Abandonner le plastique des emballages, mais par quoi le remplacer?

Omniprésent dans l’emballage des produits, le plastique s’est hissé au sommet des menaces à l’environnement. De rares gouvernements commencent à bannir certains produits à usage unique. Abandonner le plastique, oui, mais par quoi le remplacer ? Des designers affirment que ce souci est bien peu à l’ordre du jour des fabricants, voire pas du tout.
En 2010, l’entreprise québécoise Naya a lancé une bouteille d’eau faite à 100 % de plastique recyclé, puis a modifié son volume pour qu’elle contienne 100 ml d’eau supplémentaire avec la même quantité de plastique. Résultat : l’embouteilleur a réduit de 16 % ses émissions de GES et de 17 % la masse de ses produits.
Aujourd’hui, la bouteille d’eau non réutilisable fait partie des bêtes noires des écologistes, mais à l’époque, l’effort était avant-gardiste.
Avant 2015, les produits achetés en ligne au groupe Aldo étaient ensachés dans un plastique oxo biodégradable, non recyclable, doublé de papier bulle en plastique, honni des bacs. Aujourd’hui, finies les bulles, les chaussures glanées sur Internet arrivent dans un sac 100 % recyclable, issu à 40 % de matière recyclée.
L’empreinte, quelle empreinte ?
Les temps changent, les mentalités aussi, mais pas aussi vite qu’on le souhaiterait. Car ces deux entreprises et une poignée d’autres font bande à part dans le grand monde de l’industrie. Très souvent, l’empreinte carbone et l’analyse du cycle de vie de l’emballage de leurs produits ne font tout simplement pas partie des priorités des fabricants, déplore Sylvain Allard, directeur du programme de design graphique à l’UQAM et spécialiste de l’emballage.
« Il n’y a pas de vision globale dans la plupart des entreprises. On roule encore avec la vision que le plastique est recyclable, que ça règle tout. Or, si le plastique n’est pas recyclé, on n’a rien gagné. Si on l’envoie à l’autre bout du monde, en Chine, il y a une empreinte carbone qui vient annuler tous nos efforts », affirme cet observateur.
Il déplore que la dimension écologique soit rarement prise en compte dans la conception des emballages. « Le plastique est une matière extraordinaire, peu coûteuse, mais il n’a une logique que si on l’utilise plusieurs fois, sinon c’est une catastrophe écologique pour l’environnement. La vraie solution, c’est la réduction », croit-il.
Pourtant, la réduction ne semble pas à l’ordre du jour, à en croire les chiffres qui établissent à 400 milliards la valeur du marché de l’emballage, dont 60 % est destiné à l’alimentation. La mondialisation favorisant le transport de produits venus des quatre coins de la planète a fait bondir le volume d’emballages produits.
En sus, le secteur alimentaire demeure hautement frileux à l’idée d’utiliser du plastique recyclé, pour des raisons sanitaires, craignant la contamination. « Ça frôle la paranoïa plus que la science, car Naya utilise du plastique recyclé à 100 % pour embouteiller son eau », déplore Sylvain Allard.
De petits pas
Mais de petits pas sont franchis au Québec, notamment par l’entremise d’Éco Entreprises Québec (EEQ), l’organisme qui représente l’industrie, gère et perçoit les redevances payées par les entreprises pour financer le coût de la collecte sélective associée à la récupération de leurs contenants, emballages et imprimés.
Le plastique est une matière extraordinaire, peu coûteuse, mais il n’a une logique que si on l’utilise plusieurs fois, sinon c’est une catastrophe écologique pour l’environnement. La vraie solution, c’est la réduction.
Parmi ces mandats, l’EEQ a aidé depuis 2005 quelques compagnies à rendre leurs produits ou emballages plus écoresponsables, en augmentant la part de leur contenu recyclé ou en diminuant leurs poids. Parmi celles-ci, Cascades, Lavo, Aldo, Metro, Les Biscuits Leclerc et la fromagerie L’Ancêtre, qui ont notamment réduit la masse de leurs contenants et, dans la foulée, leurs coûts de transport.
Malgré tout, le gros des efforts vise encore à réduire l’indésirable… mais pas à le remplacer. « C’est déjà bien de limiter le plastique, mais il faut aller plus loin et réfléchir à des solutions de remplacement », croit Sylvain Allard.
Écoemballages
Les solutions de remplacement au plastique tous azimuts existent, mais sont encore boudées par l’industrie. On sait maintenant que des bioplastiques, ou végéplastiques, peuvent être fabriqués à partir de plantes comme le soya, d’algues ou de fécule de maïs, comme c’est le cas pour les sacs compostables utilisés pour les déchets de table.
