Le méconnu marché volontaire des crédits carbone

Ce texte fait partie du cahier spécial Développement durable
Le 19 septembre 2017, le Fonds de solidarité de la FTQ annonçait que Solifor Perthuis, un partenariat de sa filiale d’acquisition et de gestion de terres forestières Solifor et de la Scierie Dion fils, venait de conclure la vente de 140 000 tonnes de crédits de carbone à Just Energy et Groupe Banque TD. Cette transaction avait été traitée par les intermédiaires Enviro Ecocredit et Carbonzero et réalisée de gré à gré, comme c’est généralement le cas dans le marché volontaire des crédits carbone.
Il a beaucoup été question de marché réglementé du carbone ces dernières années. Le Québec a créé le sien en 2013 afin de forcer les grandes entreprises polluantes à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Il a été rejoint par la Californie en 2014, puis par l’Ontario plus récemment. Mais ce marché est réglementé et ne touche pas tous les secteurs de la même manière. Il concerne les entreprises émettrices de plus de 25 000 tonnes de GES par année. Le gouvernement détermine le nombre d’unités d’émission en circulation dans le marché et détermine leur prix plancher lorsqu’elles sont offertes chaque année aux enchères. L’État remet aussi gratuitement des crédits à certaines entreprises pour des raisons compétitives. Généralement, elles les conservent ensuite pour couvrir leurs propres émissions.
« Ce marché réglementé n’est pas encore tout à fait prêt en foresterie, il est encore en discussion », explique Dominique Paquet, directeur des opérations forestières de Solifor.
L’option volontaire
Le marché volontaire des crédits carbone fonctionne différemment. Un promoteur (personne, organisme ou entreprise) élabore lui-même un projet de réduction ou de séquestration de GES, puis le vend à une entreprise devant respecter certaines règles quant aux émissions de GES. Une unité représente une tonne d’équivalent de dioxyde de carbone qui n’a pas été émise dans l’atmosphère.
C’est cette option qu’ont choisie le Groupe Banque TD et Just Energy, un important fournisseur de gaz naturel, d’électricité et d’énergie verte actif aux États-Unis et au Canada, en achetant 140 000 tonnes de crédits carbone à Solifor Perthuis. Il s’agit de la plus grosse transaction au Québec portant sur la séquestration forestière du carbone. Entre 1985 et 2010, plus de 2 000 000 d’arbres ont été plantés dans les forêts gérées par Solifor Perthuis, dans la région de Portneuf, afin de renouveler la forêt qui s’était dégradée et d’aider à absorber du carbone de l’atmosphère.
« On calcule d’abord la quantité de carbone qui aurait pu être séquestrée si nous n’avions planté aucun arbre et avions laissé la forêt se développer naturellement, c’est le scénario de base, explique Dominique Paquet. Nous calculons ensuite la quantité de carbone séquestrée par notre forêt avec les épinettes que nous y avons plantées. C’est la différence entre le scénario de base et le résultat réel que nous monnayons. »
Le projet est inscrit au Registre des GES ÉcoProjets, fondé sur les normes ISO 14064 portant sur l’inventaire et la déclaration des GES et utilisant la norme du Gold Standard, reconnue mondialement. Le projet est donc validé par des inspecteurs externes.
Le projet de Solifor Perthuis a aussi une valeur sociale. En effet, la nation huronne-wendat est présente dans cette région. À la suite d’une entente avec ses représentants, une partie des retombées de la vente de ces crédits carbone sera remise à l’Université Laval, pour financer des recherches historiques et anthropologiques précieuses pour cette nation.
Selon Mario Tremblay, vice-président des affaires publiques et corporatives au Fonds de solidarité de la FTQ, ce projet s’inscrit directement dans la politique formelle de développement durable du Fonds. Celle-ci inclut des facteurs environnementaux, mais aussi sociaux et se traduit notamment par des investissements dans Solifor et Enerkem, par exemple.
« La possibilité de monnayer ce type de crédits de carbone donne encore plus de valeur à nos propriétés forestières actuelles, dit-il. C’est un marché appelé à prendre de l’ampleur et si nous pouvons valoriser encore plus ces actifs, c’est bon pour nos actionnaires et c’est bon pour l’environnement. Tout le monde y gagne. »
D’ailleurs, Dominique Paquet confirme qu’au moins un autre projet est à l’étude sur une autre propriété forestière détenue par Solifor, pour lequel il espère trouver des clients sur le marché volontaire des crédits de carbone.
Rappelons que le Fonds a créé sa filiale Solifor en 2005. Sa mission est d’acquérir et de gérer des propriétés forestières et d’accroître leur valeur en favorisant le développement durable, l’acceptabilité sociale et l’engagement envers les communautés locales. Jusqu’à maintenant, Solifor a acquis 200 000 hectares de terres forestières, soit quatre fois et demie environ la superficie de l’île de Montréal.
Un marché émergent
L’organisme Ecosystem Marketplace évalue le marché du carbone mondial chaque année depuis 2006. Il rapporte que la quantité totale de crédits carbone achetés et vendus sur les marchés a chuté de 24 % en 2016 par rapport à l’année précédente, passant de 84,1 millions de tonnes d’équivalent de dioxyde de carbone (MtCO2e) à 63,4 millions. La valeur totale du marché en 2016 était de 191,3 millions de dollars américains (239,8 millions $CAN).
Cette chute s’explique notamment par la difficulté que les promoteurs de tels projets éprouvent à trouver des acheteurs en l’absence d’un marché centralisé, comme une bourse. Résultat, environ 56,2 MtCO2e ont été produits, mais n’ont pas trouvé preneurs dans le monde en 2016.
« Le marché reste assez peu développé au Canada, mais commence à émerger au Québec et en Ontario, constate Dominique Paquet. Il est très développé en Californie, l’endroit où l’on retrouve le plus de transactions en Amérique du Nord. » Selon Ecosystem Marketplace, il s’était échangé 110,2 kilotonnes d’équivalent CO2 en 2016 au Canada, pour une valeur totale d’un million de dollars américains (1,25 million $CAN). C’est dix fois plus qu’aux États-Unis, mais cinq fois moins qu’en Allemagne et en Australie.
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