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En moins de 60 ans, le plastique est devenu le matériau le plus omniprésent dans l’environnement et on commence tout juste à mesurer ses effets sur la santé humaine et animale.
Omniprésent de la calotte polaire aux abysses des océans, le plastique est devenu un fléau planétaire. Plus qu’un désastre environnemental, il a même intégré la chaîne alimentaire, du zooplancton aux plus grands mammifères. Après l’âge de pierre et l’âge du fer, voici venu l’âge du plastique.
Il est désormais partout. Dans l’eau, l’air, dans nos maisons, nos vêtements. Présent dans presque tous les objets du quotidien, il enveloppe la plupart des aliments. Il a même migré dans nos assiettes et l’eau potable. Au point où certains scientifiques comparent désormais la menace posée par l’invasion du plastique à la survie des espèces vivantes y compris l’homme, à celle du réchauffement climatique.
En moins de 60 ans, le plastique est devenu le matériau le plus omniprésent dans l’environnement et on commence tout juste à mesurer ses effets sur la santé humaine et animale. Or, l’engouement pour ce matériau passe-partout et « indestructible » a multiplié par 20 la quantité de plastique produit en quelques décennies. Si cette croissance se poursuit, l’industrie plastique, dopée notamment par la demande venant des pays émergents, est appelée à doubler d’ici 20 ans et à quadrupler d’ici 2050.
Si rien n’est fait, c’est plus de 12 milliards de tonnes de déchets de plastique qui pourraient souiller la planète au milieu de ce siècle, prédit Roland Geyer, chercheur et ingénieur de l’Université de Californie, auteur principal de la plus vaste étude menée sur l’emprise du plastique sur la planète, publiée en 2017 dans la prestigieuse revue Science.
« Le plastique est devenu le matériau de fabrication le plus “produit” par l’homme, hormis ceux utilisés depuis des siècles dans la construction comme le béton ou l’acier », affirme le chercheur, joint en Californie par Le Devoir. Réalisé à partir de données confidentielles obtenues des producteurs de plastique mondiaux, ce portrait mondial est le plus fiable tracé à ce jour… et le plus consternant.
Somme toute, plus de huit milliards de tonnes de plastique et de sous-produits du plastique ont été générées depuis les années 1950, assez pour recouvrir la superficie de l’Argentine.
Consommé et jeté
Or, de cette mer de polymères, contenant plastifiants et additifs souvent toxiques, à peine 9 % en moyenne ont été recyclés à l’échelle de la planète, alors que 12 % ont été incinérés, a calculé le professeur Geyer. Seule une poignée de pays européens sont arrivés à recycler tout au plus le tiers du plastique.
Le reste, soit 79 % de cette masse non biodégradable, repose dans les dépotoirs ou s’est échappé dans l’environnement, dans les lacs, rivières et océans, et va notamment grossir les fameux « continents de plastique » devenus la partie la plus visible de cette plaie planétaire. Un bilan d’autant plus alarmant que 42 % de ces plastiques balancés dans la nature n’ont servi qu’à l’emballage ou à un usage unique. Pour Geyer, le recyclage demeure un mirage réconfortant dans plusieurs pays du monde, y compris le Québec, où 18 % du plastique utilisé atterrit dans le bac de recyclage. On ignore quelle part est réellement recyclée. « Ça ne peut être qu’une partie de la solution et plusieurs plastiques sont trop pauvres pour être recyclés. Il faudra beaucoup plus juguler ce problème mondial, notamment réduire de façon drastique la consommation, et incinérer le reste », insiste le chercheur.
42 %
C’est le pourcentage des plastiques balancés dans la nature après un seul usage, selon Roland Geyer, chercheur et ingénieur à l’Université de Californie
Jusqu’à tout récemment, une grande part du gâchis global causé par le plastique demeurait invisible. « On ne voyait que les plastiques flottant dans l’océan ou qui jonchent les plages. Or, plusieurs autres coulent à pic ou se fragmentent en millions de particules dans l’environnement », affirme Roland Geyer.
C’est maintenant la face cachée de ce paria, soit les trillions de microparticules et de microfibres invisibles, issues de la dégradation des polymères dans l’eau et l’air qui suscitent de plus en plus d’inquiétudes. Plus qu’un déchet hideux, le plastique est devenu un cheval de Troie, capable de s’immiscer ni vu ni connu dans tous les écosystèmes et l’eau potable, charriant avec lui des plastifiants dangereux, comme les phtalates, et des additifs figurant sur la liste noire des perturbateurs endocriniens et des cancérigènes potentiels. Ces particules fines transforment les eaux douces et salées en « soupes chimiques ».
L’industrie n’a toujours aucune obligation de tester les effets du plastique sur la santé
Cheval de Troie
Les premières images de zooplanctons ingérant des nanoparticules de plastique ont confirmé que ce poison a infiltré les tout premiers maillons de la chaîne alimentaire, essentiels à la vie sur Terre. On estime maintenant que les humains consommant des mollusques peuvent ingérer jusqu’à 11 000 particules, mais l’on ignore complètement quels seront les effets de ce menu à saveur plastique sur l’être humain.
Cette incursion du plastique va bien au-delà des océans, comme le démontrait une étude récente révélant que l’eau embouteillée testée dans cinq continents affichait en moyenne 315 microparticules de plastique, certaines jusqu’à 10 000. « Nous vivons désormais dans un monde dominé par le plastique, à un point où nous aurions du mal à vivre autrement. Cela se produit, alors que l’industrie n’a toujours aucune obligation d’en tester les effets sur la santé. Ce fardeau retombe sur les épaules des gouvernements ou des universités, qui ont peu de fonds pour ce faire », déplore le chercheur Bernard Robaire de l’Université McGill, expert en toxicologie, qui étudie notamment les effets de certains plastifiants sur la fertilité humaine.
La filière fossile
À l’épicerie, casseaux en carton ou en bois ont presque disparu des étalages, au profit de boîtes plastifiées ou de barquettes colorées en polystyrène. Éclipsés aussi les bocaux en verre, de plus en plus boudés par l’industrie alimentaire et celle des cosmétiques.
Pourquoi cet engouement soudain pour le plastique ? « En plus de son coût très bas, l’usage accru du plastique est alimentée par les industries fossiles qui ont trouvé de nouveaux marchés pour compenser la baisse de consommation du pétrole comme carburant », soutient le professeur Geyer. Jusqu’à 8 % de la production du pétrole dans le monde est désormais dédiée aux « pétroles solides » que sont les résines de plastiques.
Ironiquement, les efforts déployés pour juguler les émissions de gaz à effets de serre dans le secteur énergétique n’ont ainsi peu ou pas affecté l’hydre à plusieurs têtes que sont les indsutries fossiles. « Nous n’avons aucune idée de l’impact réel de ces matériaux, créés sans que quiconque ait pensé à ce qui allait advenir de ces produits non biodégradables, insiste le chercheur. En fait, nous assistons actuellement à une expérience menée à l’échelle mondiale. À du jamais vu. »