« La filière du plastique compostable reste encore peu exploitée. C’est plus facile pour les compagnies de continuer à faire ce qu’elles font depuis toujours. Si un végéplastique coûte 3 ¢ de plus par emballage, la logique économique l’emporte. C’est pour cela qu’il faut commencer à penser à des taxes ou à des consignes sur le plastique », croit Sylvain Allard. En fait, la première question à se poser, dit-il, serait : « A-t-on vraiment besoin d’un emballage ? »
L’emballage intelligent
Pourtant, ce n’est pas l’imagination qui manque pour repenser la fonction même des emballages. Lors des projets Packplay, concours de propositions d’écoemballages orchestré en 2014 et en 2017 par l’École de design de l’UQAM et d’autres partenaires, des étudiants de 19 universités ont avancé des solutions étonnantes. Notamment pour valoriser des résidus de l’industrie agricole et faire en sorte que les contenants ne soient plus de simples objets passifs voués aux ordures.
Sylvain Allard rappelle notamment le projet d’une étudiante qui a conçu un tofu glacé présenté dans un contenant fait de soja, entièrement comestible, servant de barquette. « Une fois mangé, ce produit ne laissait aucun résidu ! », explique M. Allard.
D’autres idées lumineuses, dont des boîtes de riz en carton recyclé, dotées d’un couvercle cartonné faisant office de tasse à mesurer, ont été présentées. Comme, aussi, ces crèmes cosmétiques contenues dans des pots d’argile qui, une fois mouillés, se muent en masque de beauté, ou dans des pots en cire d’abeille, appelés à devenir des bougies. On a même trouvé une solution au fléau des contenants de la restauration rapide, souvent non recyclables, avec une coque faite de cellulose compostable, pouvant servir d’engrais dans les jardins ou de nourriture aux animaux de ferme.
Peu d’emprise
Même si les idées fusent sur les tables à dessin, plusieurs designers industriels estiment que leur influence sur les choix des fabricants est plutôt limitée. « On arrive à la fin du processus, quand tout est décidé », estime Élise Cropsal, directrice de création et designer graphique chez LG2. « La question de l’emballage est intimement liée à la chaîne de production et doit être prise en compte au tout début du processus de fabrication. »
L’élan pour inclure des designers en amont de ces processus est encore peu présent, dit-elle, mais de rares firmes commencent à développer des expertises en écoconception.
Stéphane Allard place cependant beaucoup d’espoir dans la jeune génération de designers, beaucoup plus sensible aux enjeux environnementaux. « Ils ont un regard très critique sur l’industrie », dit-il.
Mais en définitive, croit-il, il reviendra aux gouvernements de forcer la main aux compagnies qui continuent de bouder les matières compostables ou perpétuent l’usage des plastiques non recyclables. « Les citoyens apportent leur contribution depuis longtemps en faisant de la récupération dans leurs bacs, les designers tentent de faire mieux, c’est maintenant aux décideurs d’agir. »
Avenue emballante
Diane Leclair Bisson, designer industrielle qui gère sa propre entreprise de design, explore depuis plus de 20 ans l’avenue des produits compostables ou comestibles et se désespère du peu d’intérêt des fabricants pour des contenants écoresponsables.Couronnée de prix, la pionnière a orienté ses recherches dès les années 2000 vers les produits compostables, biosourcés ou comestibles. Bols en gelée d’agar-agar entièrement biodégradables, pailles et cuillères comestibles, « bulles de saveur » en gelée, contenant champagne, spiritueux ou jus sucré : ces créations audacieuses de contenants prêt-à-manger l’ont fait connaître sur plusieurs continents.
« J’utilise les aliments comme substituts au plastique depuis près de 20 ans. Un de mes projets, un contenant comestible empli de jus et d’une paille faite d’un craquelin destinés aux enfants, se retrouve même aujourd’hui dans un musée. Mais les entreprises d’ici ne souhaitent pas changer de matière, personne ne m’a appelée pour les commercialiser. J’ai l’impression de prêcher dans le vide ! »
Et pour cause, faute d’intérêt, ces prototypes de cuillères comestibles n’ont jamais pu être produits au Québec à grande échelle. Ce sont plutôt des promoteurs venus d’Inde qui écoulent maintenant par milliers cet objet dans leur pays pour remplacer les cuillères de plastique jetables.
Selon la designer industrielle, les emballages « dits » biodégradables ou compostables sont aujourd’hui souvent un leurre apposé sur les emballages pour faire plaisir aux consommateurs. « Pour être biodégradable ou compostable, il faut que l’emballage se retrouve dans un milieu régulé et contrôlé, ce qui n’existe à peu près pas dans notre contexte nord-américain. Si on achète du plastique bio, sans avoir les solutions pour le traiter, on ne résout rien », pense-t-elle.
Diane Leclair Bisson a développé au fil des ans des urnes funéraires faites de matériaux naturels, et même de glace pour des urnes éphémères, en collaboration avec l’entreprise funéraire Mémoria. Après des années de recherche et développement, la compagnie lancera bientôt des urnes entièrement biodégradables qu’elle a conçues.
« C’est un très beau projet, mais ça ne touche que le Québec. Si on veut s’attaquer à un problème environnemental crucial à l’échelle planétaire, il faut viser à transformer des produits de consommation qui touche des millions de personnes, comme les contenants d’alimentation rapide ou les pailles. Si on pouvait se tourner vers des produits biosourcés, biodégradables et compostables, cela aurait un impact exceptionnel. »