Agrile du frêne: Gatineau est la première ville à raser tous ses frênes

La Ville de Montréal a traité près de 95 000 arbres sur les terrains publics au cours des dernières années. Elle a néanmoins dû procéder à l’abattage de plus de 15 000 arbres depuis 2011. L’an dernier, la Ville a annoncé l’abattage de 4000 frênes sur le mont Royal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La Ville de Montréal a traité près de 95 000 arbres sur les terrains publics au cours des dernières années. Elle a néanmoins dû procéder à l’abattage de plus de 15 000 arbres depuis 2011. L’an dernier, la Ville a annoncé l’abattage de 4000 frênes sur le mont Royal.

Une première ville au Québec y va d’une solution extrême en rasant tous les frênes sur son territoire tandis que le gouvernement du Québec n’a toujours pas donné suite aux demandes de nombreuses municipalités qui réclament une stratégie commune ainsi qu’une aide financière pour lutter contre l’agrile du frêne.

Dépassée par le niveau d’infestation de ses frênes, la Ville de Gatineau en est venue à la conclusion qu’il valait mieux les faire complètement disparaître du paysage que les traiter.

« Lutter contre l’agrile du frêne, c’est impossible. C’est utopique de dire qu’on lutte contre cet insecte. Actuellement, ce qu’on fait, c’est gérer une problématique pour laquelle il n’y a pas de solution miracle », souligne Alexandre Dumas, ingénieur forestier au service de l’environnement de la Ville de Gatineau.

D’ici 2020, ce sont 40 000 frênes qui seront abattus, portant le total d’arbres coupés depuis le début des ravages de cet insecte dévastateur à 70 000.

La problématique de l’agrile du frêne doit être gérée dans une optique de sécurité publique plutôt que dans une perspective de préservation du patrimoine arboricole, estime désormais la Ville de Gatineau.

Originaire d’Asie

L’agrile, un insecte vert métallique originaire d’Asie qui s’attaque aux frênes, a été détecté pour la première fois à Carignan en 2008, puis deux ans plus tard à Gatineau.

« Comme municipalité, on a décidé de se concentrer sur la gestion du frêne, et notre responsabilité, c’est que ces arbres ne deviennent pas dangereux pour la population », indique M. Dumas.

Photo: Ville de Montréal L’agrile, un insecte vert métallique originaire d’Asie qui s’attaque aux frênes, a été détecté pour la première fois à Carignan en 2008, puis deux ans plus tard à Gatineau.

D’autant plus, rappelle M. Dumas, que les solutions qui existent actuellement ne font que prolonger la durée de vie du frêne, sans nécessairement freiner l’épidémie.

« Financièrement, nous n’avons aucune aide. Les coûts sont à 100 % assumés par chacune des villes. Ce ne sont pas toutes les municipalités qui ont la structure, l’organisation et la capacité financière de faire face à une épidémie de cette envergure », souligne M. Dumas.

De 2013 à 2017, la Ville a dépensé environ 6 millions pour la gestion de l’agrile du frêne. L’abattage massif qui s’échelonnera sur les trois prochaines années coûtera également 6 millions.

M. Dumas compare les ravages provoqués par l’agrile à ceux laissés par le verglas de 1998.

« Les ravages de l’agrile sont du même ordre que ceux d’une très grande catastrophe naturelle. La seule différence, c’est qu’ils s’étendent sur plusieurs années, parce qu’on ne les voit pas instantanément. Il n’en reste pas moins qu’en matière de pertes d’arbres, il y en aura pratiquement autant que lors du verglas », dit-il.

Même si l’agrile ne connaît pas de frontières, l’épidémie a jusqu’à présent été gérée localement par chacune des municipalités touchées, ce qui ne facilite pas toujours le combat, souligne un expert.

« Le fait qu’une ville reconnaisse avoir perdu la bataille, c’est triste, mais ce n’est malheureusement pas surprenant », indique Daniel Kneeshaw, professeur au Département de sciences biologiques de l’UQAM et membre du Centre d’études de la forêt.

Problème national, gestion locale

 

Selon M. Kneeshaw, le cas de Gatineau découle du fait que chaque municipalité a livré sa propre bataille, commettant parfois des erreurs. « Les batailles au Québec ont été livrées à droite et à gauche, sans nécessairement la même intensité », rappelle-t-il.

Pourtant, plusieurs villes au Québec tentent depuis des années de mettre en place une stratégie commune pour combattre l’insecte dévastateur.

En 2016, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui représente les 82 municipalités qui forment la grande région de Montréal, a demandé au ministère des Affaires municipales de soumettre à l’Assemblée nationale des modifications législatives afin de doter la CMM d’un pouvoir réglementaire pour accélérer la mise en oeuvre d’une Stratégie métropolitaine de lutte contre l’agrile du frêne.

La CMM a également demandé d’élaborer un programme commun avec le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et les municipalités de la grande région montréalaise afin de financer le remplacement des frênes sur le territoire métropolitain.

Le ministère des Affaires municipales indique que la demande de la CMM est toujours à l’étude. Il précise toutefois que deux ministères participent aux travaux du Comité métropolitain de lutte contre l’agrile du frêne.

D’autres villes ne baissent pas les bras

Bien que cette année encore l’agrile du frêne ait continué à gagner du terrain, atteignant désormais plusieurs villes de l’est de la province, les villes n’en sont pas à emboîter le pas à Gatineau.

La Ville de Trois-Rivières, qui avait jusqu’à présent été « épargnée » par l’agrile, a trouvé des traces du parasite et compte livrer sa bataille.

« C’est notre première année dans la lutte contre l’agrile, jusqu’à présent nous n’avions pas été touchés par cette crise-là. Nous ne sommes pas du tout dans une optique d’abattage, on va d’abord traiter tous les frênes qui n’ont pas été infestés », mentionne Yves Toutant, responsable des relations publiques à la Ville de Trois-Rivières.

Trois-Rivières, qui procède actuellement à l’inventaire du nombre de frênes sur son territoire, en traitera environ 260 cet été, puis 340 l’an prochain. Jusqu’à présent, cinq arbres devront être abattus.

À Montréal, où près de 95 000 arbres ont été traités sur des terrains publics, on concentre les efforts sur la sensibilisation des propriétaires de terrains privés où se trouvent des frênes. La Ville a doublé les subventions, passant d’un plafond de 2000 $ à 4000 $.

« Actuellement, la stratégie ne prévoit pas l’abattage de l’ensemble des frênes du territoire, comme c’est le cas à Gatineau », soutient Gabrielle Fontaine-Giroux, relationniste à la Ville de Montréal.

Depuis 2011, ce sont plus de 15 000 arbres qui ont été coupés, et le poumon vert de la métropole, le mont Royal, est aussi menacé. L’an dernier, la Ville a annoncé l’abattage de 4000 frênes sur la montagne.

À la Ville de Longueuil, où un comité de l’arbre a été constitué à la suite de l’infestation, on estime le traitement toujours efficace.

« Notre objectif demeure de ralentir la mortalité des arbres », indique Louis-Pascal Cyr, porte-parole de la Ville de Longueuil.


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