Québec n’évaluera pas l’impact du gaz naturel transporté par Énergie Saguenay

Photo: Dario Egidi Getty Images Il n’y a pas de moyen, pour GNL Québec, de préciser si le gaz importé au Québec sera exploité de façon conventionnelle, ou alors en utilisant la fracturation hydraulique (gaz de schiste ou gaz de réservoirs étanches).

Le gouvernement du Québec n’exigera aucune évaluation des impacts environnementaux imputables à l’exploitation du gaz naturel de l’Alberta qui sera transporté au Québec et exporté grâce au projet Énergie Saguenay, a appris Le Devoir. La future usine de liquéfaction fera pourtant de la province un point névralgique pour la mise en marché de gaz exploité par fracturation hydraulique.

Le projet Énergie Saguenay, de l’entreprise GNL Québec, comprend une usine de liquéfaction de gaz naturel et un terminal maritime d’exportation qui sera situé à Grande-Anse, sur la rivière Saguenay. Ce nouveau complexe exporterait chaque année 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié, qui serait transporté au Québec grâce à un nouveau gazoduc de 750 km qui sera construit par Gazoduq et connecté au réseau principal de TransCanada, qui part de l’Alberta.

Même si ce projet implique un approvisionnement en gaz naturel exploité par fracturation hydraulique, le gouvernement du Québec n’entend pas tenir compte des impacts de cette production dans l’évaluation environnementale provinciale. « Non, l’initiateur n’est pas tenu d’évaluer les impacts potentiels associés à la production de gaz naturel puisque son projet ne comprend pas cette activité », a précisé le chefde service, médias, du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), Ugo Demetriade, en réponse à une demande adressée directement au cabinet de la ministre MarieChantal Chassé.

Gaz à effet de serre

Le Devoir a aussi tenté de savoir si le ministère pourra exiger la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’exploitation de ce gaz naturel. Le MELCC n’a pas été en mesure de fournir une réponse affirmative. « Une estimation des émissions de GES lors de la production du gaz naturel transporté par gazoduc pour liquéfaction à Saguenay pourrait être requise si l’information permettait de juger des variantes de réalisation du projet quant à l’approvisionnement », a expliqué M. Demetriade.

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Cela signifie que si « le choix d’approvisionnement » revient directement au promoteur, « l’intensité en émissions de GES de chacune des sources possibles d’approvisionnement (en fonction notamment du type d’exploitation de ce gaz naturel) devrait être présentée pour justifier ces choix ».

GNL Québec a prévu une seule option pour alimenter ses installations, à savoir de connecter en Ontario un nouveau gazoduc de 750 km sur la « Canadian Mainline » exploitée par TransCanada, qui transporte du gaz en provenance de l’Alberta. Or, selon ce qu’a précisé Chantal Macleod, agente de communication à l’Office national de l’énergie (ONE), « il n’y a pas de distinction faite entre les méthodes utilisées pour la production » du gaz naturel qui circule dans le réseau de TransCanada.

Il n’y a donc pas de moyen, pour GNL Québec, de préciser si le gaz importé au Québec sera exploité de façon conventionnelle, ou alors en utilisant la fracturation hydraulique (gaz de schiste ou gaz de réservoirs étanches).

Est-ce que l’entreprise est en mesure de préciser de quelle façon le gaz naturel transporté sera exploité ? « Personne n’est en mesure de préciser ce point, puisque le système de transport actuel de gaz naturel au Canada est intégré. Les molécules sont mélangées et sont au bout du compte identiques », a d’ailleurs confirmé la vice-présidente aux affaires publiques chez GNL Québec, Marie-Claude Lavigne.

GNL Québec promet néanmoins d’évaluer les émissions de GES liées à la production du gaz naturel, mais aussi les émissions liées à l’utilisation finale du gaz exporté. « GNL Québec fournira une analyse indépendante complète du cycle de vie dans les prochaines semaines, qui prendra en compte les données scientifiques et de marché à chaque étape de la chaîne », a indiqué la directrice des communications de l’entreprise, Stéphanie Fortin.

Fracturation

 

Selon trois experts consultés par Le Devoir, l’essentiel du gaz qui sera acheminé au Québec sera exploité en utilisant la méthode controversée de la fracturation. « Il ne reste presque plus de gaz conventionnel en Amérique du Nord, donc ce sera du gaz non conventionnel, dont du gaz de schiste ou du gaz de réservoirs étanches. Et dans tous les cas, il faut utiliser des techniques de fracturation hydraulique », a fait valoir Normand Mousseau, professeur titulaire au Département de physique de l’Université de Montréal et spécialiste du gaz de schiste.

« Il est tout à fait vraisemblable que ce soit majoritairement du gaz non conventionnel, et de manière croissante au fil des ans », a également indiqué le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. Les prévisions de l’ONE sur la production gazière canadienne lui donnent raison, puisque la croissance du secteur est essentiellement imputable aux forages avec fracturation en Alberta et en Colombie-Britannique. En fait, moins de dix ans après la mise en service du projet, plus de 90 % du gaz de l’Ouest canadien sera exploité en utilisant la fracturation.

Dans ce contexte, on ne peut pas affirmer que ce gaz naturel constitue une source d’énergie de « transition », selon le biologiste Claude Villeneuve, spécialiste des questions climatiques. « Si on fait de la restriction mentale et qu’on ne parle que du gain de l’utilisation du gaz, par rapport à d’autres combustibles, on trompe les gens », laisse-t-il tomber.

« À l’extraction, le gaz peut avoir des impacts qui sont beaucoup plus importants, selon la source. Dans le cas des gisements exploités par fracturation, les émissions de gaz à effet de serre en amont sont de neuf à douze fois plus importantes que pour le gaz naturel conventionnel. Et le gaz peut s’échapper ailleurs, pendant très longtemps. On peut aussi utiliser jusqu’à 10 millions de litres d’eau pour chaque forage. Ça peut entraîner une contamination des eaux souterraines. »

Santé humaine

 

Pour le Dr Éric Nobaert, de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, l’évaluation du projet devrait en outre tenir compte des risques pour la santé humaine.

« Il y a plusieurs études qui indiquent une association entre la fracturation hydraulique et des problèmes de santé importants. On constate notamment des retards de croissance chez les bébés, mais aussi des malformations cardiaques et neurologiques. On voit aussi davantage de problèmes d’hospitalisation liés à des problèmes pulmonaires, cardiaques, etc. Ce sont tous des signaux très inquiétants qui nous incitent à la prudence, selon le principe de précaution. »

Pour les groupes environnementaux, il ne fait d’ailleurs aucun doute que l’exploitation du gaz doit faire partie de l’étude environnementale québécoise. « L’évaluation de ce projet permettra de juger du nouveau « test climat » qui est dorénavant intégré aux évaluations environnementales au Québec, et il serait désastreux que ce dernier perde toute sa crédibilité dès le départ », estime Patrick Bonin, de Greenpeace.

Avis public

L’entreprise Gazoduq, filiale de GNL Québec, vient de publier un « Avis public » pour « inviter » les citoyens à faire part au MELCC, d’ici le 18 janvier, de leurs « observations » sur les enjeux que l’étude d’impact québécoise du gazoduc devrait aborder. Qui plus est, selon l’Office national de l’énergie, la décision d’autoriser ou non la construction reviendra au gouvernement fédéral, puisqu’il s’agit d’une conduite interprovinciale.


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