L’Ordre des agronomes s’engage à resserrer les règles de rémunération de ses membres

Au Québec, plus de la moitié du soya cultivé a ses semences enrobées de néonicotinoïdes, pourtant considérés comme les plus dangereux pesticides pour la santé humaine et pour l’environnement.
Photo: iStock Au Québec, plus de la moitié du soya cultivé a ses semences enrobées de néonicotinoïdes, pourtant considérés comme les plus dangereux pesticides pour la santé humaine et pour l’environnement.

L’Ordre des agronomes du Québec (OAQ) change de ton à propos de l’encadrement des pesticides. Une enquête sur la rémunération des agronomes permettra d’établir des directives plus strictes pour ceux qui recommandent l’utilisation de pesticides tout en retirant des bénéfices de leur vente.

L’Ordre refuse toutefois d’interdire à ses membres liés à l’industrie des pesticides de « prescrire » leur utilisation, malgré une proposition appuyée par plusieurs agronomes lors de la dernière assemblée générale annuelle.

Dans une lettre ouverte diffusée lundi, le président de l’OAQ, Michel Duval, se veut rassurant. Lors de l’annonce du nouvel encadrement, il avait affirmé ne pas voir « d’indices de problèmes majeurs » en matière de conflit d’intérêts. Il assure maintenant que « des corrections devront être faites » et qu’il prend « très au sérieux la problématique du conflit d’intérêts problématique ».

La majorité des agronomes travaillant dans le domaine de la protection des plantes sont en effet liés à l’industrie des pesticides, de l’aveu même de l’OAQ. Or, Québec vient de leur confier le rôle névralgique de « prescrire » ou non aux producteurs agricoles les cinq pesticides considérés comme les plus dangereux pour la santé humaine et pour l’environnement : trois types de néonicotinoïdes, ces insecticides « tueurs d’abeilles », l’atrazine et le chlorpyrifos.

Invité à tracer le contour des futures directives, M. Duval donne l’exemple d’une situation qui pourrait être jugée « inacceptable » : « Un concours de vente, par exemple. Si pour éliminer un inventaire de fin de saison, on donne un boni à un agronome qui fait de la vente pour écouler les stocks. »

Ce type de paiement à la performance est une pratique existante, en plus de bonis, de commissions ou d’incitatifs sous forme de voyages. « Pour l’instant, on a des informations contradictoires, des “j’ai entendu dire”», avance le président. Les résultats de cette enquête devraient être connus dans les prochaines semaines.

Jusqu’à 80 % des agronomes du domaine de la protection des plantes seraient liés à l’industrie, soit financièrement, soit à travers le conseil d’administration du groupe-conseil pour lequel ils travaillent.

Dissidence

 

Ce double rôle préoccupe plusieurs agronomes. Ils exhortent leur ordre à carrément interdire la « prescription » aux agronomes liés à l’industrie. Une proposition en ce sens a été votée lors de leur dernière assemblée générale annuelle, en septembre 2017. L’OAQ, « dans l’intérêt de la protection du public », devrait interdire à un agronome de prescrire l’utilisation de pesticides s’il reçoit « une commission ou toutes autres formes de boni ou d’incitatif sur la vente des pesticides », énonçait la résolution.

« L’Ordre ne semble pas avoir retenu les voeux de la majorité des congressistes de septembre 2017 », affirme Marc Clément, agronome retraité qui a porté la résolution en assemblée. Soumise par la section de l’Outaouais de l’OAQ, la proposition a recueilli le vote d’une centaine de membres, sur environ 150 selon M. Clément.

« Vous savez, si on faisait ça demain matin, je ne suis pas sûr qu’on aurait assez de monde pour couvrir les besoins du Québec », répond Michel Duval en entrevue avec Le Devoir. Il ajoute que l’OAQ ne souhaite pas mettre « une catégorie d’agronomes dans une case précise ».

M. Clément se dit « gêné » par cette prise de position qui confond principes et protection du public. Les producteurs agricoles savent qu’un agronome donné est lié à l’industrie, mais ils ignorent la teneur de sa rémunération, expose-t-il. « La tentation est là si tu sais que ton salaire dépend d’un produit. Au-delà de la tentation, il y a aussi le fait qu’on doive présenter une image de confiance, poursuit-il, mais en ce moment, le jupon dépasse. »

« On a l’impression que notre ordre ne fait pas sa job », déplore quant à lui Samuel Comtois. Lui-même agronome, il signait une lettre la semaine dernière dans Le Devoir pour se distancier des propos du président de son ordre professionnel. Il proposait également de séparer « l’acte agronomique du diagnostic et de la recommandation » de « l’acte de vente des intrants agricoles », afin de rétablir la réputation de tous, agronomes comme vendeurs d’intrants.

« Ça prend des gens qui connaissent les produits c’est sûr. Mais pour bien travailler avec nos collègues de l’industrie, ça prend aussi des règles », énonce M. Comtois. Les compagnies de vente d’intrants n’ont quant à elles qu’une seule raison d’être, selon lui : « Vendre des intrants agricoles et maximiser leurs profits. »

 

Déjà des outils

Le code de déontologie auquel se réfère M. Duval semble plutôt pencher en faveur d’une séparation des rôles. On y lit entre autres, à l’article 28 sur le conflit d’intérêts, qu’un agronome « n’est pas indépendant pour un acte donné, s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel ».

L’Ordre inspectera en outre tous les agronomes appelés à autoriser ou non les pesticides concernés d’ici les quatre prochaines années, une disposition inscrite dans une entente entre l’OAQ et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC).

Des critiques sur l’indépendance des agronomes ont été formulées autant par des groupes environnementaux que par l’Union des producteurs agricoles (UPA). « La prescription n’est donc pas une panacée, d’autant plus que la majorité des vendeurs de pesticides sont des agronomes », reconnaissait en février l’UPA par la voix de son porte-parole, Patrice Juneau.

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