie Saguenay. Les émissions de GES liées à la mise en service de ce complexe de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel albertain généreraient au moins sept millions de tonnes de GES par année. Cela équivaut à annuler en une seule année l’essentiel des réductions d’émissions du Québec depuis 1990.

En analysant les premiers pas du gouvernement Legault, l’ancien président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec Normand Mousseau estime d’ailleurs que celui-ci n’a « pas de vision claire » à proposer, du moins pour le moment.

« Ce qui définit la situation actuelle, c’est l’incohérence structurelle », précise l’auteur du livre Gagner la guerre du climat. « Tant que la lutte contre les changements climatiques ne sera pas confiée à un ministère à vocation économique, le problème va demeurer entier, puisque toute la réflexion économique d’un développement se fait en amont et le ministre de l’Environnement arrive à la toute fin, alors que tout est décidé. Il perd donc systématiquement. Il faut plutôt intégrer la question climatique dès le début. »

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